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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Les limites du renoncement

Claude Stéphane PERRIN

 

 

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Les limites du renoncement

 

 

   Que penser, dans une perspective certes religieuse, de l'image fictive d'un homme céleste, d'un homme nouveau parfaitement intériorisé ?  Il ne s'agit au mieux que d'espérer remonter d'une création vers son créateur, de l'empreinte vers son modèle. Mais est-il ensuite raisonnable de se comparer à Dieu ?

   C'est ce qu'a pourtant fait Maître Eckhart en désirant vivre au cœur de l'Unité absolue du réel  : "Dans l'Un on trouve Dieu et celui qui veut trouver Dieu doit devenir un." (1) Pour atteindre cette unité et cette pureté divines, le religieux crée en fait le démon d'un détachement absolu qui implique la néantisation de ses connaissances, de ses amours humains et de toute lumière naturelle. Et ce ne serait plus Satan qui prendrait possession de l'homme, ni un ange, mais Dieu lui-même qui s'immiscerait lorsque l'homme se détache du monde pour être "proche du néant" (1). Cette visée de l'anéantissement de soi-même (en désirant être rien) crée alors le démon sinistre d'une mort anticipée, voire l'ambition d'être Dieu, de ressembler à Dieu.

   Dès lors, s'il est effectivement pertinent de vouloir renoncer à la diversité d'une existence vainement complexe, cette visée de la simplicité à partir d'un renoncement total ne produit en fait qu'une abstraction vide de tout contenu, et non la condition nécessaire à la naissance d'un homme suffisamment intériorisé pour créer ses propres libertés. Car un détachement absolu crée surtout les démons de l'oubli et de l'insensibilité par une incompréhensible soumission définitive à ce qui n'est qu'un concept ou une idée de Dieu.

   Manque alors surtout la vertu d'une sorte d'humilité qui resterait en contact avec l'humus de chaque épreuve de la vie. En revanche, pour une philosophie ouverte sur les fondements simples d'une existence (l'acte libre de commencer chaque jour à penser de nouvelles perspectives), le simple ne saurait résider dans la pureté et l'immutabilité d'un sacrifice total du réel en imposant une totale passivité à l'égard d'un dehors fictif et absolu, donc terrible pour sa précaire singularité concrète. En tout cas, une créature finie n'existe pas vraiment dans une fusion avec l'infini. Elle vit dans le possible, parfois au bord de l'infini, et elle anticipe vainement l'Absolu, l'Infini, l'Impossible. Elle devrait plutôt uniquement se rapporter à la source vive ou à la semence ardente que la Nature a déposée en elle dès sa naissance pour la rendre créatrice.

 



1.  Maître Eckhart, Les Traités, Traduction de Jeanne Ancelet-Hustache, Seuil, 1971, pp.149, 161... 

 

 

 

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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