Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
15 Juillet 2012
Claude Stéphane PERRIN
Un regard bienveillant
Extraits de l'ouvrage de Claude Stéphane PERRIN intitulé PHILOSOPHIE ET NON-VIOLENCE (Eris-Perrin, 2012)
Lorsque le regard de l'autre, rarement indifférent, obéit à des traditions libertines, il peut en effet être obliquement pervers…
Si autrui est ainsi considéré avec indifférence (méprisante ou non) ou bien à partir de quelque désir de domination, il est l'objet d'un regard qui à la fois l'objective et le déréalise. Refusé comme moi libre, autrui est donc aliéné par sa propre objectivité. Un exemple paradoxal prouve la complexité des relations humaines, toujours conflictuelles selon Sartre. Dans la perspective où l'enfer c'est les autres, chacun désire posséder l'autre non comme une chose, mais comme une liberté qu'il s'agit de lui ravir. Sur cette voie de l'appropriation, de l'indifférence et du malheur, chacun se tourne vers autrui sans vraiment le rencontrer ; il manque soit un monde, soit une singularité. Il y a, alors, selon Maurice Blanchot, un possible rapport neutre avec autrui (au sens nihiliste), un rapport sans rapport, de l'un à l'autre qui ne renvoie ni à l'Autre, ni à l'Un, puisqu'il est sans Dieu, sans monde et sans nature…
Ce rapport secret met l'abstraction au bord du sensible, comme un regard qui interroge le mystère de l'autre. Et ce rapport n'est vraiment possible que s'il est pudique, que s'il conserve la valeur du secret, que si les pesanteurs du sensible n'objectivent pas trop la rencontre de l'autre. Dans ce cas, chacun pourra être aimé à partir des images qu'il donne de lui-même : celles qui le distinguent, celles où il se distingue dignement. Or, chaque image étant fragile, instable et précaire, l'amour apportera un nécessaire renfort puisqu'il rendra cohérente et digne d'intérêt la métaphore mystérieuse que chacun se donne de lui-même. Et c'est encore l'amour qui approchera la métaphore de la singularité de l'autre d'une manière discrète, ouverte et accueillante….
Si cette relation paisible, discrète et pourtant sensible n'est pas réalisée, l'amour n'est plus qu'une tendance d'attachement et d'union produite par la rencontre d'objets agréables. Comme tout sentiment ordinaire, il n'est plus qu'un banal mélange confus de sensations, d'émotions et de représentations intellectuelles (images, notions, idées). Et, lorsque les sensations prévalent, l'amour se tourne vers un objet susceptible de procurer un plaisir seulement physique. Cet amour relève d'une envie, d'une attirance, d'une tension ou d'un besoin... En revanche, positif et intellectualisé, soucieux du mystère de l'autre, l'amour est une douce tension entre deux êtres qui s'épanouissent dans le partage en clarifiant leurs profondeurs sensibles. Et parfois la rencontre de deux regards peut suffire !
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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