Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
8 Février 2022
Morale de Spinoza : La pensée du Bien requiert une faculté pure et universelle : la raison : "Le désir de bien faire, qui vient de ce que nous vivons sous la conduite de la Raison, je l'appelle Moralité." [1] Pour Spinoza, la moralité (pietatem) affirme avec vigueur ses valeurs : l'idée de justice par exemple. Elle comprend pourtant, d'abord, la ferveur du religieux (pietas). Ensuite, elle cherche comment peuvent se créer des liens sociaux conformes à l'idéal de paix de toute respublica (laquelle n'est pas sans analogie avec les communautés religieuses). L'espace social ainsi reconnu pourra situer et occuper, en dehors de lui, l'espace vide créé par l'abandon du pouvoir religieux.
Morale de Spinoza pour Brunschvicg : "Pour le judéo-chrétien, le monde moral est dominé par une dispute incessante de bons anges et de malins génies comme, pour le physicien à la manière péripatéticienne, le monde sublunaire s'expliquait par un antagonisme de forces qui orientent l'âme du grave vers le bas, l'âme du léger vers le haut. Chez Spinoza, l'intelligence de la nature et le dénouement de notre destinée ne supposent rien d'autre que le progrès d'une activité autonome. Et de la hauteur où la vérité se manifeste claire et distincte en nous, le brouillard ou l'erreur se résout dans son inconsistance intrinsèque, entraînant avec lui les passions qui sont liées aux représentations confuses de l'individu : tristesse, crainte, haine. Dieu, participé seulement du dehors dans l'inconscience de l'imagination, ne saurait donc se rencontrer avec Dieu auquel l'être participe du dedans par l'expression adéquate de l'essence dans l'ordre de l'étendue ou de la pensée. Le médecin qui se soigne lui-même, s'il n'est que médecin du corps, demeurera, selon le langage aristotélicien, dissocié en matière de patient et en forme d'agent. Mais le propre de la médecine spirituelle est qu'il suffit à l'homme de comprendre les causes de son esclavage pour en être par là même affranchi. Encore faut-il qu'il sache ce que c'est véritablement que comprendre. Aussi la dernière ligne de l'Éthique est-elle consacrée à rappeler qu'il n'y a pas en philosophie de Voie royale. Puisque le salut est en nous, c'est une fausse charité, celle dont nous escompterions le secours pour suppléer à la sagesse en nous épargnant l'effort très ardu qui, seul, assurera la liberté de la raison et la joie de la vertu." Extrait d’Écrits philosophiques, tome premier, L'humanisme de l'occident, Descartes-Spinoza-Kant par Léon Brunschvicg, PUF, 1951, p. 170.
Morale de Spinoza pour Sylvain Zack : "On peut distinguer, par exemple, parmi les morales philosophiques, deux types de morale : une morale de type aristocratique et une autre de type démocratique. La sagesse grecque, accessible seulement à des personnes douées de qualités intellectuelles et morales exceptionnelles, est l'idéal d'une morale aristocratique qui répartit les hommes en Sages et ignorants. La morale du devoir de Kant, expression laïcisée de la morale chrétienne, est, au contraire, une morale démocratique : il ne faut pas avoir des qualités intellectuelles particulières pour accomplir le devoir ; il suffit d'être un homme. Comment situer la morale de Spinoza ? En un sens, elle est une morale aristocratique. Le but primordial de l'homme, susceptible de donner à son existence sens et consistance n'est pas de l'ordre de l'action physique et sociale, mais de l'ordre de la contemplation. L'effort pour comprendre est le premier et unique fondement de la vertu et trouve sa justification en lui-même. Seule la connaissance vraie est salvatrice. Or tous les hommes ne font pas cet effort de comprendre. (…) Mais, en même temps, la morale de Spinoza est une morale démocratique. Tout d'abord, il y a, selon lui, une morale de tout le monde, morale universelle, aisément saisissable par tous les esprits, proche voisine de la morale, conséquence de la philosophie. Cette morale trouve sa première application dans l'État des Hébreux, à un moment donné de son développement, où aucun citoyen ne dépend d'un autre citoyen, mais où tous dépendent de Dieu. (…) Mais Spinoza ne s'est jamais proposé de régenter les opinions des autres. S'il veut, lui-même, vivre pour la vérité, il comprend que les autres préfèrent rester dans l'erreur et même mourir pour elle. Mais, malheureusement, les théologiens des différentes religions, confondant «charité» et «ambition», se livrent combat les uns aux autres et s'entendent, tous ensemble, à attaquer la liberté de philosopher. Accusé d'athéisme, uniquement parce qu'il a tâché de dévoiler les préjugés des théologiens et d'en débarrasser les plus avertis, Spinoza n'a-t-il pas été persécuté non seulement par ses anciens coreligionnaires, mais aussi par les différentes églises chrétiennes ? D'où la nécessité de défendre la liberté de penser, condition indispensable de toute vie philosophique et de toute entente au sein de la cité, là où les opinions religieuses sont divergentes. Cette liberté de penser, à condition qu'elle ne contredise pas les exigences de la justice, il la revendique pour tous. Elle est solidaire de son plaidoyer en faveur de la démocratie. (…) L'idée profonde de Spinoza, c'est que l'idéal démocratique favorise le mieux l'avènement d'une sagesse aristocratique, fondée sur la connaissance vraie…(…) Mais s'il n'y a pas de place, dans la philosophie de Spinoza, pour une morale personnaliste, il est vrai cependant que toute sa réflexion vise à mettre en relief la puissance de l'homme, sa valeur et même son pouvoir de se diviniser, sans pour autant avoir à dépasser la condition humaine." Sylvain Zac, La morale de Spinoza, PUF, 1959 et 1966, p. 111-114.
Morale de Spinoza pour Robert Misrahi : "La morale spinoziste ne consistera pas à quitter le Désir pour rejoindre la Valeur, mais inversement à intégrer la valeur au Désir et à rechercher la meilleure réalisation de celui-ci. À la limite, et par paradoxe on pourrait presque dire qu'il n'y a pas de «morale» chez Spinoza, ou que, au contraire, tout est morale : tout en l'homme est la recherche de la plus grande puissance d'exister, et la philosophie n'a pas à proposer une autre fin que la nature elle-même : simplement il se trouve que la nature est parfois si confuse et incertaine qu'elle ne saurait parvenir du premier coup à sa propre réalisation. La seconde tentative ne sera pas extra-naturelle mais intelligente ; la raison est aussi de l'ordre de la nature."(Robert Misrahi, Spinoza, Seghers,1966, p.74.)
[1] Spinoza, Éthique, IV, p. 37, sc 1.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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