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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Clairs-obscurs

Clairs-obscurs

Il est impossible de fixer un instant éphémère sans angoisse ou sans étonnement. Lumière et obscurité s'y confrontent et s'y complètent subitement. Tout semble confusément donné pour toujours : "Il ne fait pas jour, le jour, et il ne fait pas nuit, la nuit. On dirait que le Bon Dieu consulte  Rembrandt  sur  les  horizons qu'il me fait. J'habite le plus magnifique des clairs-obscurs." (Victor Hugo, Post-scriptum de ma vie, février 1856, Guillemin, p.42). La surprise est donc grande ! L'harmonie de la lumière et des ténèbres est une sorte de miracle romantique de l'identité retrouvée. Pour Schelling cette fusion magique, ce germe complexe qui pousse l'apparence à son paroxysme, est l'équivalent de l'union de l'âme et du corps, de la matière-couleur et des contours-lumière : " Le clair-obscur fait apparaître le corps comme corps, car la lumière et l'ombre en révèlent l'épaisseur" (Schelling, La Magie du clair-obscur, Textes esthétiques, Klincksieck,1978, p. 83). La condamnation de la surface plane reste, comme toujours, impliquée dans le désir de concurrencer la nature. Le démiurge doit suggérer toutes les facettes, creuser l'espace et donner du volume par le modelé, voire par le sfumato. L'artiste peut suggérer des pesanteurs par les ombres, par des lumières déclinantes ou terreuses. Il évoque alors le devenir conflictuel du réel. Le clair-obscur approfondit les apparences. Il donne du relief et de l'intimité comme le graveur ou le sculpteur. Il ouvre sur l'infini grâce à la perspective aérienne : " La perspective détermine le contour; le clair-obscur donne la saillie par la disposition des ombres et des clairs, mis en relation avec le fond; la couleur donne l'apparence de la vie." (Journal de Delacroix du 23.2.1852)

   Mais ce qui était vrai chez Corrège (grâce à la perspective aérienne, aux fondus et aux dégradés) ne l'est plus pour Caravage. Place à l'angoisse et à une funèbre dramaturgie où la lumière est éclatée, artificielle, source de lueurs éparses et de terribles reflets. Hallucinantes, les apparences se figent pour souligner le triomphe d'un immense vide spirituel sur les mécanismes de la représentation. Et le spectateur est violemment rapporté à l'échec de l'image qui n'est plus que le souvenir d'une nuit effroyable dont la scène primitive reste cachée, bien que toujours présente et mystérieuse. Par la suite, les ombres portées de la peinture ne cesseront plus de se contredire ou de  s'étirer... Elles finiront par refuser les mystères du clair-obscur pour souligner le néant essentiel de la réalité figurative (Chirico). Toutefois, grâce au jeu du clair et de l'obscur, la peinture était parvenue à faire surgir des sensations fermes et temporalisées par la ligne directrice et continue d'une lumière qui, comme chez Rembrandt ou Georges de La Tour, voulait vaincre les ombres. Au reste, dans le style baroque, le jeu du clair-obscur nia l'harmonie des apparences en brisant l'unité synthétique de la représentation, en élargissant et en contenant ses plus fortes contradictions. Velázquez, notamment, par le flou des contours et par des tons crépusculaires, donna une patiente durée à ses tableaux. Il demandait peut-être au spectateur de"regarder entre les formes" (Élie Faure), car l'espace paraît élargi et l'air y circule librement. Subsistaient encore les effets du réel produits par des clairs-obscurs rehaussés de couleurs...

   Une rupture était donc prévisible. Le scandale de l'Olympia de Manet fut une magnifique conséquence provoquée par la mise en place insolente d'un nouvel espace très rapproché, trivial, évident et non théâtral qui refusait définitivement l'ombre, l'estompage (sfumato), donc le mystère. La fiction de l'illusion perspectiviste et de ses profondeurs complexes fut ainsi remplacée par l'innocente destruction du jeu des contrastes lumineux. Le trait noir, large et onctueux de Manet, ayant ouvert de nouvelles portes, l'image peinte ne prétendit plus être autre chose qu'une image.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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