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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Spinoza : une philosophie du désir et de la réflexion

Spinoza : une philosophie du désir et de la réflexion

a) Conatus (effort, vim existendi[1]) : actualité de l'existence d'un corps comme action ; Il exprime ce qui vit en agissant et en persévérant dans son être ou en se conservant soi-même. "Ce qui constitue avant tout l'essence de l'esprit est l'idée du corps existant en acte, ce qui est premier et principal dans notre esprit c'est l'effort pour affirmer l'existence de notre corps."[2] L'effort pour comprendre sera identique à l'effort pour persévérer dans l'être puisque l'être de l'âme est une idée.  Cet effort (conatus), comme le dira Sartre, n'est donc pas assimilable à quelque instinct de conservation ou à la seule satisfaction des besoins.

 

b) les Affects : Les Affects (affectiones) sont des expressions actives ou passives du corps et « les idées des affections du corps ».[3] Comme modes ce seront des affections de la substance.

- « J'entends par Affect les affections du Corps par lesquelles sa puissance d'agir est accrue ou  réduite, secondée ou réprimée, et en même temps que ces affections, leurs idées. Si nous pouvons être la cause adéquate de l'une de ces affections, j'entends alors par Affect une action ; dans les autres cas, une passion.» [4]

- « Il suit de là que l'Esprit est soumis à d'autant plus de passions qu'il a plus d'idées inadéquates, et  qu'il est au contraire d'autant plus actif qu'il a plus d'idées adéquates. » 

 - «Un affect qui est une passion cesse d'être une passion dès que nous en formons  une idée claire et distincte[5] Ces Idées accompagnent les constantes fluctuations hiérarchisées de la puissance d'agir (augmentée ou diminuée) d'un corps : soit vers la servitude soit vers la liberté.

- Dès que mon corps subit l’action d’un autre corps, il est affecté, c’est-à-dire modifié. Les affects pri­mai­res que sont la joie (laetitia) comme  idée inadéquate d'une augmentation de la perfection du corps « en tant que nous sommes actifs »,  et la tris­tesse (tristitia) comme diminution de sa perfection, se ramè­nent en der­nière ins­tance au désir dont ils expri­ment des varia­tions d’inten­sité dues à l’inter­ven­tion des causes exter­nes : "la joie et la tris­tesse est le désir même ou l’appé­tit, en tant qu’il est accru ou dimi­nué, secondé ou réduit par des causes exté­rieu­res.[6]"

 

c) le désir (cupiditas). Le désir n'est pas une « partie » ou une « faculté » de l’âme, mais un affect fon­da­men­tal situé dans l’élan pri­mor­dial du cona­tus comme puissance d'affirmation totale de la Nature (pensante et étendue) et comme effort du corps-âme dans la puissance d'exister et de penser.

- Le conatus est volonté (voluntas) lorsqu'il est tourné vers les idées adéquates puisqu'il se rapporte à l'âme seule, appétit [7] (appetitus) [8] lorsqu'il est tourné vers les idées inadéquates, mutilées, puisqu'il se rapporte confusément à la fois à l'âme et au corps, et désir ou impulsion (cupiditas) lorsque l'appétit a conscience de lui-même. [9]

- L’affect pri­maire qu’est le désir est l'effort pour persévérer (et non de tendre vers un accroissement de la puissance de connaître ou de vivre qui impliquerait des potentialités inaccomplies) dans son être et pour comprendre conjointement par l'Âme et par le Corps.

- Il découle immé­dia­te­ment du cona­tus, mais précède les affects de joie et de tris­tesse.

- "Le désir est l'essence même de l'homme." [10]

- : "Entre l'Appétit (appetitus) et le Désir, il n'y a aucune différence, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu'ils sont conscients de leur appétit, et c'est pourquoi il peut être ainsi défini : Le désir est l'appétit accompagné de la conscience de lui-même." [11]

- Raison et désir sont des expres­sions d’un seul et même effort de l’âme pour per­sé­vé­rer dans son être, effort qui se déploie simul­ta­né­ment sous forme d’idées (adé­qua­tes ou ina­dé­qua­tes), et sous forme d’affects (pas­sifs ou actifs).

- le lien logique d'intériorité y précède le lien avec l'extériorité, car les désirs qui concernent des choses extérieures contingentes ou des parties du corps, naissent d'idées inadéquates, mutilées, c'est-à-dire des sentiments qui nous dominent, sachant que : "le désir qui naît de la joie est plus fort, toutes choses égales d'ailleurs, que le désir qui naît de la tristesse." [12]..

- Le pouvoir du désir (impetus) peut seulement être augmenté (joie) ou diminué (tristesse), non comme pouvoir pur (celui de la puissance de la Nature), mais comme pouvoir singulier de ne pas être entravé par des peurs imaginaires.

"Par fermeté j'entends le désir par lequel chacun s'efforce de conserver son être sous la seule dictée de la raison."[13] Il s’expri­me alors lui-même de manière ration­nelle, libre et active.

- Iden­ti­fi­ca­tion du désir à l’essence de l’âme « … le désir, en tant qu’il se rapporte à l’âme, est l’essence même de l’âme »[14]

 

d) Le bon et le mauvais : "En ce qui concerne le bon et le mauvais, ils ne manifestent non plus rien de positif dans les choses, du moins considérées en elles-mêmes, et ne sont que des modes de penser, c'est-à-dire des notions que nous formons parce que nous comparons les choses entre elles. En effet, une seule et même chose peut être, dans le même temps, bonne et mauvaise, et aussi indifférente. Par exemple, la musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour qui éprouve de la peine ; mais pour le sourd, elle n'est ni bonne ni mauvaise. (…) Par bon, j'entendrai donc par la suite ce que nous savons avec certitude être un moyen de nous rapprocher du modèle de la nature humaine que nous proposons ; par mauvais, au contraire, ce que nous savons avec certitude nous empêcher de réaliser ce modèle." [15]

 

e) le désir du bien :tout désir est bon en lui-même et pour nous en intégrant la valeur (la puissance d'exister) au désir, et non en fonction de ce qui est désiré. De ce point de vue, tout le nécessaire est donné par la Nature et il suffit : "Nos actions, - c'est-à-dire les désirs qui se définissent par la puissance de l'homme, autrement dit par la raison- sont toujours bonnes". Pour cela, il suffit que les désirs soient alors assimilés à la vertu :  "Quant aux autres désirs, ils peuvent être bons ou être mauvais (…) Le suprême désir, qui lui permet de régler tous les autres, est celui qui le porte à se concevoir de façon adéquate, lui-même et toutes les choses qui peuvent tomber sous son intelligence ." [16]  L'ordre de la Nature fonde ainsi un nécessaire accord de la pensée avec le réel, le désir étant guidé par la raison dans cette voie : "Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit ou désir, parce que nous jugeons qu'elle est bonne ; c'est l'inverse : nous jugeons qu'une chose est bonne, parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir." [17]

 

[1] Spinoza, Éthique, III, définition des passions.

[2] Spinoza, L'Éthique, III, dem. prop.10.

[3] Spinoza, Éthique, III, Cor. 1.

[4] Spinoza, Éthique, III, 3.

[5] Spinoza, Éthique, V, 3.

[6] Spinoza, Éthique, III, dém. de la prop. 57, G, II, p. 186, l. 30-32, Ap., III, p. 192

[7] Spinoza, L'Éthique, III, prop.9, scolie : "L'appétit n'est rien d'autre que l'essence même de l'homme."

[8] Spinoza, Éthique, III, prop.9, scolie.

[9] Le désir est l’« essence actuelle » de toute chose.

[10] Spinoza, Éthique, III, déf, aff 1.

[11] Spinoza, Éthique, III, IX, scolie.

[12] Spinoza, Éthique, IV, prop 18.

[13] Spinoza, Éthique, III, 59 sc.

[14] Spinoza, (… cupiditas, quatenus ad mentem refertur, est ipsa mentis essentia), E, IV, dém. 1 de la prop. 37, G, II, p. 235, l. 23-24, Ap., III, p. 252.

[15] Spinoza, Éthique, IV, Préface, p.489.

[16] Spinoza, Éthique, IV, Appendice, 3, 4.

[17] Spinoza, Éthique, III, IX, scolie.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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