Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
13 Avril 2013
Claude Stéphane PERRIN
Anges ou démons ?
Détail d'un dessin (plume et encre de chine) de Daniel Diebold, 17 x 18, 1972.
Comment expliquer la dérive irrationnelle de l'imagination des hommes vers des images de démons, vers des figures suffisamment ambiguës pour paraître bonnes ou mauvaises ? Le sens abstrait du daimôn grec avait le mérite, notamment chez Socrate, d'être une anticipation imagée, une fiction provisoire, plutôt qu'une pseudo réalité. En revanche, dans les trois religions monothéistes, le démon devient le plus souvent un réel ange déchu, un esprit infernal, le malin, une sorte de diable habitant l'enfer ou les ténèbres, comme Satan, Lucifer.
Par exemple, selon une légende populaire inspirée par le christianisme (dès 1587), Faust, assoiffé de plaisir et de science, a vendu son âme au diable qui a accepté, en retour, de le servir vingt-quatre années et de lui donner du bonheur. Faust périra, mis en pièces par le démon. Et le Méphistophélès de Goethe dira : "Ich bin der geist, der stets verneint" (Faust). Or celui qui prétend toujours nier au nom de l'Esprit ment, car il fait comme si l'Esprit pouvait n'être que négatif, absolument négatif. Méphistophélès nie au nom du principe de la matière, de la jouissance matérielle, qui contredit l'unité de la création en désirant promouvoir l'éternité du néant, donc le mal pour les existants. Certes, Faust représente également pour Goethe l'humanité qui prend conscience qu'elle est condamnée à agir, et qui paradoxalement "erre tant qu'elle agit".
Tout différemment, selon le mystique Jacob Boehme (1), le mauvais esprit chercherait à prendre cruellement possession de l'homme afin de se rendre semblable à Dieu. Dès lors, comment échapper à cette étrange et funeste mythologie centrée soit sur des idées qui idolâtrent le divin en lui fixant un nom, soit sur des images fictives de l'Absolu ? La réponse de Levinas a le mérite d'être cohérente et pourtant mystérieuse : il n'y a pas de différence possible entre la vérité des anges et celle des hommes, car le mystère du divin les recouvre toutes les deux. (2)
Ensuite, sans doute par contamination de sens, le mot démon accompagne des phantasmes, des métaphores ou des représentations. Il personnifie des anges malins et abstraits, comme l'ange glacial de Nietzsche qui veut refroidir les ardeurs métaphysiques, comme l'Ange nouveau de Paul Klee qui confond passé et avenir, ou bien comme celui qui inspire secrètement aux philosophes l'orgueilleux désir du savoir absolu. Dès lors, comment échapper à toutes ces complexes actions fictives et démoniaques sur la pensée ? Ne faudrait-il pas aller au cœur de leurs images vers une idée simple qui libérerait de leurs influences ?
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1. Boehme (Jacob), Mysterium Magnum, Éditions d'aujourd'hui, Les introuvables,
1978, tome 1, neuvième chapitre, p. 109.
2. Levinas (Emmanuel), Difficile liberté, LDP, biblio /essais n° 4019, 1976, pp. 34, 33.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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