Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Le réel interprété par delà une image de la pensée

C. D. Friedrich

C. D. Friedrich

Le réel interprété par delà une image de la pensée

 

   Afin de constituer une problématique du réel qui pourrait nous enchanter par sa présentation imagée, comme l'allégorie de la caverne chez Platon ou bien comme le ciel étoilé que Kant avait associé à la Loi morale[1], une image pourrait-elle nous donner à réfléchir la problématique du réel en la synthétisant d'une manière provisoire dans un présupposé subjectif ? Ce pourrait être une image du réel pensée dans sa globalité, comme celle d'un être humain au bord d'un précipice qui représenterait une tension entre les profondeurs sensibles d'un corps humain et une ouverture sur l'espace de la Nature infinie vers laquelle la pensée créatrice se tournerait pour se purifier en s'élevant…

   Mais il ne faudrait pas confondre cette image fictive du réel et une image de la pensée d'une partie du réel, cette dernière étant plus abstraite et peu objective. Car c'est subjectivement que peut naître, très secrètement, une image mentale de la pensée, notamment afin de mieux penser, puis afin de découvrir en elle de l'impensé. Par exemple pour Deleuze, une image possible de la pensée serait celle "qui revendique «seulement» le mouvement qui peut être porté à l'infini. Ce que la pensée revendique en droit, ce qu'elle sélectionne, c'est le mouvement infini ou le mouvement de l'infini. C'est lui qui constitue l'image de la pensée."[2]

    Or cette image dynamique de l'infini dépend des différentes intensités du mouvement de la seule pensée, c'est-à-dire de multiples quantités intensives, dans un jeu entre les intensités basses et les intensités hautes, les unes dans les autres, d'une manière informelle et chaotique puisqu'une intensité basse peut miner la plus haute et même être aussi haute que la plus haute, et inversement.

   Ainsi de vibrantes images évolutives de la pensée permettent-elles à Deleuze d'arpenter dynamiquement l'impossible carte d'un immense désert matériel[3], indéfiniment effroyable et délirant, peuplé de corps informes ou sans organes ; sachant que ces images du champ d'immanence, pour ainsi dire rêvées et pré-philosophiques, ont de multiples carrefours ! Et concernant l'aspect chaotique de cette image, cette dernière actualise une sorte d'unité variable du multiple, une unité mouvante, car ébranlée, bredouillée, feuilletée ou criblée, en étant conçue dans "une vitesse infinie de naissance et d’évanouissement", au risque de devenir délirante en remplaçant une vérité par son sens ou par sa valeur : "Une nouvelle image de la pensée signifie ceci : le vrai n'est pas l'élément de la pensée. L'élément de la pensée est le sens et la valeur."[4]

   Mais comme il est également possible de douter de la valeur d'une signification chaotique qui, paradoxalement, fait prévaloir le sens de l'insensé, demeure pourtant l'éventualité de choisir l'autocréation d'une image mentale qui serait sensée. Elle ne serait pas une image de la pensée, mais dans la pensée, le schème d'un point de contact qui rapporte le pensable à l'impensable à partir d'une intuition intellectuelle fondamentale, celle d'un mystérieux lien invisible ou indiscernable, mais supposé vrai, entre le fini et l'infini. 

   Le schème est ainsi un lien entre l'imagination et la perception qui, concentré en un point de contact, jaillit comme une source en créant la double postulation de l'ordre et du chaos, voire celle du caractère fini de l'apparence et du caractère infini de l'Esprit. Et chaque relation signifiée par un schème qui unifie ainsi un imaginaire n'est pas le fruit d'une abstraction tronquée ou idéalisée du réel, car elle exprime le point de rencontre vivant où s'instaure la disjonction ou la réconciliation de l'affirmation et de la négation.


[1] Kant, Critique de la Raison pratique, Conclusion.

[2] Deleuze et Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ? Minuit, 2005, p.40.

[3] "Le mouvement n'est pas image de la pensée sans être aussi matière de l'être." (Deleuze et Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ? op.cit.,  p.41).

[4] Deleuze, Nietzsche et la philosophie, PUF, 1962, p.123.

 
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
Voir le profil de claude stéphane perrin sur le portail Overblog

Commenter cet article