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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Le moi de Bachelard

Le moi de Bachelard

- Un moi solitaire et double : - - "En effet, si je m'observe, «je est un autre». Le redoublement de la pensée est automatiquement un dédoublement de l'être. La conscience d'être seul, c'est toujours, dans la pénombre, la nostalgie d'être deux. (…) En moi méditant – joie et stupeur – l'univers vient se contredire." [1]

 

- Uu moi construit sur un non-moi : - " Il faut souvent attendre le don de la conscience, la synthèse du moi et du non-moi, pour que la pensée ait la double confirmation de sa réalité. Le moi ne se confirme pas de soi-même, dans un fonctionnement à vide. Du moins ce fonctionnement à vide n'est point naturel, il n'est pas immédiat, il ne nous est pas accessible dans une intuition première." [2]

 

- Un moi néantisé : "La conscience claire de l'être est toujours associée à une conscience de son anéantissement. Si je sens l'être en moi, dans une expérience ineffable, c'est que je le sens renaître ; je le connais à force de le reconnaître ; je le comprends dans l'oscillation de l'être et du non-être, je le vois sur un fond de néant." [3]

 

- Un moi  en lutte contre ses apparences : "L'être ne reçoit pas non plus paisiblement ses apparences ; il est constamment en lutte contre ses apparences. D'ailleurs, puisqu'il comprend la notion d'apparence, c'est qu'il en est tour à tour la victime et le vainqueur." [4]

 

- Une individualité contingente et inachevée : -  "On s'exprimerait peut-être assez bien en disant qu'un individu pris dans la somme de ses qualités et de son devenir correspond à une harmonie de rythmes temporels. (…) L'individu, à quelque niveau qu'on le saisisse, dans la matière, dans la vie ou dans la pensée, est une somme assez variable d'habitudes non recensées. Comme toutes les habitudes qui caractérisent l'être, si elles étaient connues, ne profitent pas simultanément de tous les instants qui pourraient les actualiser, l'unité d'un être paraît toujours touchée de contingence. Au fond, l'individu n'est déjà qu'une somme d'accidents : mais, de plus, cette somme est elle-même accidentelle. Du même coup, l'identité de l'être n'est jamais pleinement réalisée, elle souffre du fait que la richesse des habitudes n'a pas été régie avec assez d'attention. L'identité globale est faite alors de redites plus ou moins exactes, de reflets plus ou moins détaillés. Sans doute l'individu s'efforce de copier aujourd'hui sur hier ; cette copie est d'ailleurs aidée par la dynamique des rythmes, mais ces rythmes ne sont pas tous au même point de leur évolution et c'est ainsi que la plus solide des permanences spirituelles, d'identité voulue, affirmée dans un caractère, se dégrade en ressemblance. La vie porte alors notre image de miroirs en miroirs ; nous sommes ainsi des reflets de reflets et notre courage est fait du souvenir de notre décision. Mais si fermes que nous soyons, nous ne nous conservons jamais tout entiers parce que nous n'avons jamais été conscients de tout notre être."[5]

-"L'individu n'est pas la somme de ses impressions générales, il est la somme de ses impressions singulières." [6]

 

- Un moi solitaire mais socialement déterminé dans son caractère : "Le caractère est, en grande partie, une production du milieu humain ; sa psychanalyse relève surtout du milieu familial. C'est dans la famille, dans les groupes sociaux les plus serrés qu'on voit se développer la psychologie du contre. Par bien des traits, on peut même définir le caractère comme un système de défense de l'individu contre la société, comme un processus d'opposition à une société. Une psychologie du contre devrait donc surtout étudier les conflits du moi et du sur-moi. (…) Le caractère se confirme dans les heures de solitude si favorables aux exploits imaginaires. Ces heures de totale solitude sont automatiquement des heures d'univers. L'être humain, qui quitte les hommes jusqu'au fond de ses rêveries, regarde enfin les choses. Rendu ainsi à la nature, l'homme est rendu à ses puissances transformantes, à sa fonction de transformation matérielle, si seulement il vient à la solitude non comme à une retraite loin des hommes, mais avec les forces mêmes du travail. " [7]

- "Tout prolongement effectif est une adjonction, toute identité une ressemblance. Nous nous reconnaissons dans notre caractère parce que nous nous imitons nous-mêmes et que notre personnalité est ainsi l'habitude de notre propre nom. C'est parce que nous nous unifions autour de notre nom et de notre dignité - cette noblesse du pauvre - que nous pouvons transporter sur l'avenir l'unité d'une âme. La copie que nous refaisons sans cesse doit d'ailleurs s'améliorer, ou bien le modèle inutile se ternit et l'âme, qui n'est qu'une persistance esthétique, se dissout." [8]

 

- Une âme matérielle : - L'âme de Bachelard vibre dans une double orientation [9] subjective et objective, solitaire et altruiste, une et multiple,  changeante et perfectible, inséparable de l'âme du monde matériel ainsi que de l'âme des autres êtres vivants. Animus vibre auprès d'anima, et réciproquement, entre rêveries et conceptualisations, philosophie et poésie, tout en sachant que "le passé de notre âme est une eau profonde." [10]

 

- Un moi instantanément volontaire et libre : - "Grâce à son caractère subit, nous allons comprendre que la transmutation de l'être n'est pas une molle et douce émanation, mais qu'elle est l'œuvre de la volonté pure, c'est-à-dire de la volonté instantanée. Ici, l'imagination dynamique s'impose à l'imagination matérielle : jette-toi en haut, libre comme l'air, tu deviendras matière de liberté. (…) Pour employer le double sens dont Paul Claudel aime à jouer, la volonté est un dessein d'un dessin. Passé et avenir sont mal solidarisés dans la durée bergsonienne précisément parce qu'on y a sous-estimé le dessein du présent. Le passé se hiérarchise dans le présent sous la forme d'un dessein, les souvenirs décidément vieillis sont éliminés. Et le dessein projette dans l'avenir une volonté déjà formée, déjà dessinée. L'être durant a donc bien dans l'instant présent où se décide l'accomplissement d'un dessein le bénéfice d'une véritable présence. Le passé n'est plus simplement un arc qui se détend, l'avenir une simple flèche qui vole, parce que le présent a une éminente réalité. Le présent est cette fois la somme d'une poussée et d'une aspiration. Et l'on comprend l'affirmation d'un grand poète : «Dans l'instant, il y a tout : le conseil et l'action» (Hugo von Hofmannsthal). Prodigieuse pensée où se reconnaît en sa plénitude l'être humain voulant. C'est l'être qui consulte à la fois son propre passé et la sagesse de son frère. Il amasse ses pensées personnelles et les conseils d'autrui en engageant un psychisme polymorphe dans une action choisie avec discernement." [11]

 

- Un moi inachevé : "Rien ne nous est pleinement et définitivement donné, pas même nous-mêmes à nous-mêmes. (…) En prenant conscience de mon erreur objective, je prends conscience de ma liberté d'orientation. Cette orientation libérée et réfléchie, c'est déjà le voyage potentiel hors de moi, à la recherche d'un nouveau destin spirituel. Je me trompais sur les choses. Je ne suis donc pas vraiment celui que je croyais être."[12] 

 

- Un subjectivisme objectif  qui se rectifie : On n'approche l'objectivité qu'en corrigeant ses primes intuitions. [13] "L'esprit dynamisé prend conscience de soi dans sa rectification. Devant le réel rendu à l'objectivité, l'esprit en vient à penser l'objectivité, c'est-à-dire à se détacher soi-même de sa propre pensée. Devant la réalité organisée, l'esprit prend une structure. Il prend l'habitude de l'idéalisation. Par un retour sur soi, il arrive enfin à développer des thèmes idéalisants à l'égard de sa propre diversité. En parcourant l'échelle des valeurs objectives, il trouve une hiérarchie dans ses propres attitudes. Peu à peu la culture de l'objectivité détermine un subjectivisme objectif. Le sujet en méditant l'objet, élimine non seulement les traits irréguliers dans l'objet, mais des attitudes irrégulières dans son propre comportement intellectuel. Le sujet élimine ses singularités, il tend à devenir un objet pour lui-même. Finalement la vie objective occupe l'âme entière. Le passé lui-même reçoit des perspectives régulières, des thèmes régularisants, où les singularités ne sont plus que des accidents." [14]

 

- Un moi complexe qui noue et entrave la pensée :  "Un complexe doit garder sa synthèse des contraires ; c'est par la somme des contradictions amassées qu'on a une mesure de la force du complexe."[15] "Ces poèmes méconnaissent aussi bien la réalité historique que la réalité objective. Ils ne peuvent donc prendre leur force de synthèse que dans un complexe inconscient, dans un complexe si caché, si éloigné de ce qu'on sait sur soi-même qu'on croit, en l'explicitant, découvrir une réalité." [16] "Nous appelons aussi (complexe de culture) des attitudes irréfléchies qui commandent le travail même de la réflexion. Ce sont, par exemple, dans le domaine de l'imagination, des images favorites qu'on croit puisées dans les spectacles du monde et qui ne sont que des projections d'une âme obscure. On cultive les complexes de culture en croyant se cultiver objectivement (…) Sous sa bonne forme, le complexe de culture revit et rajeunit une tradition. Sous sa mauvaise forme, le complexe de culture est une habitude scolaire d'un écrivain sans imagination."[17] "La psychanalyse d'un complexe de culture réclamera donc toujours la séparation de ce qu'on sait et de ce qu'on sent, comme l'analyse d'un symbole réclame la séparation de ce qu'on voit et de ce qu'on désire." [18] "Un complexe est toujours la charnière d'une ambivalence. Autour d'un complexe, la joie et la douleur sont toujours prêtes à échanger leur ardeur." [19]

 

- Originalité : "En fait nous ne sommes originaux que par nos fautes." [20] "La contradiction est, pour l'inconscient, plus qu'une tolérance, elle est vraiment un besoin. C'est en effet par la contradiction qu'on arrive le plus aisément à l'originalité, et l'originalité est une des prétentions dominantes de l'inconscient."[21] "Il ne faut pas trop vite s'adresser aux constructions de la raison pour comprendre un génie littéraire original. L'inconscient, lui aussi, est un facteur d'originalité. En particulier, l'inconscient alcoolique est une réalité profonde. On se trompe quand on imagine que l'alcool vient simplement exciter des possibilités spirituelles. Il crée vraiment ces possibilités. Il s'incorpore pour ainsi dire à ce qui fait effort pour s'exprimer. De toute évidence, l'alcool est un facteur de langage. Il enrichit le vocabulaire et libère la syntaxe." [22] "Une originalité est nécessairement un complexe et un complexe n'est jamais bien original. C'est en méditant ce paradoxe que l'on peut seulement reconnaître le génie comme une légende naturelle, comme une nature qui s'exprime. Si l'originalité est puissante, le complexe est énergique, impérieux, dominant : il mène l'homme ; il produit l'œuvre. Si l'originalité est pauvre, le complexe est larvé, factice, hésitant. De toute manière, l'originalité ne peut s'analyser entièrement sur le plan intellectuel. C'est seulement le complexe qui peut fournir la mesure dynamique de l'originalité." [23]

 

- Un moi  qui se spiritualise en se purifiant : "Mais à qui se spiritualise, la purification est d'une étrange douceur et la conscience de la pureté prodigue une étrange lumière. La purification seule peut nous permettre de dialectiser, sans la détruire, la fidélité d'un amour profond. Bien qu'elle abandonne une lourde masse de matière et de feu, la purification a plus de possibilités, et non pas moins, que l'impulsion naturelle." [24]

 

- Purifié par l'amour, le moi transfigure l'originalité en caractère : "Seul un amour purifié a des trouvailles affectueuses. Il est individualisant. Il permet de passer de l'originalité au caractère." [25]

 

- Un moi  qui renonce volontairement : En fait, le sujet bachelardien est plus proche d'un non-moi naissant ou renaissant que de l'intuition d'un moi naturel, immédiat et substantiel qui ne peut d'ailleurs que se détruire en s'observant : "Si je sens l'être en moi, dans une expérience ineffable, c'est que je le sens renaître ; je le connais à force de le reconnaître ; je le comprends dans l'oscillation de l'être et du non-être, je le vois sur un fond de néant. Il y avait en moi tant de caractères qui ne tenaient point à moi et qui troublaient la consistance logique de mon essence ! En les détachant de moi, je me constitue. (…) Je ne me décrirai donc tel que je suis qu'en disant ce que je ne veux plus être. (…) Je ne m'apparaîtrai clairement à moi-même que comme la somme de mes renoncements. Mon être, c'est ma résistance, ma réflexion, mon refus. Ce n'est d'ailleurs que dans le récit de mes renoncements que je prends pour autrui une apparence objective. C'est par la comparaison de nos renoncements que nous avons quelques chances de nous ressembler, c'est-à-dire de trouver ailleurs l'écho de notre volonté.(…) L'effort métaphysique pour saisir l'être en nous-mêmes est donc une perspective de renoncements. Où trouver alors le sujet pur ? Comment puis-je me définir au terme d'une méditation où je n'ai cessé de déformer ma pensée ? Ce ne peut être qu'en poursuivant jusqu'à la limite cette déformation : je suis la limite de mes illusions perdues."[26]

 

[1] Bachelard, Le Droit de rêver, PUF, 1970, p. 234-235.

[2] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.166.

[3] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.166.

[4] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.166.

[5] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, pp. 68, 70 et 71.

[6] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 10.

[7] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948-1965, p. 28-29.

[8] Bachelard, L'Intuition de l'instant, 1935, Gonthier- Médiations, 1973, p.81-82.

[9] Bachelard, Études, Vrin, 2002,  p.77 et 83. 

[10] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 74.

[11] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, pp.167 et 292.

[12] Bachelard, Études, Vrin, 2002,  p.77 et 83. 

[13] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 241.

[14] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 91-92.

[15] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.121.

[16] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.136.

[17] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.26.

[18] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.58.

[19] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.224.

[20] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 97.

[21] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1965, p. 132-133.

[22] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 144.

[23] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.118-119.

[24] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.166.

[25] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.166.

[26] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p.94-95, 96, 97.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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