Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
17 Juillet 2012
Claude Stéphane PERRIN
La splendeur des Fauves
Le devenir est le mode de la transformation des êtres qui s'interprète de manière temporelle sans révéler sa véritable orientation : cyclique, expansive ou régressive. Eu égard aux apparences établies comme formes de l'art, le temps spatialisé de la durée de leur conservation est moins révélateur que le rayonnement immédiat de la création.
De la préhistoire à aujourd'hui, les mêmes forces ont en effet créé l'instant éternel d'un rapport positif aux chaos de l'histoire. Dans cet esprit, que penser du fauvisme et de ses vibrations éclatantes, originales, chaudes et colorées qui accentuent l'intensité de tons vifs pourtant choisis déjà purs, tels qu'ils sortent du tube ? En fait, Baudelaire avait déjà imaginé ce que pourraient faire les fauves : " Je voudrais des prairies teintes en rouge et les arbres peints en bleu. La nature n'a pas d'imagination" (Curiosités esthétiques, p.494).
Les excès auparavant accomplis dans l'histoire de l'art, ceux de Rubens par exemple, seront alors fortement dépassés : " Rubens, à travers ses couleurs crues et ses grosses formes, arrive à un idéal des plus puissants. La force, la véhémence, l'éclat le dispensent de la grâce et du charme" (Delacroix, Journal du 30.4.1847).
En tant que mouvement pictural, le fauvisme commence avec Matisse en 1896. S'il défie les écoles, il ne constitue pourtant pas un style collectif. Son représentant le plus typique - parce que le plus informel- le grand fauve viscéral, c'est Vlaminck ! Certes, Matisse met aussi sa maîtrise de la technique en question, il se laisse guider par ses sensations, mais la fin visée par ses œuvres paraît plus harmonieuse, sereine, calme et voluptueuse, même si le peintre utilise des couleurs pures, éclatantes, et même s'il leur attribue passionnément le rayonnement le plus fort : " Le bleu et le jaune qui forment du vert, ne peuvent qu'être juxtaposés et non mélangés, ou bien on peut employer le vert tel que l'industrie nous le fabrique" (Matisse, Écrits et propos sur l'art, p. 20).
Cependant, chez Vlaminck, la tension et l'émotion vitales sont plus fortes : " Mon ardeur me permettait toutes les audaces, toutes les impudeurs, pour négliger les conventions du métier de peintre... Je n'avais ni jalousie, ni haine, mais une rage de recréer un monde nouveau, le monde que mes yeux voyaient, un monde pour moi seul".
Mais l'instinct porte aussi à la solitude, à une vie peu civilisée, à une fougue libertaire, ou bien à la folle exaltation des forces les plus contradictoires ! " J'étais un barbare tendre et plein de violence. Je traduisais d'instinct, sans méthode, une vérité non pas artistique mais humaine". Tendresse et violence, donc ! L'ardeur de l'émotion éprouvée au contact de la nature, confrontée aux couleurs effervescentes de la palette, produit un exutoire, une belle transposition passionnelle qui d'une certaine manière contrarie la brutalité de l'instinct en privilégiant la joie de vivre et de peindre.
En fait, au départ, l'artiste n'impose pas de distance entre sa conscience et le jaillissement bouillonnant de ses actes. Il triture la pâte trop épaisse, presse ou écrase le tube directement sur la toile. Ainsi l'expression colorée l'emporte-t-elle sur toute idée de volume ! Peu à peu s'affirme un tempérament lyrique dont la manière franche s'accommode de certains hasards malheureux dans le geste. Car, en opposant un orange et un violet, un vermillon et un bleu, le peintre fauve trace un hymne sensuel à la vie, à des paysages ensoleillés ou à la sensualité de la femme (comme chez Van Dongen). Le geste rapide, fortissimo, parfois frénétique, ne prétend pas étreindre la totalité du réel. Il se délecte de la durée où ses couleurs construisent l'espace.
Plus précisément, les thèmes évoqués par les fauves sont des fragments de la vie quotidienne : portraits, nus, scènes d'intérieur, paysages pittoresques (bords de rivière, jardins, montagnes, villages, ponts, bateaux, ports), personnages cadrés dans des décors succincts ou allusifs, silhouettes de promeneurs lointains et solitaires, natures mortes. Mais les thèmes importent moins que la surface plane de la toile où le peintre improvise des accords de taches colorées, un espace d'ordre musical : " Je haussais tous les tons, je transposais, dans une orchestration de couleurs pures, tous les sentiments qui m'étaient perceptibles" (Vlaminck).
Les formes surgissent ainsi d'une volonté d'évocation lyrique, intense, bien sentie. Si le dessin est parfois simplifié, voire gauche, c'est alors pour rendre possibles d'audacieuses transformations vives et dynamiques. Ces dernières valorisent les plans colorés et rapprochés en excluant la couleur locale, le modelé illusionniste du clair-obscur, ainsi que toutes les formes possibles de perspective.
Le fauvisme crée ainsi une extraordinaire révolution chromatique où la vivacité des tons chauds et le refus des mélanges accentuent la force émotionnelle de l'expression en réalisant un paroxysme sans précédent. Irréalistes ou arbitraires parfois, eu égard aux tons des objets qu'elles évoquent, les couleurs s'opposent et donnent l'illusion d'une complète liberté. Pures, sortant du tube surexcitées, posées avec force, supprimant les ombres ou les atténuant, elles chantent dans la langue de l'innocence, ou de l'enfance inconsciente des nuages à venir. Et elles aiment tous ces jeux. Expression violente et idéalisation des couleurs pures s'unissent donc pour produire de fortes images plus proches des chaos du réel que de quelque apaisement. Et ces images sont souvent trop belles pour être vraies !
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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