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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Levinas et le mystère des anges

Rembrandt

Rembrandt

 

 

 

 

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Ce chapitre est extrait de l'ouvrage intitulé Les démons de la pensée.

 

 

 

   L'errance concrète de chacun dans son éphémère existence ne saurait trouver un véritable abri que dans l'universalité de la Loi (religieuse ou laïque) qui prescrit à chacun la valeur infinie de l'injonction simple : Tu ne tueras point. À cet égard, le judaïsme donne l'exemple d'une intériorisation simple et humaine de la Loi, du salut par la seule Loi, par la Thora, donc sans pathos.

   Car la Loi parle à la raison de tous les hommes et non à la sensibilité. L'intériorisation de la Loi par chacun conduit alors à créer une relation concrète entre les esprits, d'homme à homme, puis le refus de l'idolâtrie, du délire poétique, de la cruauté aveugle, de l'exaltation qui se croit divine et sans borne, du merveilleux prestige des mythes, de la piété pour les dieux, de toute passion triomphante, de l'impudeur, de l'enthousiasme, de l'ivresse, de l'extase, de tout surplus incontrôlable, de l'orgueil possible de la raison, des tremblements du sacré, de la magie des sacrements religieux… Il reste alors peu de possibilités pour l'interven­tion de quelques démons dans la pensée.  

   C'est du reste dans ce souci de rigueur philosophique que s'est développé le Talmud, plus précisément une interpréta­tion juive du Livre à partir de l'idée de l'universel. Levinas conçoit ainsi son étude : "C'est peut-être le Talmud qui, le mieux, instaure l'idée d'un Esprit un à travers les hommes qui dialoguent et l'idée que des thèses qui s'opposent expriment la Parole d'un Dieu vivant." [1] Dans ces textes toujours ouverts sur de nouvelles interprétations, la réalité exprimée n'est pas celle d'un monde totale­ment converti (ou à convertir), mais celle d'un peuple particulier, vraiment unique, sorti de l'obscur et du désert, qui a fondé des valeurs universelles à partir de la conscience intime, claire et responsable de chacun, certes avec un risque d'orgueil et de nationalisme, mais avec une ferme exigence de réaliser la justice sur toute la terre, par delà toutes les figures du démoniaque.

   Dans ces conditions, le messianisme ne préfigure pas l'universel, mais le rend vraiment actuel chaque fois qu'une singularité devient responsable de la misère des autres hommes, c'est-à-dire au service de l'universelle pauvreté (physique et psychique) de la condition humaine… Ensuite, ce refus de l'abandon des plus démunis et la prescription irrévocable d'une inaliénable égalité entre tous les hommes, se retrouveront dans l'esprit des Lumières, puis dans celui des Droits de l'Homme. Une laïcisation de l'universel présentera alors autrement les valeurs infinies du Droit…

    Du reste, pour Levinas, "un spiritualisme de l'Irrationnel (serait) une contradiction." [2] En courant le risque raisonnable de l'athéisme, le judaïsme n'aurait donc pas voulu séparer le réel du rationnel, car cette séparation aurait engendré l'intervention de la violence du sacré. En consé­quence, comme l'a écrit Levinas, dans la perspective apaisée où le mystère des anges rejoint celui des hommes, chacun participe, à sa manière, à la même vérité divine. Le démoniaque est ainsi déchu comme principe souverain, car le Livre instaure, indépendamment de sa violence, non une doctrine de douceur, mais "une école de douceur".  

   Certes, la finalité non violente de cette conception du  monothéisme n'aurait jamais été possible dans le cadre du destin grec qui sera en effet régi par de violentes divinités mythiques. En revanche, la prime affirmation de la Loi unique prévaut sur le démoniaque en instaurant la totale responsabilité de tous les hommes à l'égard de leurs propres crimes. Car, comme le précise Levinas, "entre hommes, chacun répond des fautes d'autrui. " Par ailleurs, Dieu ne serait concerné que par les fautes commises à son encontre : "Le Dieu du ciel est accessible sans rien perdre de sa transcendance, mais sans nier la liberté du croyant."

   Pour expliquer cette paradoxale désacralisation du sacré qui permet de se rapporter clairement et sans violence à l'Éternel, Levinas cite le Talmud : "Jamais Dieu n'est descendu sur le Sinaï,  jamais Moïse n'est monté au ciel. Mais Dieu plia le ciel comme une couverture, en a recouvert le Sinaï et s'est ainsi trouvé sur terre sans jamais quitter le ciel. "  

   Ainsi, dans cette perspective paradoxale qui ignore les hiérarchies ainsi que les réalités intermédiaires, les anges ont-ils encore une fonction ? On peut en douter, sauf s'ils ne sont plus que les images mystérieuses d'un idéal anticipé, pas trop lointain, mais en renvoyant au divin ou à notre propre rêve de perfection, voire à une valeur universelle. Dans ce cas, les anges expriment à leur manière le mystère du divin et, en même temps, ils ne cessent de nous donner des images concernant nos propres limites. Ou bien, pour le dire autrement, comme l'a écrit Levinas : "L'impossibilité d'échap­per à Dieu - qui en cela du moins n'est pas une valeur parmi d'autres - est le mystère des anges… " [3]

 

 

 


[1] Levinas (Emmanuel), Difficile liberté, LDP, biblio /essais n° 4019, 1976, p. 179.

[2] Levinas (Emmanuel), Difficile liberté, op.cit.,  pp. 21, 213, 34, 42, 37.

[3] Levinas (Emmanuel), Quatre lectures talmudiques, Minuit, 1968, p. 109.

 

 

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TABLE DES MATIÈRES

 

A. Avant-propos.

 

B. Philosophie et religion.

1. Anges ou démons ? (p. 9).

2. Le démon de Socrate. (p. 11).
3. Les messages des anges. (p. 17).

4. Les anticipations démoniaques de la culture. (p. 21).

5. Le paganisme de Nietzsche à l'heure de midi. (p. 29).

 

C. Les démons maléfiques.

1. Les démons de Kafka. (p.33).

2. Rilke, les anges terrifiants et les arrière-plans. (p.47).

3. Le sentiment démoniaque du néant. (p. 57). 

4. Le désir, ce démon de l'impossible. (p. 65). 

5. La métaphore du désert.(p. 71).

6. Heidegger, l'épreuve insensée du "pas encore". (p. 81).

 

D. De l'image à la pensée du simple.

1. Levinas et le mystère des anges. (p. 85).

2. La réalité intermédiaire des images et la  symbolique  des anges. (p. 89).
 

3. Le schème simple et libre de l'image au cœur de l'énergie créatrice.  (p. 97).

 

E. Conclusion.(p. 101).

 

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      Les démons (daimônes) sont-ils des dieux, des figures du destin, de bons génies comme des anges célestes, de mauvais génies comme les anges déchus ; ou bien sont-ils le fruit imagé d'une simple hypothèse pour penser, voire une anticipa­tion pour rêver ? Inconnaissables, ces êtres mythiques nous influen­cent pourtant.

    Dès lors, comment échapper à leurs complexes actions fictives sur la pensée ? Ne faudrait-il pas aller au cœur de leurs images vers une idée simple qui libérerait de leurs influences ? Et ainsi, comment se débarrasser des démons sinistres du néant, de l'orgueil, de la duperie, de la violence, de la mort, de l'insensibilité ou de la folie ?

    Comment créer enfin les conditions nécessaires pour trouver la vérité moyenne et non ambiguë à partir de laquelle chaque homme pourra échapper à tout angélisme mystique ainsi qu'à tout paganisme bestial ?

 

 

 

 

 

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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L
Concernant "l'intériorisation" de la loi : comment l'intériorité vient-elle à l'homme, tout au moins à l'homme qui se représente soi ou soi-même ?
Répondre
C
Une intériorité "cavernée", c'est la domination de l'extériorité sur l'intériorité. En revanche, cette dernière ne demeure ni dans une représentation ni dans un corps ; elle est cela (ce qui pense) qui vise le cœur de sa propre extériorité comme un mystérieux point , neutre ou mythique, au milieu d'un cercle.
L
Ma question concerne seulement ce "cavernement" qui fait "intériorité". Intériorité de quoi ? Demeure en soi, pour accueil de l'autre, oui mais bâtie comment ? Avec quel matériau ? Pour intérioriser, la loi ou l'habitude qui fait loi, ou tout autre capture "en" soi. il me semble qu'il faille un intérieur. À moins qu'il ne s'agisse que d'une métaphore, pur effet de langage que l'on réifirait sans précaution épistémologique ?
C
Le mystère de l'intériorisation de la loi requiert, selon mon humble point de vue, un saut de la représentation de soi (de sa mêmeté, de son identité plus ou moins narcissique) vers l'ipséité (le devenir de son moi qui a le souci de l'autre), car cette ipséité (dans la reconnaissance de toutes les singularités) peut s'ouvrir sur la raison du meilleur pour chacun, donc sur l'universel...