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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Spinoza et l'imagination

Füssli

Füssli

L'imagination, parfois opposée à la pensée réflexive, concerne le corps humain qui accroît empiriquement sa puissance d'agir. [1] La conscience exprime en fait des affections du corps qui ignorent leurs causes, notamment dans la maladie. Ce qui conduit à la tristesse et à l’impuissance.

 

a) L'imagination comme expression passive vague, confuse et sans ordre de "l'image des choses".[2] L'âme n'est sujette que pendant la durée du corps aux affections passives. Démonstration : Un acte d'imagination, c'est une idée par laquelle l'âme aperçoit un objet comme présent et qui cependant marque plutôt l'état présent du corps humain que la nature de l'objet extérieur. En conséquence, une passion, c'est un acte d'imagination en tant qu'il exprime l'état présent du corps ; d'où il suit que l'âme n'est sujette aux passions que pendant la durée du corps. C. Q. F. D. Corollaire : Il suit de là qu'il n'y a d'amour éternel que l'amour intellectuel. Scolie : Si l'on examine l'opinion du commun des hommes, on verra qu'ils ont conscience de l'éternité de leur âme, mais qu'ils confondent cette éternité avec la durée, et la conçoivent par l'imagination ou la mémoire, persuadés que tout cela subsiste après la mort ![3]

b) L'imagination comme idée et comme présence fictive (idea ficta) et indéterminée (entre existence et non-existence). "Aussi longtemps que l'homme est affecté par l'image d'une chose, il considérera la chose comme présente, même si elle n'existe pas (Prop. 17, p. II, avec son Coroll.), et il ne l'imagine comme passée ou future qu'en tant que l'image en est jointe à l'image du temps passé ou futur (voir le scolie de la Prop. 44, p. II). C'est pourquoi, considérée en elle seule, l'image d'une chose est la même, soit qu'on la rapporte au futur ou au passé, soit qu'on la rapporte au présent…" [4] Considérée en elle seule, l'image d'une chose est la même, soit qu'on la rapporte au futur ou au passé, soit qu'on la rapporte au présent…" [5] "Les images des choses sont des affections (affectiones) du corps humain (ses manières d'être affecté) dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents (Scolie de la Prop. 17, p. II), c'est-à-dire (Prop. 16, p. II) dont les idées enveloppent la nature de notre corps et en même temps la nature présente d'un corps extérieur. " [6]

c) L'imagination comme idée tronquée, mutilée [7]par l'usage de la vie et limitée : lorsqu'une image enveloppe à la fois et simultanément l’idée d'une chose extérieure et l’idée d'un corps (l'âme), elle est confuse, mutilée, voire obscure. Il faut alors refuser cette image tronquéepremier genre par l'imagination lorsque la conscience exprime des affections du corps qui ignorent leurs causes, notamment dans la maladie. "Ces termes viennent de ce que le corps humain, à cause de sa nature limitée, n'est capable de former à la fois, d'une manière distincte, qu'un nombre déterminé d'images. De telle façon que si ce nombre est dépassé, les images commencent de se confondre ; et s'il est dépassé plus encore, ces images se mêlent les unes avec les autres dans une confusion universelle. Or, on sait parfaitement (par le Corollaire de la Propos. 17 et la Propos. 18, partie 2) que l'âme humaine est capable d'imaginer à la fois d'une manière distincte un nombre de corps d'autant plus grand qu'il se peut former dans le corps humain plus d'images. Ainsi, dès que les images sont livrées dans le corps à une entière confusion, l'âme n'imagine plus les corps que d'une manière confuse et sans aucune distinction, et les comprend toutes comme dans un seul attribut, l'attribut être ou chose, etc. [8]

d) L'imagination comme acte inconscient et inconstant des causes qui la détermine par ressemblance ou contiguïté : "Fluctuatio animi" . [9]

e) L'imagination

- comme idée fausse et inadéquate : "L'idée fausse n'est qu'un rêve les yeux ouverts, c'est-à-dire en pleine veille." [10] La notion d’ima­gi­na­tion chez Spinoza sert prin­ci­pa­le­ment à dési­gner la connais­sance ina­dé­quate par laquelle seule s’expli­que la nais­sance des pas­sions dans l’âme.

- comme source d'erreur : "Or ces affections du corps humain, dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents, nous les appellerons, pour nous servir des mots d'usage, images des choses, bien que la figure des choses n'y soit pas contenue. Et lorsque l'âme aperçoit les corps de cette façon, nous dirons qu'elle imagine. Maintenant, pour indiquer ici par avance en quoi consiste l'erreur, je prie qu'on prenne garde que les imaginations de l'âme considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d'erroné ; en d'autres termes, que l'âme n'est point dans l'erreur en tant qu'elle imagine, mais bien en tant qu'elle est privée d'une idée excluant l'existence des choses qu'elle imagine comme présentes. Car si l'âme, tandis qu'elle imagine comme présentes des choses qui n'ont point de réalité, savait que ces choses n'existent réellement pas, elle attribuerait cette puissance imaginative non point à l'imperfection, mais à la perfection de sa nature, surtout si cette faculté d'imaginer dépendait de sa seule nature, je veux dire (par la Déf. 7, partie 2) si cette faculté était libre." [11]"Rien de ce qu'une idée fausse contient de positif n'est détruit par la présence du vrai, en tant que vrai. Démonstration : L'erreur consiste dans la seule privation de connaissance qu'enveloppent les idées inadéquates (par la Propos. 35, part. 2), et il n'y a rien de positif dans ces idées qui les fasse appeler fausses (par la Propos. 33, part. 2). Tout au contraire, en tant qu'elles se rapportent à Dieu, elles sont vraies (par la Propos. 32, part. 2). Si donc ce qu'une idée fausse a de positif était détruit par la présence du vrai, en tant que vrai, il faudrait donc qu'une idée vraie se détruisit elle-même, ce qui est absurde (par la Propos. 4, part. 3). Donc, rien de ce qu'une idée fausse, etc., C. Q. F. D. Scholie : Cette proposition se conçoit plus clairement encore par le Coroll. 2 de la Propos. 16, part. 2. Car une image, c'est une idée qui marque la constitution présente du corps humain bien plus que la nature des corps extérieurs ; et cela, non pas d'une manière distincte, mais avec confusion. Voilà l'origine de l'erreur. Lorsque, par exemple, nous regardons le soleil, notre imagination nous dit qu'il est éloigné de nous de deux cents pieds environ ; et cette erreur persiste en nous tant que nous ignorons la véritable distance de la terre au soleil. Cette distance connue détruit l'erreur, mais elle ne détruit pas l'image que se forment nos sens, c'est-à-dire cette idée du soleil qui n'en exprime la nature que relativement à l'affection de notre corps ; de telle sorte que tout en connaissant fort bien la vraie distance qui nous sépare du soleil, nous continuons à l'imaginer près de nous. Ce n'est pas, en effet, ainsi que nous l'avons dit dans le Schol. de la Propos. 35, part. 2, parce que nous ignorons la vraie distance où nous sommes du soleil, que nous l'imaginons près de nous ; c'est parce que l'âme ne conçoit la grandeur du soleil qu'en tant que le corps en est affecté. Ainsi, quand les rayons du soleil, tombant sur la surface de l'eau, se réfléchissent vers nos yeux, nous nous représentons le soleil comme s'il était dans l'eau, bien que nous sachions le lieu véritable qu'il occupe. Et de même, toutes les autres images qui trompent notre âme, soit qu'elles marquent la constitution naturelle de notre corps, soit qu'elles indiquent l'augmentation ou la diminution de sa puissance d'agir, ne sont jamais contraires à la vérité, et ne s'évanouissent pas à sa présence. Du reste, s'il arrive, quand nous sommes sous l'empire d'une fausse crainte, que des nouvelles vraies que nous recevons la fassent évanouir, il arrive aussi, quand nous redoutons un mal qui doit certainement arriver, que de fausses nouvelles dissipent nos appréhensions. Et, par conséquent, ce n'est pas la présence du vrai, en tant que vrai, qui détruit les impressions de l'imagination ; ce sont des impressions plus fortes, qui, de leur nature, excluent l'existence des choses que l'imagination nous représentait, comme nous l'avons montré dans la Propos. 17, part. 2." [12]

f) L'imagination comme renversement du réel : "Or ces affections du corps humain, dont les idées nous représentent les corps extérieurs comme nous étant présents, nous les appellerons, pour nous servir des mots d'usage, images des choses, bien que la figure des choses n'y soit pas contenue. Et lorsque l'âme aperçoit les corps de cette façon, nous dirons qu'elle imagine. Maintenant, pour indiquer ici par avance en quoi consiste l'erreur, je prie qu'on prenne garde que les imaginations de l'âme considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d'erroné ; en d'autres termes, que l'âme n'est point dans l'erreur en tant qu'elle imagine, mais bien en tant qu'elle est privée d'une idée excluant l'existence des choses qu'elle imagine comme présentes. Car si l'âme, tandis qu'elle imagine comme présentes des choses qui n'ont point de réalité, savait que ces choses n'existent réellement pas, elle attribuerait cette puissance imaginative non point à l'imperfection, mais à la perfection de sa nature, surtout si cette faculté d'imaginer dépendait de sa seule nature, je veux dire (par la Déf. 7, partie 2) si cette faculté était libre." [13]

g) L'imagination comme délire : "Le délire c'est le renversement imaginaire qui pose comme réalité objective ce qui n'est qu'une image, fruit de notre Désir et projection de nos peurs. L'ordre ou la beauté de la Nature ne sont rien en dehors de l'imagination." [14] - "Les arbres parlent comme les hommes." [15] Par des enchaînements hasardeux. "En réalité, l'avarice, l'ambition, le désir sexuel sont des sortes de délire quoiqu'on ne les range pas parmi les maladies." [16]

h) L'imagination comme cause de tristesse par impuissance

i) L'imagination crée le langage : "Les mots désignent trop souvent des êtres non de raison, mais d'imagination." [17] "Le langage est constitué par des signes arbitraires et contingents , il est adapté au niveau intellectuel de la foule."[18] Spinoza conserve le vocabulaire traditionnel, en change la signification et définit.

j) L'imagination crée la fiction de l'universel - "C'est par des causes semblables que se sont formées les notions qu'on nomme universelles ; par exemple, l'homme, le cheval, le chien, etc. Ainsi, il se produit à la fois dans le corps humain tant d'images d'hommes, que notre force imaginative, sans être épuisée entièrement, est pourtant affaiblie à ce point que l'âme humaine ne peut plus imaginer le nombre précis de ces images, ni les petites différences, de couleur, de grandeur, etc., qui distinguent chacune d'elles. Cela seul est distinctement imaginé qui est commun à toutes les images, en tant que le corps humain est affecté par elles ; et il en est ainsi, parce que ce dont le corps humain a été le plus affecté, c'est précisément ce qui est commun à toutes les images ; et c'est cela qu'on exprime par le mot homme, et qu'on affirme de tous les individus humains en nombre infini, le nombre déterminé des images échappant à l'imagination, comme nous l'avons déjà expliqué.— Maintenant, il faut remarquer que ces notions ne sont pas formées de la même façon par tout le monde ; elles varient pour chacun, suivant ce qui dans les images a le plus souvent affecté son corps, et suivant ce que l'âme imagine ou rappelle avec plus de facilité. Par exemple, ceux qui ont souvent contemplé avec admiration la stature de l'homme entendent sous le nom d'homme un animal à stature droite ; ceux qui ont été frappés d'un autre caractère se forment de l'homme en général une autre image ; c'est un animal capable de rire, un animal bipède sans plumes, un animal raisonnable, et chacun se forme ainsi, suivant la disposition de son corps, des images générales des choses. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que tant de controverses se soient élevées entre les philosophes qui ont voulu expliquer les choses naturelles par les seules images que nous nous en formons." [19]

k) L'imagination comme moyen utile : "Nous unissons plus facilement les images des choses avec les images qui se rapportent aux objets que nous concevons clairement et distinctement qu'avec toute autre sorte d'images. Démonstration : Les objets que nous concevons clairement et distinctement, ce sont les propriétés générales des choses, ou ce qui se déduit de ces propriétés (voyez la Défin. De la raison dans le Scol. 2 de la Propos. 40, part. 2) ; et conséquemment, ces objets se représentent à notre esprit plus souvent que les autres (par la Propos. précéd.) ; d'où il suit que la perception simultanée de ces objets et du reste des choses devra s'opérer avec une facilité particulière, et par suite que les images des choses se joindront à ces objets plus aisément qu'à tous les autres (par la Propos. 18, part. 2)." [20]

 

[1] Spinoza, Éthique, III, 12.

[2] Spinoza, Éthique,  II, 17, scolie, III, 27, dém. V, 1.

[3] Spinoza, Éthique, V, prop. XXXIV.

[4] Spinoza, Éthique, III, De l'origine et de la nature des affections, démonstration de la proposition XVIII.

[5] Spinoza, Éthique, III, De l'origine et de la nature des affections, démonstration de la proposition XVIII.

[6] Spinoza, Éthique, III, prop. XXVII, dém.

[7] Spinoza, Éthique, II. 35, II. 29 cor et sc, II. 49 sc, III. 1 dém, IV. app 2, V. 28 dém.

[8] Spinoza, Éthique, I, prop.XL, scolie 1.

[9] Spinoza, Éthique, III, 59.

[10] Spinoza, Traité de la réforme de l'entendement, §66.

[11] Spinoza, Éthique, I, prop.XVII, scolie.

[12] Spinoza, Éthique, IV, prop. I.

[13] Spinoza, Éthique, I, prop.XVII, scolie.

[14] Misrahi (Robert), Spinoza, Seghers,1966, p.34.

[15] Spinoza, Éthique, I, VIII, scolie II.

[16] Spinoza, Éthique, IV, XLIV, sc.

[17] Spinoza, Éthique, I, appendice.

[18] Spinoza, Traité de la réforme de l'entendement, § 89.

[19] Spinoza, Éthique, I, prop.XL, scolie 1.

[20] Spinoza, Éthique, V, prop. XII.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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