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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

La morale de Spinoza

La morale de Spinoza

Morale : La pensée du Bien requiert une faculté pure et universelle : la raison : "Le désir de bien faire, qui vient de ce que nous vivons sous la conduite de la Raison, je l'appelle Moralité." [1]  Pour Spinoza, la moralité (pietatem) affirme avec vigueur ses valeurs universelles : l'idée de justice par exemple. Elle comprend donc, d'abord, la ferveur du religieux (pietas). Ensuite elle cherche comment peuvent se créer des liens sociaux conformes à l'idéal de paix de toute respublica (laquelle n'est pas sans analogie avec les communautés religieuses). L'espace social ainsi reconnu pourra situer et occuper, en dehors de lui, l'espace vide créé par l'abandon du pouvoir religieux.

 

Morale de Spinoza par Lagneau : "Spinoza se déclarait pour la grâce contre la volonté, pour l'amour contre la raison, pour l'humilité contre la superbe, pour Pascal contre Épictète, ajoutons, contre Descartes et les mécanistes moraux, à qui il sait pourtant faire leur part. Il tendait, par-dessus Kant, la main à Schleiermacher." [2]

 

Mal pour Lagneau interprétant Spinoza : "La prédestination résulte du fait que Dieu ne saurait agir autrement qu'il n'agit, et que tout le possible se réalise ; il n'y a pas de choses contingentes. Objectera-t-on qu'il y a du mal dans le monde et du mal moral ? Mais ni le mal ni le péché ne sont rien de réel ; ce sont des êtres de raison naissant du préjugé qui nous fait concevoir des types parfaits de chaque genre et leur prêter une existence chimérique." [3]

 

Morale : Spinoza par Brunschvicg : "Pour le judéo-chrétien, le monde moral est dominé par une dispute incessante de bons anges et de malins génies comme, pour le physicien à la manière péripatéticienne, le monde sublunaire s'expliquait par un antagonisme de forces qui orientent l'âme du grave vers le bas, l'âme du léger vers le haut. Chez Spinoza, l'intelligence de la nature, le dénouement de notre destinée, ne supposent rien d'autre que le progrès d'une activité autonome. Et de la hauteur où la vérité se manifeste claire et distincte en nous, le brouillard ou l'erreur se résout dans son inconsistance intrinsèque, entraînant avec lui les passions qui sont liées aux représentations confuses de l'individu : tristesse, crainte, haine. Dieu, participé seulement du dehors dans l'inconscience de l'imagination, ne saurait donc se rencontrer avec Dieu auquel l'être participe du dedans par l'expression adéquate de l'essence dans l'ordre de l'étendue ou de la pensée. Le médecin qui se soigne lui-même, s'il n'est que médecin du corps, demeurera, selon le langage aristotélicien, dissocié en matière de patient et en forme d'agent. Mais le propre de la médecine spirituelle est qu'il suffit à l'homme de comprendre les causes de son esclavage pour en être par là même affranchi. Encore faut-il qu'il sache ce que c'est véritablement que comprendre. Aussi la dernière ligne de l'Éthique est-elle consacrée à rappeler qu'il n'y a pas en philosophie de Voie royale. Puisque le salut est en nous, c'est une fausse charité, celle dont nous escompterions le secours pour suppléer à la sagesse en nous épargnant l'effort très ardu qui, seul, assurera la liberté de la raison et la joie de la vertu." Extrait de Écrits philosophiques, tome premier, L'humanisme de l'occident, Descartes-Spinoza-Kant par Léon Brunschvicg, PUF, 1951, p. 170.

 

Morale de Spinoza par Sylvain Zac Extraits de La morale de Spinoza par Sylvain Zac, PUF, 1959 et 1966, p. 111-114."On peut distinguer, par exemple, parmi les morales philosophiques, deux types de morale : une morale de type aristocratique et une autre de type démocratique. La sagesse grecque, accessible seulement à des personnes douées de qualités intellectuelles et morales exceptionnelles, est l'idéal d'une morale aristocratique qui répartit les hommes en Sages et ignorants. La morale du devoir de Kant, expression laïcisée de la morale chrétienne, est, au contraire, une morale démocratique : il ne faut pas avoir des qualités intellectuelles particulières pour accomplir le devoir ; il suffit d'être un homme. Comment situer la morale de Spinoza ? En un sens, elle est une morale aristocratique. Le but primordial de l'homme, susceptible de donner à son existence sens et consistance n'est pas de l'ordre de l'action physique et sociale, mais de l'ordre de la contemplation. L'effort pour comprendre est le premier et unique fondement de la vertu et trouve sa justification en lui-même. Seule la connaissance vraie est salvatrice. Or tous les hommes ne font pas cet effort de comprendre. (…)  Mais, en même temps, la morale de Spinoza est une morale démocratique. Tout d'abord il y a, selon lui, une morale de tout le monde, morale universelle, aisément saisissable par tous les esprits, proche voisine de la morale, conséquence de la philosophie. Cette morale trouve sa première application dans l'État des Hébreux, à un moment donné de son développement, où aucun citoyen ne dépend d'un autre citoyen, mais où tous dépendent de Dieu. (…) Mais Spinoza ne s'est jamais proposé de régenter les opinions des autres. S'il veut, lui-même, vivre pour la vérité, il comprend que les autres préfèrent rester dans l'erreur et même mourir pour elle. Mais, malheureusement, les théologiens des différentes religions, confondant «charité» et «ambition», se livrent combat les uns aux autres et s'entendent, tous ensemble, à attaquer la liberté de philosopher. Accusé d'athéisme, uniquement parce qu'il a tâché de dévoiler les préjugés des théologiens et d'en débarrasser les plus avertis, Spinoza n'a-t-il pas été persécuté non seulement par ses anciens coreligionnaires, mais aussi par les différentes églises chrétiennes ? D'où la nécessité de défendre la liberté de penser, condition indispensable de toute vie philosophique et de toute entente au sein de la cité, là où les opinions religieuses sont divergentes. Cette liberté de penser, à condition qu'elle ne contredise pas les exigences de la justice, il la revendique pour tous. Elle est solidaire de son plaidoyer en faveur de la démocratie. (…) L'idée profonde de Spinoza, c'est que l'idéal démocratique favorise le mieux l'avènement d'une sagesse aristocratique, fondée sur la connaissance vraie…(…) Mais s'il n'y a pas de place, dans la philosophie de Spinoza, pour une morale personnaliste, il est vrai cependant que toute sa réflexion vise à mettre en relief la puissance de l'homme, sa valeur et même son pouvoir de se diviniser, sans pour autant avoir à dépasser la condition humaine."

 

Spinoza et le Judaïsme : "Lagneau avait un fort préjugé contre les Juifs. J'objectai un jour Spinoza et Jésus-Christ, ce qui le fit rire…" [4] Que pensait Lagneau du judaïsme de Spinoza ? Il a écrit : "Cette chasse à l'unité absolue est bien juive. On peut admettre une prédisposition due à l'éducation religieuse (c'est aussi platonicien), mais l'unité spinoziste n'est pas l'unité abstraite, c'est l'unité immanente, et il fallait la puissance de pensée de Spinoza pour la concevoir ou, pour mieux dire, la sentir dans sa plénitude, où tout le reste est condensé." [5] "Spinoza est un platonicien, mais un platonicien juif, c'est-à-dire rigoriste et abstrait. Son Dieu c'est l'Être, le Jehovah, qui pense éternellement : je suis Celui qui suis. S'il est aussi le bien, ce n'est pas en lui-même, mais dans l'entendement et dans la volonté des créatures pensantes."[6] Dans une note consacrée au Court Traité, Lagneau a écrit : "L'inspiration juive n'est pas moins évidente dans l'éthique de Spinoza que dans sa métaphysique. Le trait original de la race juive, on l'a remarqué souvent, est la tournure pratique et positive de l'esprit. La Bible est le livre d'un peuple qui voulait bien vivre, εύ πράττειν, faire son chemin dans le monde. Il y trouvait à la fois la règle morale de la conduite et le secret de réussir. Cette idée essentiellement juive, que le moyen d'être heureux est de bien gouverner sa vie et de sacrifier tout à cette préoccupation, que Dieu, le principe de vie, c'est par rapport à l'homme la justice, et que la justice est la suprême habileté, Spinoza l'aperçut dans la Bible. (…) Peut-être aussi faudrait-il chercher dans l'idée moniste abstraite et sémitique l'explication de cette idée et celle du spinozisme tout entier. Il y a dans Spinoza du Platon et du Descartes ; mais le principe de son originalité n'est pas là."[7] "Ce qu'il paraît y avoir de bien juif dans Spinoza, mais qui ne lui vient pas de telle doctrine, mais de l'esprit même de ce peuple, c'est la préoccupation pratique, la fin pratique où tend tout système d'un homme qui nie la finalité dans le monde et ne connaît que l'être nécessaire et la spéculation à outrance. Encore redevient-il purement chrétien et grec dans la façon de traiter cette pratique. Il attend tout de la grâce rationnelle, de la vertu spéculative." [8] "Spinoza est un amant de ce monde, c'est un Juif attaché à cette terre, citoyen du monde." [9]

 

Utile : L'utile propre est spécifique, commun, bon (lié à la raison morale) et réel comme le souverain bien, la béatitude, la joie et la vertu. [10]

 

La joie et la tris­tesse se ramè­nent en der­nière ins­tance au désir dont elles expri­ment des varia­tions d’inten­sité dues à l’inter­ven­tion des causes exter­nes : « la joie et la tris­tesse est le désir même ou l’appé­tit, en tant qu’il est accru ou dimi­nué, secondé ou réduit par des causes exté­rieu­res »« … laetitia, et tristitia est ipsa cupiditas, sive appetitus, quatenus a causis externis augetur, vel minuitur, juvatur, vel coercetur », E, III, dém. de la prop. 57, G, II, p. 186, l. 30-32, Ap., III, p. 192."Une augmentation de la puissance de penser pourra vaincre les affects tristes." [11]

 

Traité poli­ti­que : dans un État : « … la raison enseigne à pratiquer la moralité et à vivre dans la tranquillité et la bonté du cœur, ce qui n’est possible que dans un État » (… ratio pietatem exercere, et animo tranquillo, et bono esse docet, quod non nisi in imperio fieri potest), TP, chap. 2, § 21, G, III, p. 283, l. 13-15, trad. Moreau, p. 31.. Elle se dis­tin­gue tou­te­fois de la liberté fondée sur la seule puis­sance de l’intel­lect, celle-ci ne pou­vant carac­té­ri­ser plei­ne­ment que la com­mu­nauté éthique et la com­mu­nauté éternelle, dans les­quel­les le désir, tant indi­vi­duel que col­lec­tif, s’exprime sous des formes ration­nel­les et acti­ves.

 

Morale de Spinoza par Alain : "Lagneau ne traitait jamais de morale. C'est assez d'apprendre à penser… La morale est pour soi et non pour autrui…" [12]

 

Nietzsche et Spinoza : "Je suis étonné, ravi ! J'ai un précurseur et quel précurseur ! Je ne connaissais presque pas Spinoza. Que je me sois senti attiré par lui en ce moment relève d'un "acte instinctif". Ce n'est pas seulement que sa tendance globale soit la même que la mienne : faire de la connaissance, l'affect le plus puissant - en cinq points capitaux je me retrouve dans sa doctrine ; sur ces choses ce penseur, le plus anormal et le plus solitaire qui soit, m'est vraiment très proche : il nie l'existence de la liberté de la volonté ; des fins ; de l'ordre moral ; du non-égoïste ; du Mal ; si, bien sûr nos divergences sont également immenses, du moins reposent-elles sur les conditions différentes de l'époque, de la culture, des savoirs. In summa : ma solitude qui, comme du haut des montagnes, souvent, souvent, me laisse sans souffle et fait jaillir mon sang, est au moins une dualitude. - Magnifique !" [13]

 

Éthique et morale pour Deleuze interprétant Spinoza : Théorie de la puissance, la morale étant la théorie des devoirs selon Deleuze.[14] L’affect, c'est l’augmentation ou la diminution de sa puissance d’exister ; le percept, c’est une certaine aptitude à percevoir plus ou moins de choses ; mais le doublet, affect-percept, c’est plus que la forme du vrai, c’est le domaine de la puissance, et la puissance se dira aussi bien comme morale ou comme éthique. L’éthique, selon Spinoza, cela veut dire que chacun de nous, autant qu’il lui est possible, fasse en sorte que sa puissance d’exister augmente au maximum, et en même temps, en vertu des circonstances objectives (ça vaut aussi pour un mourant), s’efforce de devenir apte à percevoir le plus de choses.( Texte inspiré du cours de Gilles DELEUZE / IMAGE MOUVEMENT - IMAGE TEMPS Cours Vincennes 13/12/1983) "Au début du livre Trois de l’Éthique, Spinoza lance vraiment des choses qui ressemblent à des espèces de cris, de cris de la pensée. Il crie quand il parle du petit bébé, du somnambule et de l’ivrogne : le petit bébé à quatre pattes. Le somnambule qui se lève la nuit en dormant et qui va m’assassiner et puis l’ivrogne qui se lance dans un grand discours. Spinoza dira : « Oh ! Finalement, on ne sait pas ce que peut le corps ». Cela prépare singulièrement à un autre cri qui retentira longtemps après et qui sera comme la même chose en plus contracté lorsque Nietzsche lance : «L’étonnant c’est le corps.» C’est un cri, une réaction envers certains philosophes pour leur dire : écoutez, arrêtez avec l’âme, avec la conscience, etc. Vous ne savez même pas ce que c’est que le corps et vous venez nous parler de l’âme. Spinoza nous propose un "modèle" du corps, évidemment c’est d’une grande méchanceté pour les autres philosophes de l'époque qui n’ont pas cessé de parler de la conscience et de l’âme. Et dès lors, compte tenu des propos de Spinoza, ils le traitent de matérialiste alors que, lui aussi, il ne cesse pas de parler de l’âme, mais d’une drôle de façon qui se comprend très bien." (Extrait résumé Gilles Deleuze cours de Vincennes)

 

Spinoza et le problème du mal : Deleuze (Gilles), Spinoza et le problème de l'expression, Minuit, 1968, p.225."Qu'est-ce que le mal ? Il n'y a pas d'autres maux que la diminution de notre puissance d'agir et la décomposition d'un rapport. Encore la diminution de notre puissance d'agir n'est-elle un mal que parce qu'elle menace et réduit le rapport qui nous compose. On retiendra donc du mal la définition suivante : c'est la destruction, la décomposition du rapport qui caractérise un mode (les affections d'une substance). Dès lors, le mal ne peut se dire que du point de vue particulier d'un mode existant : il n'y a pas de Bien ni de Mal dans la Nature en général, mais il y a du bon et du mauvais, de l'utile et du nuisible pour chaque mode existant. Le mal est le mauvais du point de vue de tel ou tel mode. Étant nous-mêmes hommes, nous jugeons le mal de notre point de vue ; et Spinoza rappelle souvent qu'il parle du bon et du mauvais en considérant la seule utilité de l'homme. Par exemple, nous ne songeons guère à parler d'un mal lorsque, pour nous nourrir, nous détruisons le rapport sous lequel existe un animal. Mais en deux cas, nous parlons de «mal» : lorsque notre corps est détruit, notre rapport décomposé, sous l'action d'autre chose ; ou bien lorsque nous-mêmes détruisons un être semblable à nous, c'est-à-dire un être dont la ressemblance suffit à nous faire penser qu'il convenait en principe avec nous, et que son rapport en principe était composable avec le nôtre." (Cf. Éthique, III, 47, dém.)

 

[1] Spinoza, Éthique, IV, p. 37, sc 1.

[2] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Sur le Court Traité de Spinoza,  P.U.F. 1964, p.47.

[3] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Sur le Court Traité de Spinoza,  P.U.F. 1964, p.44.

[4] Alain, Les Passions et la sagesse –Souvenirs concernant Jules Lagneau, Pléiade, 1960, p.724.

[5] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, P.U.F. 1964, page 59. 

[6] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Sur le Court Traité de Spinoza,  P.U.F. 1964, p.41.

[7] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Sur le Court Traité de Spinoza,  P.U.F. 1964, note (2), p.41.

[8] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Quelques notes sur Spinoza, P.U.F. 1964, p. 57.

[9] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Quelques notes sur Spinoza, P.U.F. 1964, p. 58.

[10] Spinoza, Éthique, IV 28 dem, IV app4, IV app31, V 41 dém.

[11] Spinoza, Éthique, II 41 dem, IV 59 dem.

[12] Alain, Les Passions et la sagesse –Souvenirs concernant Jules Lagneau, Pléiade, 1960, p.720.

[13] Nietzsche, Lettre à Franz Overbeck, Sils-Maria, le 30 juillet 1881.

[14] Deleuze, Spinoza, Philosophie pratique, 1981, p.143.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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J
J'ai bien relu le scolie de la proposition 37 dans la IV° partie de l'Ethique, Spinoza, Éthique, IV, p. 37, sc 1. je ne trouve pas la "moralité", mais la piété, traduite le latin pietatem par moralité ne me parait pas très fidèle à l'esprit du texte….(merci de préciser à quelle traduction vous vous référez)
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C
Page 520, Pléiade. Pietatem a été traduit par Moralité. (… ratio pietatem exercere, et animo tranquillo, et bono esse docet, quod non nisi in imperio fieri potest),