Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
1 Février 2025
Le don sublime du réel
Le don métaphysique du réel, comme acte éternel de la Nature, peut avoir des effets affectifs plus que grandioses dans ce monde, c'est-à-dire sublimes. Cette épreuve esthétique apparaît lorsqu'un être humain se situe au bord de ce qui est trop grand et qui lui paraît à la fois extrême, exaltant et terrible, sans doute par peur de sombrer dans un abîme des sens et de la pensée. Pour Kant, en effet, le sentiment du sublime (Erhaben) met l'imagination au défi de juger ce qui est absolument grand, ce qui est "grand au-delà de toute comparaison.(…)Les représentations s'évanouissent dès qu'elles sont saisies" [1].
Non seulement l'imagination est impuissante dans la présentation d'une idée (celle du Tout), mais elle s'abîme en elle-même d'une manière effrayante lorsqu'elle atteint son maximum et qu'elle découvre ainsi son impuissance à saisir le non-représentable, le sans figure, le "sans forme - formlos" ; elle échoue donc à conceptualiser. De plus, l'imagination ignore le concept de ce qui est hors-limite, ainsi que l'intuition de l'infini ou de la totalité (l'unité d'une diversité) qu'apporterait la raison. Car, dans le sentiment du sublime, la synthèse, effectuée par l'imagination qui s'y déborde, est chaque fois l'anticipation d'une union des facultés psychiques portant une grandeur jusqu'à la limite d'un tout, sans parvenir à constituer l'unité de ce tout.
L'incompréhensible est en effet sublime, notamment et surtout pour Nietzsche, lorsque la plus haute cime des choses et la suprême sagesse rivalisent, dans une jubilation à la fois artistique et philosophique, avec la plus folle profondeur du réel eu égard au devenir festif, ludique et divin de toutes choses[2] qui reviennent éternellement : "Je ne connais pas de meilleur but dans la vie que de se briser contre le sublime et l'impossible, animae magnae prodigus." [3] En tout cas, si le non-concept du sublime "surpasse" bien toute mesure des sens, toute grandeur concevable, cette troublante démesure est loin d'exprimer que l'infini est nécessairement l'expression de la puissance éternelle de la Nature. Pour y parvenir, il faudrait que le désir ne se perde pas dans un monde imaginaire ou idéalisé. Alors, une vie terrestre pourrait sentir humainement du sublime en associant chaque don du réel au donateur qu'est la Nature, sachant que de nouveaux dons imprévisibles sont toujours possibles.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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