Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
31 Août 2012
Claude Stéphane PERRIN
UNE SIMPLE CONSCIENCE LIBRE
Au plus profond d'une conscience de l'intime la pensée dialogue simplement avec elle-même. Elle n'est pas silencieuse, comme l'âme chez Platon, car elle parle à partir de la distance qu'elle éprouve en elle-même entre sa pesanteur sensible, matérielle, et sa capacité d'allégement spirituel, d'abstraction. Elle demeure en effet sensible, même lorsqu'elle est consciente de la plus faible, de la plus réduite et de la plus simple tension entre le concret et l'abstrait, notamment lorsqu'elle a l'intuition d'être la conscience de soi d'un existant singulier.
En réalité, cette non coïncidence de la conscience avec elle-même constitue la vérité existentielle propre de chacun, même si la pensée peut aussi chercher à se refermer sur des vérités formelles, apparemment plus certaines. Cependant, l'affirmation consciente du principe d'identité (1 égale 1) ne crée en fait que l'illusion d'une conscience pure. Le sujet n'agit plus ; il se laisse absorber par l'objet vide qu'il perçoit. Sa conscience est en fait fascinée par ce qui la détermine abstraitement en la privant de toute véritable relation sensible. Le face à face avec l'Un (principe abstrait et éternel) ainsi resplendit sans être saisissable et capable de durer.
De plus, ce face à face précède une nécessaire distinction entre l'un et le multiple, ainsi que la possibilité de rapporter le multiple à l'un en un travail sensible de la pensée. Car toute conscience abstraite, rivée à l'instant d'une certitude formelle, n'est qu'un éclair de pensée et non un moment du devenir existentiel de la pensée singulière de chacun qui permet de distinguer un moi pensant (sujet) et ce qui est pensé (objet). Dans cet esprit, Saint Augustin évoquait une mystérieuse distension "probablement de l'âme elle-même" et Alain parlait d'une "opposition de soi à soi".
En tout cas l'espace changeant, où se déploie une conscience, fait naître d'autres simultanéités bien distinctes. Et chaque distinction entre l'abstrait et le concret fait surgir d'autres opérations intellectuelles ainsi qu'un ressaisissement du sujet qui se voit les juger à différents niveaux de compréhension et d'extension. Chaque état de conscience est alors plus ou moins vif selon son niveau de concentration ou de fascination.
Dès lors, comment la pensée pourrait-elle saisir en elle-même cette lumière intime qui unit un acte de la pensée à ce qui est pensé dans sa plus familière simplicité ? Une réelle consonance entre une conscience attentive et la simple présence d'une chose est-elle possible ? Oui, mais c'est à condition de ne pas vouloir connaître cette chose et à condition que la conscience ne soit qu'un acte d'attention ouverte, c'est-à-dire libre. Ce qui est rarement le cas.
Car souvent la pensée est inattentive (inconsciente). Elle se disperse sans savoir ce qu'elle fait. Elle vit dans une sorte de rêverie (donc comme une pensée immédiate sans véritable sujet). Elle erre d'une sensation imagée à une autre. Certes, lorsque la pensée redevient consciente, l'attention peut alors focaliser librement, prendre du recul, polariser, élargir ou réduire son champ perceptif. Psychologique et rapportée à des expériences, elle peut aussi rassembler des souvenirs, des perceptions et imaginer selon un libre vouloir...
Dans ce cas, le sujet conscient peut reconnaître (dans une attention focalisée sur lui-même) que sa pensée est le véritable sujet qui structure et qui harmonise ce qu'il a déjà mémorisé, imaginé et perçu. Bien qu'il ne se souvienne pas sans imaginer, c'est pourtant lui-même qui opère un pouvoir d'unification et de dépassement de ce qui lui est présent.
En tout cas, le sujet ne se réduit pas à ce dont il a conscience (des perceptions inconscientes étant inévitables), et sa conscience ne se réduit ni à la pensée du néant, ni à quelque clarté intellectuelle durable. En sachant que la conscience du vide n'est pas le vide de la conscience, il est donc plus probable de penser que la conscience ne se réduit pas nécessairement à ses objets. Elle serait plutôt l'action fulgurante d'un esprit capable de se saisir comme sujet momentané de ses pensées. L'éclat et l'intérêt de cette conscience dépendrait alors de la volonté de chacun, donc d'une possible liberté...
Mais comment distinguer alors ce qui relève du Je (sujet qui fonde la conscience et la liberté de chacun) et ce qui relève des divers Moi (des diverses facettes d'une personnalité ou du mythe d'un Moi souverain), sachant que le Je ne peut jamais se saisir indépendamment de sa relation (négative ou positive) avec l'un de ses Moi ? La réponse à cette question se trouve au cœur mystérieux de chaque singularité. Il faudrait être fou (dépossédé de toute possible liberté par perte de conscience du réel ou de soi-même) pour supprimer ce mystère. Hors de la folie, chacun se donne sans doute le je qui lui procure le meilleur contentement, comme un acteur qui ne saurait dissoudre son Je singulier dans tous les Moi (rôles) qu'il interprète.
En conséquence, chacun perçoit et s'abstrait aussi un peu de ses perceptions par un acte où, en s'imposant une distance, il sait qu'il perçoit et en même temps qu'il est supérieur à sa perception, puisqu'il imagine et se souvient au-delà de ce qu'il perçoit. Sa conscience synthétise et domine alors ce qu'elle saisit grâce à son pouvoir de compréhension et de refus.
En se découvrant ainsi à la fois sous son aspect passif (corps sensible qui perçoit) et actif (esprit qui prend conscience de la lucidité possible de sa pensée), l'homme crée parfois une liberté, c'est-à-dire un rapport équilibré entre la reconnaissance des possibilités qui lui sont données et la volonté (force unificatrice de son énergie psychique) de fonder fermement d'éventuels refus ou de nécessaires liens avec ce qui favorise son action. La conscience est donc l'acte occasionnel et simple d'un esprit libre qui pose une distance entre son moi (un sujet qui se veut tel) et ce qui n'est pas lui.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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