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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Des raisons

Paul Klee

Paul Klee

Le mot raison vient du latin ratio (calcul, plan, et surtout rapport… de reri, ratus sum : penser, être d'avis…). La raison est la faculté, commune à tous les êtres humains (avec la sensibilité, l’imagination et l'entendement), qui leur permet de poser des principes (valeur, ordre, unité), puis de les développer (raisonner) selon quatre opérations de l'esprit (concevoir, juger, raisonner et ordonner) d'une manière pertinente, c'est-à-dire en raison valide…

 

Raison empirique, raisonnable, limitée, voire absurde : "Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure de mon doigt." - "Toutes les opinions et notions des choses auxquelles nous avons été accoutumés dès notre enfance prennent si profondément racine qu'il nous est impossible, par toutes les puissances de la raison et de l'expérience, de les déraciner." [1]

 

Raison limitée : sensible, déraisonnable, multiple : "La lumière de la raison n'est dans l'humanité vue que comme des rayons voilés ou brisés par l'épaisseur des nuages." (Nietzsche) Le principe de raison ne doit pas chercher à s'appliquer illusoirement dans le réel sensible en privilégiant des principes tels que ceux du déterminisme ou du finalisme. - Multiple, la raison n'est dans ses effets qu'un faisceau de raisons de la volonté, elle ne dépend donc pas d'un seul principe, ce qui lui permet de se reconnaître dans ses propres limites (sans vouloir aller au-delà d'elle-même et sans ne vouloir qu'elle-même), ce qui la conduirait à la folie. Montaigne parle, à ce sujet, d'une "raison déraisonnable, folle et forcenée..." [2]

 

Raison comme principe éthique : "De même que l'enfant doit vivre selon les commandements de son maître, de même notre faculté de désirer doit se conformer aux prescriptions de la raison." [3]

 

Raison désirante et bonne  : "Le désir (cupiditas) est l'essence même de l'homme, c'est-à-dire l'effort par lequel l'homme s'efforce de persévérer dans son être." - "Nos actions, - c'est-à-dire les désirs qui se définissent par la puissance de l'homme, autrement dit par la raison- sont toujours bonnes" -  "Nous jugeons qu'une chose est bonne, parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir." [4] - "La Raison ne demande rien contre la Nature ; elle demande donc que chacun s'aime soi-même, qu'il cherche l'utile qui est sien (suum utile), c'est-à-dire ce qui lui est réellement utile, et qu'il désire (appetat) tout ce qui conduit réellement l'homme à une plus grande perfection ; et, absolument parlant, que chacun s'efforce, selon sa puissance d'être, de conserver son être.  (…) D'où suit que les hommes qui sont gouvernés par la Raison, c'est-à-dire les hommes qui cherchent sous la conduite de la Raison ce qui leur est utile, ne désirent rien pour eux-mêmes qu'ils ne désirent pour les autres hommes, et par conséquent sont justes, de bonne foi et honnêtes." [5]  

 

Raison et langage : "L'homme doit donc comprendre qu'il ne peut être satisfait que par la raison et le langage (λόγος), non pas en son être personnel, mais en tant qu'élément universel de la communauté, en tant qu'individu pensant." - "Le langage est tel que la discussion peut aboutir à l'accord. L'homme peut faire confiance au langage, parce que le langage ne mène pas à la contradiction, qu'il est raisonnable. L'homme n'est homme – et non pas animal – que dans la mesure où il participe de cette raison." [6]

 

Raison et discussion : "La discussion est une catégorie et partant irréductible. On ne la comprend pas, on comprend par elle…" – " C'est en tant qu'universel que l'homme est individu pensant : individu et indivisible parce qu'élément de la discussion, il joue son rôle seulement comme membre de la communauté de la discussion. Il n'y a pas de différence de raison entre les individus, puisque le sens de la discussion est précisément de faire disparaître la contradiction ; les différences sont de l'ordre des faits, injustifiées et injustifiables ; elles n'existent qu'au début de la discussion, pour être éliminées par le travail commun, la réalisation de la raison. Dans son essence, l'individu n'est pas un homme, c'est l'homme."- "C'est la discussion qui libère l'homme de sa particularité, qui le mène vers lui-même, vers la vertu et le Bien : il ne peut pas être lui-même sans être vertueux. Dès qu'il est raisonnable, il n'est plus rien d'autre que membre de la communauté, que citoyen, c'est-à-dire vertueux. Il ne cherche pas l'avantage de la passion, il cherche celui de l'individu raisonnable." [7]

 

Être raisonnable ou avoir raison  

- Modérée, la raison rend raisonnable lorsqu'elle est un acte de l'esprit qui ne se sépare pas de ses racines sensibles.

- Avoir raison : "Il faut avoir raison, cela veut donc dire : il faut être maître par le langage. La réalité commune, la réalité de la communauté, c'est le parler. Auparavant, dans la certitude, tous ont parlé «comme un seul homme» ; maintenant, chacun parle pour soi. Or parler pour soi, c'est dire qu'on a compris que seul le parler est vraiment commun parce que la communauté expulse celui qui ne se limite pas au parler dans ses rapports avec elle et avec ses concitoyens…" [8]

 

Raison pratique, utile, morale : la raison nous donne la juste valeur de tous les biens, notamment par la visée universalisante d'une éthique. Elle oriente l'action morale.

 

Raison dominante :  celle du triomphe de la raison (de la grande santé d'un corps pensant) : "Les grandes âmes ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions même leur servent, et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie." [9]

 

Raison supérieure : "S'accepter soi-même comme un fatum, ne pas se vouloir différent - en de telles circonstances, c'est la raison supérieure." [10]

 

Raison intuitive, lumineuse. Alors, l'extension étant en raison inverse de la compréhension, la raison pense rayonner dans une lumière infinie. Cette lumière peut inspirer la volonté d'être lucide.

 

Raison théorique, logique, ordonnée, universelle, nécessaire et suffisante (la raison d'être d'une chose est la cause de son existence), voire discursive : "Les yeux de l'Âme par lesquels elle voit et observe les choses sont les démonstrations elles-mêmes." [11] D'un point de vue rationaliste, le principe de raison a conduit les philosophes à considérer la réalité dans ses manifestations les plus claires, les plus simples, les plus volontaires et les plus cohérentes. Pour le rationalisme dogmatique, la raison s'enferme dans sa propre suffisance : elle prétend froidement tout déterminer à partir de ses propres continuités et elle les plaque abusivement sur la grande diversité et sur la complexité du réel qui lui échappe. Comme principe, formelle, infinie, la raison est la faculté qui permet de penser le réel en posant des principes universels (le bien, le beau, le vrai) tout en se rapportant à l'Esprit (principe universel et nécessaire de tout sens et de toute valeur). À ce niveau formel, la raison est une, homogène, une action intellectuelle démonstrative. La raison logique ou formelle (faculté de raisonner) s'organise à partir de l'identique, du non contradictoire, et du tiers exclu. Elle combine des concepts pour démontrer, elle enchaîne des vérités. A priori, elle est forcément universelle. La raison théorique (ou spéculative) pense donc logiquement sans tenir compte des expériences sensibles. Certes, toute connaissance du monde matériel commence, comme l'a souligné Kant, avec l'expérience, mais elle ne dérive pas toute de l'expérience ; des concepts a priori structurent l'expérience. La raison pose donc les principes purs, absolus et universels de l'Esprit. Elle est la manifestation de "la nature absolue de l'Esprit." [12] - " Il est de la nature de la Raison de considérer les choses …comme nécessaires…, de percevoir les choses comme possédant une certaine sorte d'éternité." [13]

 

Raison comme faculté du suprasensible :  " Le vrai sublime doit toujours avoir un rapport à la manière de penser, c'est-à-dire à des maximes qui visent à procurer à ce qui est intellectuel et aux Idées de la raison la domination sur la sensibilité." [14]

 

Raison dialectique et cheminante : "Dépasser en niant, parole de raison."[15] "La folie du saut de telle manière que cette folie soit un acte lucide que la raison éclaire et porte et supporte le plus loin possible." [16] "Le dialecticien est celui qui saisit pour chaque chose la raison de son essence." [17] - "L'échec n'est qu'une preuve négative, l'échec est toujours expérimental. Dans le domaine de la raison, il suffit de rapprocher deux thèmes obscurs pour que survienne la clarté de l'évidence. Alors avec l'ancien mal compris on fait une nouveauté féconde. S'il y a un retour éternel qui soutienne le monde, c'est le retour éternel de la raison." [18] "La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites.(…) Quand la connaissance empirique se rationalise, on n'est jamais sûr que des valeurs sensibles primitives ne coefficientent pas les raisons."[19] "Pour le savant, l'Être n'est saisi en un bloc ni par l'expérience ni par la raison. Il faut donc que l'épistémologie rende compte de la synthèse plus ou moins mobile de la raison et de l'expérience, quand bien même cette synthèse se présenterait philosophiquement comme un problème désespéré." [20]

 

Raison et sagesse : "La sagesse est à la fois science et raison intuitive des choses qui ont par nature la dignité la plus haute." [21] - "Aussi n'y a-t-il pas de «résultat» : on peut cesser de philosopher, mais pour le philosophe, la philosophie ne s'arrête pas, et même la sagesse n'est pas repos et sommeil, mais la présence concrète du monde réel dans l'homme qui vit dans le discours complètement développé. La philosophie est l'effort, sûr de lui-même, dans lequel l'individu à chaque moment comprend – et sait pouvoir comprendre – le monde dans la Vérité qui se sait maintenant réalisation de la liberté : pour l'homme concret dans la raison, raisonnable dans la réalité, la sagesse est l'effort le plus tendu et la tâche la plus haute." [22]

 

[1] Hume, Traité de la nature humaine, II, 3, sec III et I, p.194.

[2]  Montaigne, Essais, II, 12.

[3] Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 12, 8.

[4] Spinoza, Éthique, IV, prop.XVIII, dem, et  III, IX, scolie.

[5] Spinoza, scolie de la proposition XVIII du livre IV de L'Éthique.

[6] Weil (Éric), Logique de la philosophie, Vrin, 1967, p.133-134.

[7] Weil (Éric), Logique de la philosophie, Vrin, 1967, p.124 et 134-135.

[8] Weil (Éric), Logique de la philosophie, Vrin, 1967, p.125.

[9] Descartes, lettre à Elisabeth, 18.V.1645.

[10] Nietzsche, Ecce Homo, Pourquoi je suis si sage, § 6, p. 29, et Le Voyageur et son ombre, § 61.

[11] Spinoza, Éthique, V, proposition XXIII, scolie.

[12] Lagneau, Cours sur l'évidence et la certitude, p.u.f, 1950, p.109).

[13] Spinoza, Éthique,  II, 44.

[14] Kant, Critique de la faculté de juger,  23 et Remarque générale.

[15] Blanchot, L'Entretien infini, Gallimard, 1969, p.505.

[16] Blanchot, L'Entretien infini, Gallimard, 1969, p.146.

[17] Platon, La République, VII, 534 b.

[18] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/ biblio-essais n°4197, pp. 97

[19] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 13-15.

[20] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 16.

[21] Aristote, Éthique à Nicomaque, VI, 7

[22] Weil (Éric), Logique de la philosophie, Vrin, 1967, p.440.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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