Alain interprétant Jules Lagneau

Lagneau : "Le seul Grand Homme que j'aie rencontré.(…) Jules Lagneau était un homme roux, barbu, de haute taille et se tenant droit. Les mains, le visage, le cou avaient des taches de rousseur dorées (…) Ce qui étonnait d'abord, c'était un front de penseur, une sorte de coupole qui semblait avancer au-dessus des yeux ; un crâne haut, large, important aussi en arrière, à première vue démesuré…" [1]"Lagneau avait la sévérité du saint, mais il ignorait nos existences aventureuses." [2]"Cet homme voulait être religieux, et, dans un sens profond, il l'était." [3] "Lagneau ne pensait point théologiquement, ni politiquement, ni pour le bonheur, ni pour la vertu ; mais sans soutien aucun de ce monde, et toujours tenant la preuve entre ses doigts ; assuré et confirmé en sa place d'homme ; toujours creusant, toujours trouvant ; assez riche du monde autour et de soi. Souvent il m'apparut comme le Génie de la Terre." [4]

Action : "Demander, par exemple, si l'homme peut commencer d'agir, n'est-ce pas se mettre hors de la situation humaine ? Car l'homme ne cesse jamais d'agir ; il ne passe point de la pensée à l'action, mais plutôt son action se déroule sans interruption aucune, car il est toujours quelque part ; et, se tenir ici et non là, cela change tout. Sa pensée cependant suit ses actions, tantôt devant, tantôt derrière, plus ou moins approchée, adhérente, attentive, en sorte que l'action est tantôt machinale, tantôt imitée, tantôt réglée d'après la perception claire, comme on voit pour le pilote, qui tient toujours la barre, mais qui considère tantôt le profit, tantôt l'étoile, tantôt la risée."[5]

Âme : "L'âme humaine ne se connaît point elle-même.(…) Une idée vraie est nécessairement l'âme d'un être particulier." [6]

Amour : "Il faut aimer. Et il ne suffit pas d'aimer." [7]

Clarté : "Il fuyait et haïssait le clair. Clarum per obscurius, ce fut sa devise. Car la clarté est comme un refus. Mais la Pensée est justement le refus du refus." [8] "Ainsi les idées claires font énigme par leur clarté ; ce que Platon ne se lasse pas de nous faire entendre." [9]

Corps : "C'est en ces pensées planantes, et comme abstraites de nous-mêmes, que nous sommes corps." [10]

Dieu : "Dieu ne peut être dit exister." [11] "Même dans l'Éthique, connaître Dieu ce n'est pas penser comme Dieu." [12]

Esprit : "Il se peut aussi que l'Esprit leur fasse peur, par la liberté infinie qu'ils y trouvent, car l'Esprit peut nier tout, et c'est la démarche propre de toute pensée de se réfugier d'abord en ce centre de négation…" [13] "L'Esprit n'est ni loin, ni caché, ni derrière nous, ni derrière la chose, mais dedans." [14] "Comme le monde ne se retire point de l'esprit, l'esprit ne se retire point du monde. C'est pourquoi j'ai mis en avant ces deux formules que la sensation est un abstrait et qu'il n'y a point de connaissance subjective. C'est toujours le vrai qui éclaire le faux ; l'esprit est partout présent, et entier partout." [15]

Existence : "Ce conflit de toutes choses ne nous est connu dans le fait que par des changements dans notre corps. L'existence réelle c'est notre existence. Toute autre connaissance de l'existence est abstraite, comme des lois du choc et du rebondissement, et nous traduit seulement le possible." [16]"Ainsi l'existence, quoiqu'elle dépende des conditions extérieures, n'est point réduite aux conditions extérieures ; mais le moindre des êtres a sa perfection propre, qui se trouve tantôt augmentée, tantôt diminuée ; et telle est la clef de la Nature, et le principe de toute Philosophie de l'Esprit, entendue comme Philosophie de la Nature." [17]

Idée : "L'idée n'est point séparée, ni séparable ; l'Esprit n'est ni loin, ni caché, ni derrière nous, ni derrière la chose, mais dedans." [18] "En toute idée il y a jugement, c'est-à-dire affirmation. Ainsi l'idée n'est pas chose. Mais la volonté n'en succombe pas moins sous le poids de l'être, et l'idée fausse n'est rien." [19]

Image : "La pure image n'étant plus qu'une affection de notre corps." [20]

Liberté :"Je n'en puis avoir aucune expérience, parce que ce qui est objet d'expérience est chose. Mais, par la même raison, je ne puis trouver d'expérience qui prouve qu'elle n'est pas." [21]

Morale : "Lagneau ne traitait jamais de morale. C'est assez d'apprendre à penser… La morale est pour soi et non pour autrui…" [22]

Pensée : "Il s'agissait de retrouver toute la pensée dans la moindre de nos pensées…dans le moindre objet pensé." [23] "Qu'est-ce que je pense quand je dis au dehors ? cette idée-là ne m'est jamais venue." [24] "La surface sans profondeur n'est pas objet de pensée." [25]"Mais la Pensée est justement le refus du refus." [26] "Il n'y a, disait-il, qu'un fait de pensée, qui est la Pensée." [27]

Perception : "La vérité de la perception ne peut être perçue ; il n'y a pas de lieu d'où l'on voie toutes les parties d'une maison." [28] "Dans une perception sont toujours compris ensemble le réel, le possible et l'union des deux ; hors de quoi ou après quoi il n'y a rien." [29]

Plaisir : "L'esprit n'étant pas fait pour cela, et portant mieux tout malheur que la négation de lui-même…" [30]

Rêve : "L'esprit rêvait ; le monde était son rêve." [31]

Scepticisme : "Le pyrrhonisme vient toujours de ce que l'on imagine au lieu de concevoir." [32]

Sensation : "La sensation est un abstrait…" [33]

Spinoza : "En Spinoza, a-t-il dit, tout est étalé et abstrait, tout est objet." [34]