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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Blanchot et le neutre

 

 

 le neutre et la pensée

 

Un extrait de mon ouvrage intitulé LE NEUTRE ET LA PENSÉE (OUVERTURE PHILOSOPHIQUE  L'Harmattan, 2009)                                                     

 

La pensée du déficit ou du passif de la pensée chez Blanchot.

 

 "Rapportée à l'histoire de la pensée philosophique (y compris dans son ouvert sur le littéraire), la problématique du neutre s'étire sur un très large éventail. L'idée du neutre peut être ainsi considérée comme inhérente à une pensée nominaliste, par et dans la séparation des mots et des choses (Blanchot) ; la pensée est alors fascinée par le caractère (ni saisissable, ni dessaisissable) des mots qui accompagnent l'expira­tion de tout sens possible ainsi que celle du sujet. Le neutre est dans cet abîme (…)

   Pour Blanchot, le neutre est le mot qui renvoie à l'Inconnu après la transgression de tous les possibles : un tiers exclu de la logique, en quelque sorte, fasciné par un Dehors inconnu au-delà de toute totalité achevée. La pensée de Blanchot relève d'un défi répété. Elle se confronte à l'impossible, dût-elle en périr ! Elle crée un "surplus inidentifiable" (L'Entretien infini, NRF, Gallimard, 1980, pp. 450, 440) qui transgresse la disjonction du possible et de l'impossible, de l'objectif et du subjectif, de la différence et de l'indifférence (…) La pensée Blanchot se perd dans l'expérience radicale de ce qui n'arrive pas, parce que cela (rien) est depuis toujours arrivé. Rien de nouveau sous le soleil ! Tout le monde meurt ! À quoi bon affirmer ou nier ! Un destin neutre s'impose éternellement, il conduit au Dehors de la mort qui n'a pas de dehors, au Négatif qui ne se nie pas lui-même, à l'abîme illimité des origines ou à celui d'un oubli qui vient du fond des âges… Sur cette voie, dans quel sens une pensée serait-elle fondée à être dite neutre ? Sans nul doute d'une manière seulement métaphorique lorsqu'elle répète son devenir mourant, exténuant, lorsqu'elle nie toute présence possible, lorsqu'elle oscille entre l'affirmation et la négation, entre l'impossibilité de commencer et de finir (sans savoir pourquoi), lorsqu'elle saisit son mourir, son passif, ce qui la défait, sans pouvoir penser sa mort, sa fin.

   Blanchot se situe dans cette perspective de déconstruction de la présence, déconstruction qui semble entendre l'arrière-pensée inattentive et répétée d'un désastre. Dès lors sa pensée devient neutre dans et par le travail sans fin de l'écriture de ce désastre immémorial. Elle oscille inégalement en fonction du devenir incertain de ses métaphores. Elle est fascinée par le Dehors de la mort qui oriente sa passive présence-absente dans l'oubli. Elle semble flotter, avant d'être engloutie totalement par ce Dehors, et elle conserve l'arrière-pensée, l'étrange réminiscence, qu'elle a toujours été engloutie, qu'elle n'a jamais été chez elle. Au neutre, elle ne pense ni le désastre, ni le Dehors qui la fascinent ; elle est pensée par ce qui l'écarte, par ce qui l'a toujours écartée, par sa relation impensable avec la mort.

   La réminiscence de Platon est ainsi inversée. L'âme pensante s'élevait, elle est chez Blanchot lestée, dirigée et absorbée par un corps qui n'en finit pas de métaphoriser son propre mourir dans la pesanteur de son vécu et dans les traces de sa chute. L'usure métaphorique de la vérité (selon Nietzsche) est reprise pour marquer l'éloignement d'une pensée qui ne dit que l'écho d'un corps déjà possédé par le Dehors de sa propre mort. Blanchot évoque cet éloignement de la pensée, sa neutre absence en des termes endeuillés. Il renvoie à "la non-pensée pensante, à cette réserve de la pensée qui ne se laisse pas penser" (L'Écriture du désastre, NRF, Gallimard,  2006, pp. 52, 57). Cette non-pensée de la passivité du mourir reste très obscure. Pourquoi fuit-elle la lumière ? Cette dernière serait-elle trop dominante, fascinante, absorbante ? Sans doute, en tout cas le neutre est bien là, caché dans l'obscurité du désastre qui produit la fragmentation d'une écriture sans présent, sans présence, qui n'est pas une totale passivité de la pensée, mais plutôt un "passif de pensée"

   Il est cependant possible et souhaitable de contredire ce point de vue nihiliste dès lors que la pensée du vivre l'emporte sur celle du mourir, dès lors qu'à nos yeux la vie possède plus de valeur que la mort. De plus, parce qu'elle ne considère le neutre que comme le point d'ancrage de ses interrogations, une pensée qui se rapporte librement au neutre peut ensuite s'interroger sur ses propres virtualités. Rien n'est préétabli pour elle, certainement pas le désastre immémorial de tout le réel. Plus précisément, ni le rien, ni le tout, ni le Dehors de la mort, ni le Dedans subjectif de la vie de chacun ne font la Loi.

   La pensée souffre pourtant des pesanteurs de son inséparable support sensible, même si elle refuse de se disperser dans la grisaille neutre des apparences du rien. Mais, face au rien, face à l'impossible, elle peut librement se détourner et s'ouvrir sur autre chose. Son ouverture lui permet alors de créer un rapport problématique, celui de l'action réciproque d'un dedans singulier avec des dehors, peut-être inhabitables, mais en tout cas vivables .

   Une pensée librement rapportée au neutre est ainsi nouée par une double relation avec des dehors et avec des dedans. Mais comment assumer cette relation, et cela est-il possible ? En fait, la problématique du neutre s'étire entre les deux pôles de la violence (naturelle ou culturelle) et d'une moindre violence possible, sachant que le neutre est soit le signe d'une indifférence amorale à l'égard du jeu des différences (Barthes), soit l'épreuve d'une distance susceptible de rendre librement possible l'amour de nouvelles différences. Dès lors, il reste à voir comment et pourquoi ce second point de vue, celui d'une distance bienveillante (sens le plus pur de l'amour) pourrait prévaloir sur le premier à partir d'une pensée singulière (virtuelle, sensible et libre). Comment et pourquoi faut-il refuser, dans cette visée éthique, les possibilités d'une pensée fascinée, hors d'elle-même ou éloignée, produite par quelque sujet effacé (Blanchot) ou à la dérive (Barthes) ? "

 

 

 

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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