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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Spinoza et l'expression

Spinoza et l'expression

Pour Deleuze, il n'y a aucune démonstration explicite du concept de l'expres­sion “l’idée d’expression chez Spinoza n’est objet ni de définition ni de démonstration et ne peut pas l’être”[1]. - il y a deux aspects complémentaires de l'expression de l'unicité de la Nature (hors de toute émanation ou imitation) : explicare et involvere. D'abord explicare signifie expliquer ce qui s'exprime, développer (voire auto-développer), manifester l'un dans le multiple, la substance dans ses attributs, les attributs dans leurs modes (les attributs de Dieu expliquent en même temps l'essence et l'existence de Dieu [2]). Ensuite, involvere signifie envelopper ce qui est exprimé dans sa cause (le multiple dans l'Un), impliquer (les attributs de Dieu enveloppent l'éternité [3]). Pour Misrahi : "Elle n'indique pas une «signification» par laquelle l'objet serait «le signe»  d'un signifié transcendant unique, mais une manifestation actuelle de l'être, c'est-à-dire, plus précisément, l'être en tant qu'on n'opposerait pas le manifesté et sa manifestation, mais en tant qu'on identifierait l'être absolu à ses déterminations exclusives, infinies et unifiées."[4]

 

a) comme déficit : l’exprimant n’est pas complètement dans l’exprimé. Dans l’art, l’expression symbolique compose certes un univers entier à partir de quelques formes, mais les fragments proposés ne sont pertinents que pour l’imagination qui compense le déficit de l’exprimé en élargissant indéfiniment ses significations.  Dans l’expérience ordinaire, il est difficile de trouver une équivalence entre l’exprimant et l’exprimé, l’expression étant soit un concentré, soit une forme aléatoire peu déterminée,

 

b) paradoxale : "Intrinsèque et éternelle, elle est une par rapport à ce qui s'exprime, multiple par rapport à l'exprimé." [5] - l'expression est précédée par le propre qui n'est qu'une indication indéfinie, un signe indéfinissable, qui n'exprime rien et ne cache rien de l'être qu'il présente - Le mot «exprimer» a des synonymes. Les textes hollandais du Court traité emploient uytdrukken-uytbeelden (exprimer), mais préfèrent vertoonen (à la fois manifester et démontrer). (…) Dans le Traité de la réforme, les attributs manifestent l'essence de Dieu : ostendere." [6]

 

c) comme extériorisation : par la parole (vocale, gestuelle ou imagée) certains aspects de sa singularité physique (intonations…), psychologique (sentiments, tempérament…) ou intellectuelle (opinions, convictions). - chaque homme est le centre expressif [7]et non le point de rencontre de la mani­fes­tation de deux attributs de la substance divine unique qui correspondent à chaque moment : l’âme et le corps, sachant que l’âme est l'idée de son propre corps. le corps et l’âme sont deux expressions de la même chose.

 

d) comme explication : Dieu est expliqué comme la cause de l’esprit humain. Expliqué, cela veut dire que Dieu s’exprime dans ce qui l’explique. Donc Dieu est à la fois cause de l’esprit humain, cause de l’amour de l’esprit humain pour Dieu et dans cet amour il s’explique lui-même. Donc l’amour de l’esprit humain pour Dieu est bien une partie de l’amour intellectuel par lequel Dieu s’aime lui-même. - la substance, seule et unique substance, Dieu, cause comme raison suffisante de tous ses effets, exprime son unité adéquatement et d'une manière univoque de deux manières. D'une part, ontologiquement, selon Deleuze la substance (absolument une) se développe comme puissance par soi-même en tant que Nature naturante (comme germe qui unifie le divers à partir de ses propres fondements, sachant que ces fondements la constituent également) : "une véritable constitution, presque une généalogie de l'essence de la substance." [8]  D'autre part la substance (absolument une, infinie,[9] cause de soi et de tout, autonome, qui coïncide avec elle-même) exprime son unicité (se développe) d'une manière univoque dans les attributs distincts et égaux de la Nature naturée (comme miroir de sa vie divine, donc sans la finalité de s'exprimer)

 

e) comme modification ; – Et chaque mode, chaque chose finie, est exprimé par l'affect des attributs comme modification (affect) de la puissance divine selon le même ordre et la même connexion et le même être.

 

f) comme manifestation adéquate : L'idée d'expression implique que tous les aspects caractérisant la réalité constituent les manifestations d'une Nature commune : en effet, le terme indique la (détermination- l'action) et la forme de l’être tout entier en tant qu'il se manifeste. La connaissance expressive est la seule à être adéquate,[10] car elle ne se réduit pas à une représentation ; elle exprime directement et complètement l'essence de la Nature. - La nature qui possède une infinité d’essences pour s'exprimer, s'exprime dans ses attributs dont chacun (pensée ou étendue) est un point de vue sur elle, un point de vue que la substance a sur elle-même, sachant que « chaque attribut exprime une essence éternelle et infinie. » [11]  et que « l’essence de la substance se trouve tout entière dans l’attribut.» [12]- il y a une correspondance d'identité parfaite entre l’être et l'expression d'une chose, entre l’être et la manière dont il est connu.

 

g) comme action synthétique qui unit l'être et le connaître : - il n'existe aucun finalisme dans la Nature qui s'exprime comme le Tout où elle exprime la puissance infinie de sa substance divine. - pour notre entendement, chaque attribut est une affirmation pure, univoque, formelle, actuelle qui exprime l'essence infinie de la substance (l'exprimable)… sachant que l'idée vraie est l'expression (enveloppante) de la puissance infinie de la pensée - Dieu se manifeste dans les attributs qui sont les expressions formelles des qualités constituant son essence éternelle. - Chaque attribut s'exprime dans les modes qui sont des parties de la puissance divine ("l'expression devient à son second niveau une production des choses."[13])-  chaque mode exprime un attribut qui exprime l’essence de la substance – Et chaque mode, chaque chose finie, est exprimé par l'affect des attributs comme modification (affect) de la puissance divine selon le même ordre, la même connexion et le même être. - les modes expriment aussi des affections finies de la substance. - Dieu s'exprime par l'essence de l'âme humaine : "Toutefois, il y a nécessairement en Dieu une idée qui exprime l'essence de tel ou tel corps humain sous le caractère de l'éternité. Démonstration : Dieu n'est pas seulement la cause de l'existence de tel ou tel corps humain, il l'est aussi de son essence (par la Propos. 25, part. 1), laquelle doit en conséquence être conçue nécessairement par l'essence même de Dieu (par l'axiome 4, part. l), et cela en vertu d'une nécessité éternelle (par la Propos. 16, part. 1) ; d'où il suit (par la Propos. 3, part. 2), que ce concept doit être nécessairement en Dieu. [14]- pour Deleuze, l'automate spirituel exprime l’Âme qui coïncide essentiellement avec les idées mêmes qui s'expriment en son interne : en ce sens, nous sommes nous-mêmes nos idées et leurs expressions. - c'est à travers l'expression des idées que nous pouvons connaître la puissance de notre pensée- "Les idées que l'esprit forme «absolument» expriment donc l'infinité." [15] TRE, 108 (infinitatem exprimunt).- Le problème de l'expression se résume alors ainsi : "Dieu s'exprime dans les formes qui constituent son essence, comme dans l'Idée qui réfléchit cette essence. L'expression se dit à la fois de l'être et du connaître. Mais seul l'être univoque, seule la connaissance univoque est expressive. La substance et les modes, la cause et les effets ne sont et ne sont connus que par les formes communes qui constituent actuellement l'essence de l'une, et qui contiennent actuellement l'essence des autres." [16] - Selon Deleuze, les trois dé­ter­minations ou espèces de l'expression sont l’être, le connaître et l'agir ou produire : "c'est l'âge de la raison suffisante : les trois branches de la raison suffisante, ratio essendi, ratio cognoscendi, ratio fiendi ou agendi, trouvent dans l'expression leur racine commune[17]. Le fait d'entendre l'expression comme étant la racine commune de ces trois déterminations constitue le point de départ de la recherche d'une raison suffisante, c'est-à-dire d'une cause interne à l’être même, qui explique les mécanismes de la Nature. - l'infiniment parfait comme propre est ainsi dépassé par l'absolument infini comme nature.[18]

 

[1] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 15.

[2] Spinoza,  Éthique, I, proposition XX, démonstration.

[3] Spinoza, Éthique, I, proposition XIX, démonstration.

[4] Misrahi (Robert), Le désir et la réflexion dans la philosophie de Spinoza, Gramma, 1972, p. 246.

[5] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 162.

[6] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 11.

[7] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 304.

[8] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 10.

[9] Définition VI de la première partie de l'Éthique : Dieu est un être abso­lu­ment infini, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie

[10] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 303.

[11] Spinoza, Éthique, I, définition 6.

[12] Spinoza, Éthique, déf, 6.

[13] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 10.

[14] Spinoza, Éthique, V, prop. XXII.

[15] Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 11.

[16] Deleuze, Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p. 164.

[17] Deleuze, Spinoza et le problème de l'expression, Paris, Les Éditions de Minuit, 1968, p. 299.

[18] Deleuze, Spinoza et le problème de l'expression, Paris, Les Éditions de Minuit, 1968, p. 302.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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