Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
13 Février 2023
Détail d'un tableau de Van Gogh intitulé Verger en fleurs, avril 1888, collection V.W.Van Gogh, Laren reproduit p.93 du livre de Frank Elgar, Van Gogh, Hazan, 1958.
La poésie, la science et la philosophie puisent aux mêmes sources naturelles de la création, mais pas de la même manière, car toutes les œuvres culturelles se situent dans le prolongement de la Nature qui les a rendues seulement possibles, mais sans les déterminer complètement puisque subsiste une part d'indétermination pour chaque auteur de ses propres créations imprévisibles. C'est du reste sans doute, bien loin de Spinoza, à partir de cette immense indétermination que Nietzsche a valorisé le jeu aléatoire de la lumière avec l'obscur qui surplombe tous les abîmes. Il a alors remplacé la vérité de l'Arbre de la Science par de simples vraisemblances, et l'absence de liberté par son apparence.[1] Par-delà mensonges et illusions, le philosophe a alors pu affirmer : "À une hauteur correcte, tout s'assemble au-dessus de l'un : les pensées du philosophe, les œuvres de l'artiste et les bonnes actions." [2] Cet aphorisme exprime en fait le jeu de l'un (l'unité de la Nature) et du multiple (les œuvres culturelles, y compris éthiques) dès lors qu'une hauteur correcte est intensément vécue. Laquelle ? Celle qui permet l'unification et l'expansion des forces vitales uniquement à partir de notre propre finitude : "Tout ce qui est vivant ne peut devenir sain, fort et fécond que dans les limites d'un horizon déterminé." [3] Cela signifie d'abord que, comme pour l'image ordinaire d'un arbre, une hauteur correcte est inséparable de ses largeurs et de ses profondeurs, et ensuite qu'une analogie entre un arbre et soi-même est également possible : "La hauteur est un élément où je me sens profondément, solidement et définitivement enraciné dans mon sol et mon fond propre." [4
Loin de la métaphore de Descartes qui instaurait une comparaison entre la philosophie et un arbre solitaire et abstrait, sans aucun fruit, privé de ciel, d'eau, de terre, qui figurait la métaphysique par ses racines, la physique par son tronc, ses branches étant celles de la mécanique, de la morale et de la médecine… l'arbre de Nietzsche est d'abord celui de la Vie, d'une vie finie et bien enracinée, mais aussi tendue fermement vers l'infini. Et cet arbre est aussi celui de chaque homme qui saura trouver dans la source éternelle de la Nature la puissance qui nourrira ses forces ascendantes et déclinantes en une physique dynamique qui ne sépare pas le ciel, l'air, la terre, la mer et le soleil, sachant que ce dernier est lui-même transporté par toutes les forces matérielles : "La mer veut être baisée et aspirée par le soleil altéré ; elle veut devenir air et hauteur et sentier de lumière, et lumière elle-même ! En vérité, pareil au soleil, j’aime la vie et toutes les mers profondes. Et ceci est pour moi la connaissance : tout ce qui est profond doit monter à ma hauteur ! " [5]
Ainsi l'Arbre de vie est-il pour Nietzsche, comme pour moi-même, la métaphore qui rassemble au-delà d'un scepticisme initial, toutes les perspectives possibles d'un monde terrestre nourri par la Nature infinie. Et ce monde fini fructifie dans les multiples bifurcations (ou ramifications) du devenir incertain et abyssal de l'humanité, c'est-à-dire imprévisible et fragile, à l'image de ce grand arbre solitaire qui, dans Ainsi parlait Zarathoustra, a déployé fermement ses grandes branches au-dessus des durs rochers d'une montagne escarpée ! Et enfin, au-delà de la métaphore de l'Arbre de Vie, un signe est donné par le désir d'infini du prophète du surhumain qui dépasse l'humain en le divinisant.
[1] Nietzsche, Le Voyageur et son ombre, op.cit., §1.
[2] Nietzsche : In einer rechten Höhe kommt alles zusammen und über eins – die Gedanken des Philosophen, die Werke des Künstlers und die guten Taten. Le Livre du philosophe, op.cit., § 16.
[3] Nietzsche, Seconde considération intempestive, De l'utilité et de l'inconvénient des études historiques pour la vie - (Unzeitgemäße Betraachtungen), 1874. Trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1988, n° 483, p. 79.
[4] Nietzsche, Poèmes, L'enchanteur, traduits de l'allemand par Michel Haar, nrf, Poésie / Gallimard, 2006, p. 131.
[5] Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, op.cit., De l’immaculée connaissance.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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