Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
13 Juillet 2012
Même si Mondrian le récuse, le noir est souvent considéré comme une couleur. Car, ombre de toutes les ombres, il n'est pas un absolu, une non-couleur.
Dans l'Égypte antique, symbole d'une véritable renaissance, il évoque Osiris, Min (ithyphallique), aussi bien que le sombre et riche limon du fleuve. Zéro solitaire et insignifiant selon Baudelaire, c'est-à-dire source d'une profondeur triste et désespérée, il témoigne de la présence d'un silence ou d'un vide ; il est une bonne et heureuse saleté pour Delacroix...
Mais d'autres le magnifient en le rendant transparent. La lumière le traverse alors. Hugo invoque "un noir chaos lumineux" (Les Contemplations, III. 30). Il est la couleur la plus essentielle, l'ombre la plus franche. Ou bien il est l'agent de l'esprit dans la peinture de Redon, voire une force nette et lumineuse que Matisse aime utiliser, soit séparément, soit pour refroidir davantage un bleu. Au reste, comme Pissaro, Matisse rend hommage à Manet, à celui qui a fait de la lumière avec du noir.
À l'opposé, peu loin de Mondrian, le noir défie le réel aussi bien subjectif qu'objectif, car il ne contiendrait selon Kandinsky qu'une faible résonance intérieure : " Un rien sans possibilités, comme un rien mort après la mort du soleil, comme un silence éternel, sans avenir, sans l'espérance.(...) En musique, ce qui correspond au noir, c'est la pause qui marque une fin complète, qui sera suivie, ensuite, d'autre chose peut-être, - la naissance d'un autre monde. Car tout ce qui est suspendu par ce silence est fini pour toujours : le cercle est fermé. Le noir est comme un bûcher éteint, consumé, qui a cessé de brûler, immobile et insensible comme un cadavre sur qui tout glisse et que rien ne touche plus (...). C'est extérieurement la couleur la plus dépourvue de résonance. Toute autre couleur, pour cette raison, même celle dont le son est le plus faible, acquiert, quand elle se détache sur ce fond neutre, une sonorité plus nette et une force accrue" (Kandinsky, Du Spirituel dans l'art (et dans la peinture en particulier), Denoël/Gonthier, Médiations, 1969, pp.129, 85 et 88).
En revanche, Paul Klee valorise la dynamique des ténèbres ; il ne sépare donc pas le noir du clair puisque la donnée blanche de la lumière se perdrait dans sa solitude. Or le flux de l'obscur toujours s'oppose à son autre pôle en refusant "la toute puissance amorphe de la lumière" (Klee, Théorie de l'art moderne, Gonthier, Médiations, p.63.) ...
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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