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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Averroès et Dieu

Averroès et Dieu
Averroès et Dieu

Philosophie : "La philosophie comme possibilité d'un discours humain qui ne puiserait sa vérité qu'en lui-même et non dans la Révélation."[1] "La philosophie n'a d'autre finalité que de faire connaître une félicité intellectuelle à certains individus, ceux en mesure de faire l'apprentissage de la sagesse (hikma), alors que les Révélations, elles, visent l'enseignement de la foule (jumhûr) en général, bien que cependant, nous ne trouvions aucune d'entre les Lois révélées qui ne signale aussi les choses qui concernent en propre les sages, tout en se préoccupant de ce qui est commun aux hommes de la foule." [2] - Averroès a donné à la philosophie, à la falsafa, dans une fatwa (le Discours décisif), son caractère  obligatoire, comme le veut la Loi musulmane. Ne pas éclairer le texte par une réflexion philosophique serait nuire à la foi du fidèle, en livrant ce dernier aux interprétations contradictoires qui conduisent soit au scepticisme (impuissance de la raison), soit au sectarisme (intolérance quant au libre exercice de la raison). Averroès a écrit: « Le Coran tout entier n'est qu'un appel à l'examen et à la réflexion, un éveil aux méthodes de l'examen ». "Si vous révérez Dieu, Il vous accordera le discernement." (Coran, VIII, 29) "Et révérez Dieu, Dieu vous instruira." (Coran, II, 282) Pour Averroès, la philosophie est à la fois rationaliste ("La philosophie tend à faire connaître le bonheur parmi les gens raisonnables" - LIncohérence de «l'Incohérence», p.582), positive (selon Philon d'Alexandrie, Abraham serait le premier des philosophes) et critique (non dogmatique, faillible et non contradictoire avec la vérité de la foi et des dogmes non rationnels qui sont précisément distingués). Sa pensée concilie les exigences de la Révélation (qui invitent, incitent, appellent, éveillent, instruisent) avec la philosophie d'Aristote dans sa logique (l'Organon, le syllogisme rationnel), mais il s'agit aussi de connaître Dieu comme artisan à partir de la perfection de son œuvre, ce qui renvoie plutôt au démiurge de Platon.

Dieu : D'abord, nul n'a le droit de dire comment est Dieu : "toutes ces discussions relèvent de l'acte de qualifier indûment (takyf) une substance qui ne peut être qualifiée par l'intellect humain, car, sinon, l'Intellect éternel (azali) et l'intellect générable et corruptible seraient une seule et même chose." [3] Mais il y a d'abord la référence du Texte précieux : "C'est Lui qui a créé le cieux et la terre en six jours. Son trône était alors sur l'eau." (Coran, XI, 7). Néanmoins, le philosophe peut créer une "jonction" avec l'intellect agent de Dieu (sa substance séparée et éternelle), par exemple dans la contemplation, mais cette connaissance ne doit pas être communiquée à la foule qui n'y verrait qu'un songe. 

- Il y a deux voies d'accès à Dieu : par la providence et par une création conforme à la raison.

- Dieu se définit soit par une formule négative : soit "Rien n'est semblable à Lui." (Coran, XLII, 12), car il n'a pas de quiddité (mâhiyya), ni de forme, soit comme l'Être, soit comme le Tout Autre, soit comme Lumière (an-Nûr) : "Dieu est la lumière des cieux et de la terre." (Coran, XXIV, 35), c'est-à-dire l'un des 99 Noms coraniques de Dieu. La lumière "réunit les caractéristiques suivantes : être sensible ; n'être point saisissable par la vue non plus que par l'entendement ; et cependant, n'être pas un corps." [4] La métaphore de la lumière permet une analogie : "De même que la lumière rend visible en acte à la vue ce qui était visible en puissance, l'intellect agent est ce qui rend intelligible en acte par l'intellect matériel ce qui était intelligible en puissance, les formes présentes dans l'imagination." [5]

- En effet, Dieu, dans sa Sagesse, ne se limite pas à la Raison : il est lumière. C'est la théorie de l'illumination : l'intellect agent séparé qui est le même pour tous les hommes  illumine chaque corps qui serait sinon incapable de parvenir à se faire une idée des formes intelligibles (les quiddités des choses).

 - Dieu veut sans une volonté pure et universelle (ce serait abstrait et irrationnel) ni particulière (ce serait sans unité), car il crée en connaissant et il connaît en créant. Dieu, éternel moteur, est séparé et il est incorporel, pure actualité, sans matière, pensée pure, transcendant et principe du monde . En conséquence : "Rien d'adventice ne peut résider dans le Créateur."[6]

- Dieu crée comme un artisan : "L'objet fabriqué (masnû') prouve qu'il n'est point le fait d'un artisan qui serait la nature, mais qu'il provient d'un artisan qui y a mis chaque chose à sa juste place, et qui devait donc connaître cet objet." [7]

- "Dieu connaît la chose avant qu'elle n'existe en tant que cette chose va exister, qu'Il connaît la chose lorsqu'elle existe en tant qu'elle existe effectivement, et qu'Il connaît ce qui est passé au moment où cela est passé." [8]

 

- Dieu est l'Intellect (Al'aql) : -  Chez Aristote, les intelligibles ou formes intelligibles désignent le « ce que c'est » de la chose connue, son essence (générique) ou « quiddité » pour les médiévaux, du point de vue de l'intellect. L'intellect agent (ou actif) est la faculté d'abstraire la forme intelligible d'une chose perçue, en effaçant ses particularités sensibles, et en liant les formes entre elles. Il se distingue de l'intellect patient (ou passif) qui est la faculté de recevoir possiblement les formes intelligibles. Cette réception commence originairement avec la sensation en acte d'une chose. La réception des formes par l'intellect patient donne lieu à une actualisation de ces formes par l'intellect agent. Lorsque l'Intellect agent reçoit une majuscule, dans la Philosophie islamique, il désigne l'intellect divin qui illumine les hommes et actualise en eux les formes intelligibles, à partir du contact des choses perçues. L'intellect agent (Dieu - forme intelligible toujours en acte, par soi, qui se pense soi-même, immatériel) meut la forme passive de l'intellect (imaginative, individuée, corruptible, car mélangée à la matière) qui est notre intellect possible (une disposition pure en nous) qui a son tour meut la forme matérielle ou réceptive de l'intellect (objectivement en puissance qui n'est pas unie à l'intellect agent). "Sa théorie (d'Averroès) de l'intellect est dirigée contre l'interprétation d'Alexandre d'Aphrodise. On sait que, dans l'intellect en acte, l'intelligence est identique à l'intelligible qu'elle pense : or l'intelligible est éternel ; l'intelligence est donc éternelle comme lui : mais si le sujet qui pense les intelligibles est éternel, on demande comment nous, qui sommes corruptibles, nous pourrons le penser: Alexandre, faisant de l'intellect matériel, qui est en nous-mêmes, un être engendré et corruptible, est par là incapable d'expliquer comment nous les pensons. Il faut donc que l'intellect matériel, s'il est capable de penser, soit inengendré, incorruptible, identique pour tous les hommes. Mais alors la difficulté est inverse : comment s'explique notre activité intellectuelle propre qui commence à un certain moment du temps ? La seule solution possible est d'admettre que cet acte intellectuel n'est pas une intellection nouvelle, un acte qui nous unisse en ce moment à l'intellect agent ; ce qui vient de nous, et ce qui disparaît avec nous, c'est cette simple disposition, appelée intellect passif, qui consiste en ce que l'état de nos images nous permet de recevoir l'éternelle émanation de l'intellect agent." [9]

 

Matière : Indéteminée, non simple, n'existant pas en soi (comme la couleur), elle préexiste à l'acte créateur de Dieu : "Il s'est ensuite tourné vers le ciel, qui était une fumée." (Coran, XLI, 11). "Les philosophes ont trouvé que toutes celles d'entre ces choses qui sont générées l'étaient par (bi) quelque chose, qu'ils ont nommé «forme», qui est l'entité (ma'nâ) par laquelle la chose devient existante après qu'elle a été non existante ; et de (min) quelque chose qu'ils ont nommé «matière», qui est ce de quoi la chose est constituée." [10] "Les formes des existants sensibles ont bien des degrés d'être, dont le plus vil est leur existence dans la matière." [11]

 

Pensée (fikr) : pouvoir imaginatif rationnel de l'intellect possible, passible et humain. D'abord, le plus éminent (Dieu) pense le moins éminent en en étant la cause, tandis que le moins éminent se pense en tant qu'il est causé, et réciproquement. En effet, la pensée singulière diffère de l'intellect agent, car elle est liée à des images en permettant à mon intellect possible (en partie matériel) de faire que l'intelligible soit abstrait de mes images en s'acheminant "vers la jonction" (ittisāl, une jointure sans dualité) avec l'intellect agent (cette substance séparée) en dépassant l'abstraction, en s'élevant au niveau des substances séparées et de l'intelligible pur : "aussitôt l'intellect agent se joint à nous".

 

 

[1] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, Paris, Flammarion, coll. «GF»,

 2020, p. 79.

[2] Ce qui est signalé n'étant que suggéré par le Texte. Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p.198.

[3] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p.171.

[4] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p.129.

[5] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p. 130.

[6]Averroès,  L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p.119.

[7] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p.117.

[8] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p.119.

[9] Bréhier (Émile), Histoire de la philosophie, tome I, L'antiquité et le moyen âge, 3. Moyen âge et renaissance, P.U.F. 1967, p.554.

[10] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p. 173.

[11] Averroès, L'Islam et la raison : Anthologie de textes juridiques, théologiques et polémiques, op.cit., p. 181.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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