Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
28 Juillet 2012
Claude Stéphane PERRIN
Présence lumineuse.
Un art de l’icône (de l’image sacrée) n'est pas vraiment un art de la représentation. Même simple, l’icône est une image corrigée qui cherche à élever l'âme vers quelque vision intime en rapportant la lumière du ciel à celle du divin.
Comme le concept de Dieu, autre idole de la philosophie lorsqu'il n'est pas pensé comme le Sans-Nom, l'icône peut avoir deux fonctions contradictoires. Soit elle crée du sacré, elle sépare le terrestre et le divin, soit elle unifie et dépasse la séparation du visible avec l'invisible. C'est dans cette seconde perspective que je construis mon interprétation.
En fait, dans la peinture du XVe siècle, un insondable et paradisiaque fond d'or (ou bleu) exhibe la lumière pure de l'éternité. Ce fond révèle la présence de l'unité divine de la Nature dans un espace sans aucune profondeur. Et, parce qu’elles ne sont pas vraiment des couleurs, les auréoles des saints rendent plus discret et secondaire le passage d’une couleur à une autre. La feuille d’or ou bleue est hors du temps. Elle n’a pas d’heure… ou plutôt elle est l’heure de l’éternité. Elle ne fait paraître qu’elle-même, elle est la permanence même.
Tout rayonne ainsi, est lumière transparente, apparition lumineuse et monte vers une lumière éclatante. Tout est apparence sans fond, sans repères, présence éternelle. Cet espace pictural est autre que celui du monde, il est rapporté à la lumière invisible de l'infini de la nature qui inonde un ciel bleu, profond ou transparent, en tout cas éternel. Les couleurs, en nombre très restreint dans l'art byzantin, deviennent donc lumière.
En se déployant dans un espace optique rayonnant, sans atmosphère et sans aucune distance, où tout devient présent, l'autonomie des pigments s'affaiblit progressivement tout comme les éclats matériels des smalts des mosaïques. Les contours perdent ainsi de l'intensité.
Cet espace fonde ensuite le mouvement de la lumière intérieure. Dans cette perspective, dite inversée, chacun voit la lumière qui le regarde en éclairant toutes choses. La source lumineuse n'apparaît pas au sein d'un jeu matériel d'effets impressionnistes, mais directement en tant que cause effective et immatérielle, en tant que force présente dans le fond infini, doré ou bleu, qui traverse les êtres et qui n'est ni le soleil, ni le ciel : "C'est la lumière pour la lumière. Chacun a tout en lui, et voit tout en chaque autre : tout est partout, tout est tout, chacun est tout ; la splendeur est sans borne" (Plotin).
L'absorption du voyant par ce qu'il voit s'effectue plus aisément lorsque le regard vise un point invisible, supposé lumineux, indivisible et central, qui contiendrait tout, qui serait Tout. Lorsqu'un personnage central (dignitaire ou saint, voire le Christ) regarde le regardant, l'icône, l'image parfaite en son genre, se nie en tant que représentation. Elle transporte le sujet percevant dans ce qu'il perçoit. Le principe d'unification des formes implique en effet la non-incarnation des figures dites sacrées, donc l'effacement des couleurs à l'avantage de la lumière.
Hors de la violence du sacré, le rayonnement d'un centre lumineux, universel et spirituel, donc présent en chaque homme, devrait empêcher toute éventuelle idolâtrie de l'image. Les forces de l'espace optique intériorisent pour cela les apparences, et le regard s'apaise lorsqu'il s'identifie à ce qu'il voit. L'acte contemplatif permet en effet à chacun de se fondre dans une grandiose lumière. Cette intuition qui ne doit rien aux volontés, qui est la négation des plus fortes visées conscientes, n'épouserait-elle pas, en réalité, la pure et douce réalité de l'éternité ? Lentement le regard se laisse absorber par ce qu'il voit, s'élargit, resplendit : "Que l'œil se rende pareil et semblable à l'objet vu pour s'appliquer à le contempler. Jamais un œil ne verrait le soleil sans être devenu semblable au soleil, ni une âme ne verrait le beau sans être belle" (Plotin, Ennéades, I,6). Dans cette situation, l'oubli de soi plonge en effet l'homme dans la présence d'une étrange lumière qui lui paraît infinie…
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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