Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
2 Juin 2015
"On peut distinguer, par exemple, parmi les morales philosophiques, deux types de morale : une morale de type aristocratique et une autre de type démocratique. La sagesse grecque, accessible seulement à des personnes douées de qualités intellectuelles et morales exceptionnelles, est l'idéal d'une morale aristocratique qui répartit les hommes en Sages et ignorants. La morale du devoir de Kant, expression laïcisée de la morale chrétienne, est, au contraire, une morale démocratique : il ne faut pas avoir des qualités intellectuelles particulières pour accomplir le devoir ; il suffit d'être un homme. Comment situer la morale de Spinoza ? En un sens, elle est une morale aristocratique. Le but primordial de l'homme, susceptible de donner à son existence sens et consistance n'est pas de l'ordre de l'action physique et sociale, mais de l'ordre de la contemplation. L'effort pour comprendre est le premier et unique fondement de la vertu et trouve sa justification en lui-même. Seule la connaissance vraie est salvatrice. Or tous les hommes ne font pas cet effort de comprendre. (…)
Mais, en même temps, la morale de Spinoza est une morale démocratique. Tout d'abord il y a, selon lui, une morale de tout le monde, morale universelle, aisément saisissable par tous les esprits, proche voisine de la morale, conséquence de la philosophie. Cette morale trouve sa première application dans l'État des Hébreux, à un moment donné de son développement, où aucun citoyen ne dépend d'un autre citoyen, mais où tous dépendent de Dieu. (…)
Mais Spinoza ne s'est jamais proposé de régenter les opinions des autres. S'il veut, lui-même, vivre pour la vérité, il comprend que les autres préfèrent rester dans l'erreur et même mourir pour elle. Mais, malheureusement, les théologiens des différentes religions, confondant «charité» et «ambition», se livrent combat les uns aux autres et s'entendent, tous ensemble, à attaquer la liberté de philosopher. Accusé d'athéisme, uniquement parce qu'il a tâché de dévoiler les préjugés des théologiens et d'en débarrasser les plus avertis, Spinoza n'a-t-il pas été persécuté non seulement par ses anciens coreligionnaires, mais aussi par les différentes églises chrétiennes ? D'où la nécessité de défendre la liberté de penser, condition indispensable de toute vie philosophique et de toute entente au sein de la cité, là où les opinions religieuses sont divergentes. Cette liberté de penser, à condition qu'elle ne contredise pas les exigences de la justice, il la revendique pour tous. Elle est solidaire de son plaidoyer en faveur de la démocratie. (…)
L'idée profonde de Spinoza, c'est que l'idéal démocratique favorise le mieux l'avènement d'une sagesse aristocratique, fondée sur la connaissance vraie…(…)
Mais s'il n'y a pas de place, dans la philosophie de Spinoza, pour une morale personnaliste, il est vrai cependant que toute sa réflexion vise à mettre en relief la puissance de l'homme, sa valeur et même son pouvoir de se diviniser, sans pour autant avoir à dépasser la condition humaine."
Extraits de La morale de Spinoza par Sylvain Zac, PUF, 1959 et 1966, p. 111-114.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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