Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
20 Juillet 2020
Cependant, cette opposition, entre les cinéastes qui démasqueraient les illusions de la réalité cinématographique (Welles, Fellini, Robbe-Grillet) et les cinéastes qui transcriraient les apparences pour les conserver ou pour appréhender leurs mystères (Renoir, Rohmer), ne va pas au cœur du problème de la création artistique qui requiert aussi de s'interroger sur une autre forme d'écriture, celle qui cherche à dépasser la finitude des épreuves humaines en se jouant des réalités les plus pesantes. Il manque, semble-t-il, une autre position, notamment celle de Jacques Rivette, par exemple, qui ouvre la finitude de toutes les épreuves existentielles sur des balades joyeuses et sur des promenades imprévisibles. À tout moment peut en effet surgir à partir de ces errances une rencontre enchantée, le retournement d'une situation, la légèreté d'un nouvel événement, même dérisoire ou futile (comme dans Céline et Julie vont en bateau).
Dans son livre, Jean Collet [1]souligne l'importance de ce jeu : "En reconnaissant qu'il n'y a qu'un sujet de film, le théâtre, Jacques Rivette nous invite à une découverte capitale : le cinéma est toujours un jeu entre le mensonge et la vérité, entre l'artifice et la transparence. Mais si la transparence peut être donnée comme un état de grâce, elle est le plus souvent le fruit d'un long travail. C'est par l'accumulation de tous ses mensonges, de tous ses artifices, que le cinéma nous restitue parfois la vérité des choses." Mais comment la transposition (théâtrale) des apparences conduit-elle à cette vérité des contes ou des jeux d'enfant ?
En fait, les films de Jacques Rivette (notamment Céline et Julie vont en bateau) instaurent, grâce à l'humour et à la fantaisie de leur style, la distance nécessaire à une véritable approche des mystères du réel. Cet écart, clairement présent dans la première séquence (un chat se déplaçant sur un mur), rapporte le caractère implicite et fini d'une perception banale au caractère explicite d'une écriture (cinématographique) qui met concrètement en scène sa relation avec des mouvements du monde. Et notre menaçante durée, qui n'en finit pas de surprendre, devient plus familière.
L'émotion éprouvée, beaucoup moins, assurément, que dans les films de David Lynch, peut être parfois intense, mais elle n'est qu'un moment de l'interruption de la durée : "Le rôle de l'œuvre d'art, dit Rivette, est de plonger les gens dans l'horreur. Si l'artiste a un rôle, c'est d'affronter les gens - et soi-même d'abord - à cette horreur, à ce sentiment qu'on a quand on apprend la mort de quelqu'un qu'on aimait."[2] L'imprévisible alors commande. Puis, ailleurs, comme dans Céline et Julie vont en bateau, l'émotion découvre sa sérénité.
Pourtant, du fond de toute violence une exigence éthique peut se maintenir ! Une angoisse existentielle finit en effet par s'ouvrir sur l'innocence de Céline et de Julie qui vont en bateau, sans doute parce qu'elles parviennent à créer une certaine distance à l'égard de toute forme de pathos. Les films de Rivette restent ainsi dans un projet éthique, c'est-à-dire soucieux de la liberté des personnages comme de celle des spectateurs, un peu à la manière des films de Lubitsch où les émotions ne seront jamais privées de catharsis…
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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