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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

L'art de Jacques Rivette

L'art de Jacques Rivette

   Cependant, cette opposition, entre les cinéastes qui dé­mas­queraient les illusions de la réalité cinéma­tographi­que (Welles, Fellini, Robbe-Grillet) et les ci­néastes qui transcri­raient les apparences pour les conserver ou pour appréhen­der leurs mystères (Renoir, Rohmer), ne va pas au cœur du pro­blème de la création artistique qui requiert aussi de s'interroger sur une autre forme d'écriture, celle qui cherche à dépasser la finitude des épreuves humaines en se jouant des réalités les plus pesantes. Il man­que, sem­ble-t-il, une autre position, notamment celle de Jac­ques Ri­vette, par exemple, qui ou­vre la finitude de toutes les épreuves existentielles sur des balades joyeuses et sur des promenades imprévisibles. À tout moment peut en effet surgir à partir de ces errances une rencontre enchantée, le retournement d'une si­tuation, la légèreté d'un nouvel événement, même dérisoire ou futile (comme dans Céline et Julie vont en bateau).

   Dans son livre, Jean Collet [1]souligne l'importance de ce jeu : "En re­con­naissant qu'il n'y a qu'un sujet de film, le théâ­tre, Jacques Ri­vette nous invite à une découverte capitale : le cinéma est toujours un jeu entre le men­songe et la vé­rité, entre l'artifice et la transparence. Mais si la trans­parence peut être donnée comme un état de grâce, elle est le plus souvent le fruit d'un long tra­vail. C'est par l'accu­mula­tion de tous ses menson­ges, de tous ses arti­fices, que le cinéma nous resti­tue parfois la vérité des choses." Mais com­ment la transposition (théâtrale) des apparences conduit-elle à cette vérité des contes ou des jeux d'enfant ?

   En fait, les films de Jacques Rivette (notamment Cé­line et Julie vont en bateau) instaurent, grâce à l'humour et à la fantaisie de leur style, la dis­tance nécessaire à une véri­ta­ble approche des mystères du réel. Cet écart, clairement pré­sent dans la pre­mière séquence (un chat se déplaçant sur un mur), rapporte le caractère implicite et fini d'une per­ception banale au ca­ractère explicite d'une écriture (ciné­matographi­que) qui met concrètement en scène sa relation avec des mou­vements du monde. Et notre menaçante durée, qui n'en finit pas de surprendre, devient plus familière. 

   L'émotion éprouvée, beaucoup moins, assurément, que dans les films de David Lynch, peut être parfois intense, mais elle n'est qu'un moment de l'interruption de la durée : "Le rôle de l'œuvre d'art, dit Ri­vette, est de plonger les gens dans l'horreur. Si l'artiste a un rôle, c'est d'affronter les gens - et soi-même d'abord - à cette horreur, à ce sentiment qu'on a quand on ap­prend la mort de quelqu'un qu'on aimait."[2]   L'imprévisible alors commande. Puis, ailleurs, comme dans Céline et Julie vont en bateau, l'émotion découvre sa sérénité.

   Pourtant, du fond de toute violence une exigence éthique peut se maintenir ! Une angoisse existentielle finit en effet par s'ouvrir sur l'innocence de Céline et de Julie qui vont en bateau, sans doute parce qu'elles parviennent à créer une cer­taine distance à l'égard de toute forme de pathos. Les films de Rivette restent ainsi dans un projet éthique, c'est-à-dire sou­cieux de la liberté des per­sonnages comme de celle des spectateurs, un peu à la ma­nière des films de Lu­bitsch où les émotions ne seront jamais privées de cathar­sis

 

 

[1] Collet (Jean), Le Cinéma en question, Cerf, 1972, n° 55, p.186.

[2] Collet (Jean), Le Cinéma en question, Cerf, 1972, n° 55, p.72.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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