Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
13 Décembre 2016
Joseph Rossi (Le Carrefour). Œuvre reproduite page 47 du livre de Jean-Paul Dubray intitulé Joseph Rossi sa vie son œuvre, éditions Marcel Seheur, 1932.
Les constellations du perspectivisme.
Une méthode perspectiviste permet de compléter un prime constat sceptique en ouvrant le négatif sur l'affirmation d'une constellation de possibilités. Et cette constellation se rassemble autour de trois perspectives majeures : les deux premières, horizontales, semblent dialoguer entre elles : de la peur du gouffre inhérent à la mort vers l'abîme de nos sensations plaisantes ou déplaisantes, du fini vers l'indéfini, et réciproquement. La troisième perspective, verticale, contredit ce côtoiement du vide en chaque acte, toujours nouveau, en entrant en contact avec l'impensable, avec l'inconnaissable, c'est-à-dire avec la Nature infinie qui englobe toutes les réalités. Eu égard à nos dérisoires capacités de connaître notre situation éphémère sur cette terre, les axes de ces trois perspectives créent un éternel jeu entre le clair et l'obscur, ce jeu étant couronné par le schème constellé du perspectivisme. Pour le dire autrement, par cette méthode perspectiviste il faut entendre un cheminement hésitant qui ouvre sur trois approches possibles de la totalité du réel, ces trois approches étant bien distinctes intellectuellement, bien qu'elles soient inséparables dans le vécu de chacun, comme le sont pour un pont les deux rives qu'il réunit. Une première approche affirme, à partir des limites mortelles du vivant, un sentiment qui se resserre sur cette limitation, donc qui rend impossible tout dépassement ou tout saut hors de ces limites. Par ailleurs, la négativité de cette première perspective est renforcée par la sensation (puis par le sentiment) d'une néantisation de tout ce qui est ; cette sensation étant du reste le fruit pervers du cercle suivant : le néant des sensations crée la sensation du néant (et inversement). Une troisième perspective s'impose donc pour sortir de ce miroir aporétique : la totalité du réel ne nous étant pas donnée (même par l'imagination), il est nécessaire de rassembler tous les fragments apparents de cette totalité inachevée, de cette constellation de repères provisoires, sans prétendre atteindre ainsi une vision complète de cette totalité. Cette troisième approche perspectiviste n'unifie donc pas ses diverses visions (perspectives) en les finalisant ; elle les additionne plutôt comme l'avait du reste fait Nietzsche, non sans faire prévaloir la force de l'infini qui oriente tous les points de vue : "Il n'existe qu'une vision perspective, une «connaissance» perspective ; et plus notre état affectif entre en jeu vis-à-vis d'une chose, plus nous avons d’yeux, d’yeux différents pour cette chose, et plus sera complète notre «notion» de cette chose, notre «objectivité.»" [1] Cette troisième approche suspend ainsi chaque doute initial en additionnant des interprétations fragmentaires (en des aphorismes plus ou moins complets) qui ne prétendent pas juger le Tout puisque ce dernier n'est donné à l'homme que dans son propre émiettement incomplet et dans des constellations de fragments : "On dit : le monde n'est que pensée, ou volonté, ou guerre, ou amour, ou haine (…) séparément, tout cela est faux, additionné, c'est vrai."[2] Mais de quelle vérité s'agit-il alors ? Assurément pas d'une vérité partielle qui serait la somme de quelques pensées potentielles, peu à peu énumérées. En fait, la vérité que Nietzsche évoque sans l'atteindre réside dans l'idée qui surmonterait toutes ces pensées fragmentaires, en sautant de l'une vers l'autre, et en hissant leur rassemblement au-dessus du quantitatif, voire au-dessus d'une vague complétude indéfiniment complétée, c'est-à-dire plutôt dans une ouverture toujours recommencée vers la vérité universelle qui demeure pourtant inconnue, celle de l'infinité du temps, c'est-à-dire pour Nietzsche celle de l'éternel retour de toutes les choses. Et cette vérité, à peine dicible, ne sort pas seulement d'une métaphore, d'un puits très profond, mais d'un jeu éternel entre ce qui donne et ce qui se retire, entre ce qui crée et ce qui détruit, entre ce qui conserve et ce qui dépense...
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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