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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Conche et Heidegger (2)

Conche et Heidegger (2)

1. Conche, Heidegger et la morale :

 

   " Si maintenant l'on veut comprendre le motif de ce rétrécissement de la conscience chez Heidegger, tel qu'à un moment il a pu focaliser sa confiance sur le Führer, il faut revenir à cet "appel de la conscience" par lequel le Dasein, dans le silence, s'interpelle lui-même. "Le comprendre de l'appel de la conscience dévoile la perte dans le On. La résolution ramène le Dasein vers son pouvoir-être-Soi-même le plus propre. Le pouvoir-être propre devient authentiquement et totalement translucide dans l'être compréhensif pour la mort comme possibilité la plus propre"[1]. "Rentre en toi-même", "ressaisis-toi", "sois toi-même" : voilà ce que signifie cet "appel". Un moi plus vrai que le moi de tous les jours m'interpelle pour que je m'arrache à ce "divertissement" pascalien qui est ma condition ordinaire. Les paragraphes de Être et Temps sur l' "attestation" par la conscience (das Gewissen) d'un "pouvoir-être authentique" sont un commentaire de Pascal. Pascal et Heidegger touchent juste. Mais pourquoi parler, avec A. de Waelhens et d'autres, de conscience "morale" ? Les catégories de l'éthique sont le bon et le mauvais. Les catégories de la morale sont le bien et le mal. Or, de quoi s'agit-il ici ? L'"appel de la conscience" me dit : "Deviens celui que tu es." Un individu dépourvu de sens moral peut très bien entendre l'appel à être "lui-même", se dire à lui-même : "Deviens qui tu es", etc. Il convient, en ce cas, de parler de conscience éthique, non de conscience morale. La conscience morale est interprétée comme conscience éthique, et donc complètement mésinterprétée dans Être et Temps. En vérité, elle en est absente : le Dasein heideggerien n'a pas le sens moral." [2]

 

2. Commentaires :

 

   Le texte de Marcel Conche étant tout à fait clair et pertinent à mes yeux, je ne puis que le compléter par quelques propos. Pour Heidegger, l'appel de la conscience conduit le Dasein à vouloir son destin mortel d'une manière intense, donc en vivant dangereusement. C'est par le combat qu'il devient ce qu'il est dans l'ouverture d'un monde (seulement culturel) et la fermeture de la terre (même allemande). Dès lors, ce qui est bon pour l'homme dans un sens éthique n'est pas bien pour tous dans un sens moral puisque l'éclaircie (Lichtung) s'inscrit, hors de l'universel, dans un dualisme phénoménolo­gique, dans une invisible déchirure (Riss), dans un "combat originel" [3] et dans une double réserve (un refus et une dissimulation) qui vise une lointaine unité du monde et de la terre uniquement à partir d'un "être-race comme fin ultime"[4]. Ainsi le dévoilement de l'universel (et de l'Être) n'est-il pas encore possible ! Ne subsiste en effet qu'un appel concernant celui qui est "là pour rien" et non une injonction égalitaire (Conche) ou des axiomes liés à d'autres axiomes[5] (Deleuze et Guattari) pour faire triompher les droits universels des hommes.

 

[1] Heidegger (Martin), Être et Temps, p. 307, trad. Martineau.

[2] Conche (Marcel), Vivre et philosopher (Réponses aux questions de Lucile Laveggi), LDP n° 32288, 1991, p. 134.

[3] Heidegger (Martin), L’Origine de l’œuvre d’art, dans Chemins qui ne mènent nulle part, Tel/Gallimard, 1962, pp.53, 68, 61…

[4] Propos de Heidegger cité par Jean-Pierre Faye dans la préface de l'ouvrage de Nicole-Nikol Abécassis, Qu'est-ce que comprendre ? Essai sur le sens, L'Harmattan, Ouverture philosophique, 2009, p. 14.

[5] Deleuze et Guattari, Qu'est-ce que la philosophie ? Minuit, Reprise, 2005, p. 103.

Conche et Heidegger (2)

En complément, un extrait de mon livre intitulé Philosophie et non-violence [1]: "Dès lors, comment la Morale pourrait-elle, en droit d'abord, réaliser l'Universel ? Si une théorie était possible, les valeurs dépendraient d'un savoir complet, préétabli, et non d'une source inconditionnelle susceptible d'inspirer librement (et non de guider) tous les hommes. La Vérité nécessaire de ce savoir préétabli tiendrait compte de tous les faits possibles et la logique des pires crimes pourrait parfois paraître supérieure au dévouement inexplicable des plus belles actions. En fait, la Vérité reste encore lointaine… la Morale relève donc plutôt d'une pratique concrète inspirée par l'idée d'une égalité de droit entre tous les êtres humains. Parce qu'ils sont raisonnables, ils peuvent s'orienter à partir d'une visée régulatrice, du concret vers l'universel, d'une épreuve injuste vers la pensée de la justice. Pour comprendre cette visée, le problème de la Morale porte en fait, d'abord et surtout, sur ce qui de­vrait la fonder. Dans son livre intitulé Le Fondement de la morale, Marcel Conche a très clairement montré que la Morale est fondée par l'égalité en droit de tous les hommes, et que cette égalité est aussi un fait. Elle est aussi un fait parce que chaque pensée qui juge dit le droit : "La cons­cience jugeante est une conscience juridique (de jus, droit)" [2]. La Mo­rale ne vient donc pas de quelque théorie, elle est présente dans la pensée sensible de chaque homme qui dit le droit. L'idée de droit (du latin directus) signifie ce qui est dans la bonne direction, ce qui est donc conforme à une règle, puis (du latin jus) ce qui régit, dirige, aligne, met droit, redresse. L'homme aura donc droit à (revendication, respect de sa règle), droit sur (ce qui n'est pas en règle) et droit de (conformément à la règle). Mais chacun est, au cœur de sa propre singularité, un monde inséparable d'autres mondes, donc capable de dire ce qui éclaire le droit universel pour tous ces mondes. Chercher la Morale ailleurs, notamment dans l'impensé de la pensée, ce se­rait soumettre le possible à l'impossible, ce serait faire comme Deleuze qui nie en réalité la possibilité même de la Morale : "Comment penser pourrait-il in­venter une morale, puisque la pensée ne peut rien trouver en elle-même, sauf ce dehors d'où elle vient et qui réside en elle comme l'impensé ? "[3]. L'impossi­ble pen­sée du dehors évoquée par Deleuze est celle de la mort (que nul ne saurait effectivement penser). Et l'idée de la différence absolue qui en découle est un fictif paradigme absolu qui ne produit que de fu­nes­tes fascinations. Cette idée de la Différence absorbe comme la mort. Elle crée une séparation absolue qui engendre une insoutenable violence (à l'égard de la vie) en sacralisant le Néant ou tout ce qui alimente des exclusions, des discrimina­tions, voire quelques rêves fous de transcen­dance."

 

 


[1] Perrin, Claude Stéphane, Philosophie et non-violence, Eris-Perrin 2012, p. 61.

[2] Conche (Marcel), Le Fondement de la morale, PUF, 1993, p. 67.

[3] Deleuze (Gilles), Foucault, Minuit, 1986, p.126.

 

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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