Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
12 Avril 2021
La liberté pour Spinoza :
- "L'homme libre, c'est-à-dire celui qui vit suivant les seuls conseils de la raison, n'est pas dirigé dans sa conduite par la crainte de la mort, mais il désire directement le bien." [1]
- "Les hommes se trompent en ce qu'ils se croient libres et cette opinion consiste en cela seul qu'ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de la liberté, c'est qu'ils ne connaissent aucune cause de leurs actions." [2]
- "Les hommes se croient libres parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit, et qu'ils ne pensent pas, même en rêve, aux causes qui les disposent à désirer et à vouloir, parce qu'ils les ignorent."[3]
- "L'homme qui est dirigé par la raison est plus libre dans la Cité où il vit selon le décret commun que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même (…) L'homme qui est dirigé par la raison n'est pas conduit par la crainte à obéir ; mais, en tant qu'il s'efforce de conserver son être suivant le commandement de la raison, c'est-à-dire en tant qu'il s'efforce de vivre librement, il désire observer la règle de la vie et de l'utilité communes et, en conséquence, vivre suivant le décret commun de la Cité. L'homme qui est dirigé par la Raison désire donc, pour vivre plus librement, observer le droit commun de la Cité." [4]
- "J'appelle libre, quant à moi, un chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature, contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une façon déterminée. Dieu par exemple (…) Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité." [5]
- Ce qui se détermine par soi-même à agir : obéir à la nécessité de sa propre nature. Nécessité intérieure (agir et penser selon la raison[6]) qui devient béatitude[7], salut [8]ou vertu [9]. Seul Dieu est cause libre. [10]
L'interprétation de Spinoza par Lagneau
- "La vraie liberté ; c'est l'état souverainement actif de l'âme, celui où ses actions extérieures sont parfaitement d'accord avec sa nature interne, c'est-à-dire avec celle des autres âmes et avec Dieu. Alors toute passivité et toute servitude disparaissent." [12]
- "La vue libre et universelle d'un esprit qui voit tout, parce qu'il domine tout, et qu'il a trouvé, sans sortir de chez lui ou en y rentrant à propos la vraie perspective.(…) Pour s'affranchir des choses, il faut les juger, et pour les juger, il faut s'opposer à elles, aux idées qu'on en a, c'est-à-dire s'opposer à soi-même, appeler la personne incomplète que l'on est, à la barre de la personne idéale, universelle, qui met tout à son rang parce qu'elle est au-dessus de tout, que rien ne l'attache ni ne l'incline." [13]
- "Dans l'homme l'esprit doit commander et non servir, parce que seul il a en lui-même sa fin et sa signification, et que la vie n'a de valeur que celle qu'il lui confère en lui mettant sa marque. (…) Nous songerons que les idées n'ont la vie que si l'esprit la leur conserve en les jugeant toujours, c'est-à-dire en se tenant plus haut, et qu'elles cessent d'être bonnes, qu'elles cessent même d'être des idées, lorsqu'elles cessent d'être à la fois l'assise et l'expression en acte de la liberté intérieure." [14]
- Liberté de la puissance de l'idée réelle : "Son principe, le contraire du fait, en est l'absolue justification (priorité rationnelle sur lui). L'idée de puissance (d'où celle des facultés) est donc un produit de la réflexion : la puissance n'est pas un objet donné, mais une construction de la pensée, et il s'agit, pour connaître la pensée, non pas de subir cette construction et de la décrire (observation et induction), mais de la comprendre en la rectifiant (réflexion), c'est-à-dire de la dépasser : de poser un système d'idées et de le déposer." [15]
- "Il y a nécessairement une forme suprême et totale au-dessus de toute forme-matière ou particulière, et l'idée de la liberté ou mieux de la volonté est ici." [16]
- "L'idée de la liberté n'est autre que celle de la disproportion absolue entre cette forme et la vérité, c'est-à-dire que c'est l'idée de l'insuffisance de l'idée à exprimer la vérité : dualité irréductible de l'idée, et cependant elle est unité ; contradiction. Elle suppose donc autre chose, et au fond tout jugement, même inadéquat, est libre. Il est pensée et la pensée n'est ni donnée ni forme, mais mouvement de l'une à l'autre (finalité).(…) Cette liberté, il est vrai, est imparfaite, mais elle peut se parfaire en se connaissant. La parfaite liberté et le contenu positif de l'idée de liberté et l'acte suprême de la raison (comprendre) c'est de reconnaître l'insuffisance de l'idée à exprimer l'être."[17]
- "La raison : liberté, spiritualité, perfection. Aucun de ces degrés n'est contenu dans l'inférieur, et c'est même l'inverse qui est le vrai, car le supérieur est dans l'inférieur, mais ignoré."[18]
- "C'est par la mesure (de la sensation) et la conception que nous déterminons la représentation. Tout est donc en un sens nécessité, mais en l'autre libre. Nécessité en tant qu'il suppose du donné indéfiniment ; libre en tant que le donné n'explique rien et s'explique par autre chose dans l'autre sens. On reste dans la nécessité si l'on suit le mouvement naturel des idées dans le même ordre, contenant le supérieur, mais ignoré ; on s'élève dans la volonté en entrant dans la connaissance proprement dite, par le doute (conditionné encore mais non absolument) portant seulement sur la présence des conditions d'application de la forme, non encore conçue comme irréalisable. On s'élève dans la région de la raison, de la liberté, quand, par un acte de réflexion, on prend conscience de la nécessité, et, par conséquent de l'infériorité de la forme. En ce cas liberté au 1er degré, détachement de toute la connaissance empirique par la conscience de l'impossibilité de trouver entièrement réalisées dans la représentation les conditions d'application de la forme. La mathématique et la logique ou mieux la critique rend possible le doute expérimental, conscience de la relativité indéfinie de l'expérience. Ce détachement n'est pas le doute, car il supprime le doute. La liberté est, au 2e degré, dans l'acte par lequel nous nous détachons des formes elles-mêmes en les comprenant, en saisissant leur raison d'être dans autre chose qu'elles. Elles sont ainsi à la fois démontrées et détruites. La raison s'achève dans l'acte par lequel elle se détache d'elle-même, en se comprenant. Comprendre, c'est douter ou plutôt se détacher, faire acte de liberté."[19]
- "La raison c'est la pensée en tant qu'elle pose sa propre nature. La liberté, ou la raison réfléchie, ou la philosophie, c'est la pensée en tant que, comprenant par la réflexion le sens des formes, c'est-à-dire de la nature qu'elle s'est donnée, elle s'affranchit de ses objets et d'elle-même en tant qu'objet, c'est-à-dire c'est l'immanence de l'être à la pensée et le sentiment de cette immanence. Autrement dit la liberté c'est la pensée supra-intellectuelle ou la pensée identique à son objet, ou le sentiment absolu, la pensée détachée des idées, comme insuffisantes, le détachement métaphysique."[20]
[1] Spinoza, Éthique, IV, prop. LXVII
[2] Spinoza, Éthique, II 35 sc. I app, II 3 sc, III 2 sc.
[3] Spinoza, Éthique, I, appendice, p.347.
[4] Spinoza, Éthique, IV, 73.
[5] Lettre LVIII à Schuller.
[6] Spinoza, Éthique, IV 67 dém.
[7] Spinoza, Éthique, V Préf
[8] Spinoza, Éthique, V 36 sc.
[9] Spinoza, Éthique, II 49 sc, fin.
[10]Spinoza, Éthique, I, 17 cor 2 ; L 58.
[12] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Sur le Court Traité de Spinoza, P.U.F. 1964, p.49.
[13] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Discours de Sens, P.U.F. 1964, p. 23.
[14] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Un programme d'union et d'action, P.U.F. 1964, p. 31.
[15] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Fragments, P.U.F. 1964, p. 119.
[16] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Fragments, P.U.F. 1964, p. 130.
[17] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Fragments, P.U.F. 1964, p. 131.
[18] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Fragments, P.U.F. 1964, p. 132.
[19] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Fragments, P.U.F. 1964, p. 133.
[20] Lagneau (Jules), Célèbres leçons et fragments, Fragments, P.U.F. 1964, p. 134.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
Voir le profil de claude stéphane perrin sur le portail Overblog