Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
28 Février 2021
VOCABULAIRE DE BACHELARD
Abstraction : "Penser, c'est faire abstraction de certaines expériences, c'est les plonger de plein gré dans l'ombre du néant. Si l'on nous objecte que ces expériences positives effacées subsistent quand même, nous répondrons qu'elles subsistent sans jouer un rôle dans notre connaissance actuelle." [1]"Aussi bien, puisque le concret accepte déjà l'information géométrique, puisque le concret est correctement analysé par l'abstrait, pourquoi n'accepterions-nous pas de poser l'abstraction comme la démarche normale et féconde de l'esprit scientifique ? (…) Il nous faudra prouver que l'abstraction débarrasse l'esprit, qu'elle allège l'esprit, qu'elle le dynamise. (…) Loi des trois états pour l'esprit scientifique : L'état concret où l'esprit s'amuse des premières images du phénomène… L'état concret-abstrait où l'esprit adjoint à l'expérience physique des schémas géométriques… L'état abstrait où l'esprit entreprend des informations volontairement soustraites à l'intuition de l'espace réel… (…) Enfin, l'âme en mal d'abstraire et de quintessencier, conscience scientifique douloureuse, livrée aux intérêts inductifs toujours imparfaits, jouant le périlleux de la pensée sans support expérimental stable ; à tout moment dérangée par les objections de la raison, mettant sans cesse en doute un droit particulier à l'abstraction, mais si sûre que l'abstraction est un devoir, le devoir scientifique, la possession enfin épurée de la pensée du monde ! " [2] "L'abstraction scientifique est la guérison de l'inconscient. À la base de la culture, elle écarte les objections dispersées sur tous les détails de l'expérience." [3] "Le concret se révèle comme une promotion de l'abstrait, puisque c'est l'abstrait qui fournit les axes les plus solides de la concrétisation." [4]
Acte : "La méditation est un acte, l'acte philosophique."[5] "La philosophie bergsonienne est une philosophie de l'action ; la philosophie roupnelienne est une philosophie de l'acte. Pour M. Bergson, une action est toujours un déroulement continu qui place entre la décision et le but – tous deux plus ou moins schématiques – une durée toujours originale et réelle. Pour un partisan de M. Roupnel, un acte est avant tout une décision instantanée, et c'est cette décision qui a toute la charge de l'originalité. (…) Il n'y a que la paresse qui soit durable, l'acte est instantané. Comment ne pas dire alors que réciproquement l'instantané est acte ? Prenez une idée pauvre, resserrez-la sur un instant, elle illumine l'esprit. Au contraire, le repos de l'être c'est déjà le néant. Comment dès lors ne pas voir que la nature de l'acte, par une singulière rencontre verbale, c'est d'être actuel ? Et comment ne pas voir ensuite que la vie c'est le discontinu des actes ? (…) Mais le philosophe qui veut décrire atome par atome, cellule par cellule, pensée par pensée, l'histoire des choses, des êtres vivants et de l'esprit, doit en arriver à détacher les faits les uns des autres, parce que les faits sont des faits, parce que des faits sont des actes, parce que des actes, s'ils ne s'achèvent pas, s'ils s'achèvent mal, du moins doivent de toute nécessiter commencer dans l'absolu de la naissance." [6] "Pour l'inconscient, l'action est un acte. Pour l'inconscient, il n'y a qu'un acte… Une image qui suggère un acte doit évoluer, dans l'inconscient, du féminin au masculin." [7] "C'est uno actu, c'est dans l'acte même vécu dans son unité qu'une imagination dynamique doit pouvoir vivre le double destin humain de la profondeur et de la hauteur, la dialectique du somptueux et de la splendeur."[8]
Algèbre : "Comme on le sait, l'équivalence des diverses images géométriques a été définitivement établie quand on eut trouvé que les unes et les autres correspondaient à une même forme algébrique. (…) En somme l'algèbre amasse toutes les relations et rien que les relations. C'est en tant que relations que les diverses géométries sont équivalentes. C'est en tant que relations qu'elles ont une réalité et non par référence à un objet, à une expérience, à une image de l'intuition." [9]
Âme : "C'est parce que nous nous unifions autour de notre nom et de notre dignité - cette noblesse du pauvre - que nous pouvons transporter sur l'avenir l'unité d'une âme. La copie que nous refaisons sans cesse doit d'ailleurs s'améliorer, ou bien le modèle inutile se ternit et l'âme, qui n'est qu'une persistance esthétique, se dissout." [10] "Enfin, l'âme en mal d'abstraire et de quintessencier, conscience scientifique douloureuse, livrée aux intérêts inductifs toujours imparfaits, jouant le périlleux de la pensée sans support expérimental stable ; à tout moment dérangée par les objections de la raison, mettant sans cesse en doute un droit particulier à l'abstraction, mais si sûre que l'abstraction est un devoir, le devoir scientifique, la possession enfin épurée de la pensée du monde ! " [11] "Âme puérile ou mondaine, animée par la curiosité naïve, frappée d'étonnement devant le moindre phénomène instrumenté, jouant à la Physique pour se distraire..."[12] "Je ne puis comprendre une âme qu'en transformant la mienne. (…) Une communion réelle est nécessairement temporelle. Elle est discursive. Dans la vie de passion, qui est la vie usuelle, nous ne pouvons nous comprendre qu'en activant les mêmes complexes." [13] "On ne fait pas de mathématiques sans cette surveillance, sans cette constante psychanalyse de la connaissance objective qui libère une âme non seulement de ses rêves, mais de ses pensées communes, de ses expériences contingentes, qui réduit ses idées claires, qui cherche dans l'axiome une règle automatiquement inviolable." [14] "Et aurait-on jamais une image de la profondeur pleine si l'on n'a pas médité au bord d'une eau profonde ? Le passé de notre âme est une eau profonde. (…) Une âme aussi est une matière si grande ! On n'ose pas la regarder." [15] "Dans notre rêverie qui imagine en se souvenant, notre passé retrouve de la substance. Par delà le pittoresque, les liens de l'âme humaine et du monde sont forts. Vit alors en nous non pas une mémoire d'histoire mais une mémoire de cosmos. Les heures où il ne se passait rien reviennent. Grandes et belles heures de la vie d'autrefois où l'être rêveur dominait tout ennui." [16] "Si une âme vibre tout entière dans une pensée heureuse c'est qu'elle a trouvé des résonances et des sympathies dans le monde objectif." [17] "L'idéalisme immédiat est encore fautif sur le terrain objectif quand il prétend prendre l'idée comme un absolu qu'on peut dégager par une analyse, alors qu'une idée est toujours solidaire de corrélations. Elle vaut par son rôle. Son rôle dépend de sa place. Elle est un instant du long discours que l'être propose à autrui, un instant de l'interminable monologue que la pensée tient avec elle-même. De toute manière l'idée correspond toujours à une modification spirituelle. Elle est vraiment un mode de l'âme." [18]
Amour : "C'est aimer profondément que d'aimer des qualités contradictoires." [19] "Ne pas pouvoir réaliser un amour idéal est certes une souffrance. Ne pas pouvoir idéaliser un amour réalisé en est une autre."[20] "L'amour est la première hypothèse scientifique pour la reproduction objective du feu. Prométhée est un amant vigoureux plutôt qu'un philosophe intelligent et la vengeance des dieux est une vengeance de jaloux. (…) L'amour n'est qu'un feu à transmettre. Le feu n'est qu'un amour à surprendre. (…) Le brutal brise le silex, il ne le travaille pas. Celui qui travaille le silex aime le silex et l'on n'aime pas autrement les pierres que les femmes." [21] "Que m'importent les fleurs et les arbres, et le feu et la pierre, si je suis sans amour et sans foyer ! Il faut être deux – ou, du moins, hélas ! il faut avoir été deux – pour comprendre un ciel bleu, pour nommer une aurore !" [22]
"Un amour profond est une coordination de toutes les possibilités de l'être, car il est essentiellement une référence à l'être, un idéal d'harmonie temporelle où le présent est sans cesse occupé à préparer l'avenir. C'est à la fois une durée, une habitude et un progrès. Pour fortifier un cœur, il faut doubler la passion par la morale, il faut trouver les raisons générales d'aimer. C'est alors qu'on comprend la portée métaphysique des thèses qui vont chercher dans la sympathie, dans le souci, la force même de la coordination temporelle. C'est parce qu'on aime qu'on souffre que le temps se prolonge en nous et qu'il dure." [23]
Apparence : "On ne peut parler d'un monde du phénomène, d'un monde des apparences que devant un monde qui change d'apparences." [24] "L'être ne reçoit pas non plus paisiblement ses apparences ; il est constamment en lutte contre ses apparences. D'ailleurs, puisqu'il comprend la notion d'apparence, c'est qu'il en est tour à tour la victime et le vainqueur. Il y avait en moi tant de caractères qui ne tenaient point à moi et qui troublaient la consistance logique de mon essence ! En les détachant de moi, je me constitue."[25]
Application : "L'application de la pensée scientifique nous paraît essentiellement réalisante. (…) Jadis on imaginait que c'était à l'application que les concepts se compliquaient, on croyait qu'on les appliquait toujours plus ou moins mal ; considérés en eux-mêmes, on les tenait pour simples et purs. Dans la nouvelle pensée, l'effort de précision ne se fait plus au moment de l'application ; il se fait à l'origine, au niveau des principes et des concepts." [26] "Pour le rationaliste scientifique, l'application n'est pas une défaite, un compromis. Il veut s'appliquer. S'il s'applique mal, il se modifie. Il ne renie pas pour cela ses principes, il les dialectise. Finalement la philosophie de la science physique est peut-être la seule philosophie qui s'applique en déterminant un dépassement de ses principes. Bref, elle est la seule philosophie ouverte. Toute autre philosophie pose ses principes comme intangibles, ses premières vérités comme totales et achevées. Toute autre philosophie se fait gloire de sa fermeture." [27]
Arbre : "L'arbre est un stabilisateur, un modèle de droiture et de fermeté. Dans la vie de la métaphore, il y a comme une loi de l'action et de la réaction : chercher la terre stable, avec un grand désir de stabilité, c'est rendre stable une terre fuyante. L'être le plus mobile souhaite avoir des racines. Novalis s'écrie : «On voudrait pleurer de joie et, loin du monde, enfoncer dans la terre les mains et les pieds pour y pousser des racines.» [28]." [29]
Art : "À nos yeux, l'humanité imageante est un au-delà de la nature naturante. C'est la greffe qui peut donner vraiment à l'imagination matérielle l'exubérance des formes. C'est la greffe qui peut transmettre à l'imagination formelle la richesse et la densité des matières. Elle oblige le sauvageon à fleurir et elle donne de la matière à la fleur. En dehors de toute métaphore, il faut l'union d'une activité rêveuse et d'une activité idéative pour produire une œuvre poétique. L'art est de la nature greffée." [30]
Astronomie : "Au point de vue astronomique, la refonte du système einsteinien est totale. L'astronomie relativiste ne sort en aucune façon de l'astronomie newtonienne. Le système de Newton était un système achevé. (…) L'astronomie de Newton est donc finalement un cas particulier de la Panastronomie d'Einstein, comme la géométrie d'Euclide est un cas particulier de la Pangéométrie de Lobatchewsky." [31]
Atome : "Par son développement énergétique, l'atome est devenir autant qu'être, il est mouvement autant que chose. Il est l'élément du devenir-être schématisé dans l'espace-temps." [32] "À certains égards, on interpréterait assez bien les phénomènes de radiation en disant que l'atome n'existe qu'au moment où il change. Si l'on ajoute que ce changement se fait brusquement, on est incliné à admettre que tout le réel se condense sur l'instant ; on devrait faire le compte de son énergie non pas en se servant des vitesses, mais en se servant des impulsions.(…) L'atome, dès qu'il ne rayonne plus, passe à une existence énergétique toute virtuelle ; il ne dépense plus rien, la vitesse de ses électrons n'use aucune énergie ; il n'économise pas non plus, dans cet état virtuel, une puissance qu'il pourrait libérer après un long repos. Il n'est vraiment qu'un jouet délaissé ; moins encore, il n'est qu'une règle de jeu toute formelle qui organise de simples possibilités. L'existence reviendra à l'atome avec la chance ; autrement dit, l'atome recevra le don d'un instant fécond mais il le recevra par hasard, comme une nouveauté essentielle, d'après les lois du calcul des probabilités, parce qu'il faut bien que tôt ou tard l'Univers ait dans toutes ses parties le partage de la réalité temporelle, parce que le possible est une tentation que le réel finit toujours par accepter." [33] "Pour M. Roupnel, l'atome a des propriétés spatiales au même titre et aussi indirectement qu'il a des propriétés chimiques. Autrement dit, l'atome ne se substantifie pas en prenant un morceau d'espace qui serait ainsi la charpente du réel, il ne fait que s'exposer dans l'espace. Le plan de l'atome ne fait qu'organiser des points séparés, comme son devenir organise des instants isolés. Ce n'est pas plus l'espace que le temps qui porte vraiment les forces de solidarité de l'être. Ailleurs n'agit pas plus sur ici que jadis n'agit sur maintenant." [34]
Attente : "Enivrante joie du rendez-vous ! Il suffit d'aimer assez, de craindre tout, d'attendre dans la plus folle des inquiétudes pour celle qui tarde apparaisse soudain plus belle, plus certaine, plus aimante. L'attente en creusant le temps rend l'amour plus profond. Elle place l'amour le plus constant dans la dialectique des instants et des intervalles. Elle rend à un amour fidèle le charme de la nouveauté." [35]
Attention : "Avec la durée on peut peut-être mesurer l'attente, non pas l'attention elle-même qui reçoit toute sa valeur d'intensité dans un seul instant. (…) D'ailleurs puisque l'attention a le besoin et le pouvoir de se reprendre, elle est par essence tout entière dans ses reprises. L'attention aussi est une série de commencements, elle est faite des renaissances de l'esprit qui revient à la conscience quand le temps marque des instants. En outre, si nous portions notre examen dans cet étroit domaine où l'attention devient décision, nous verrions ce qu'il y a de fulgurant dans une volonté où viennent converger l'évidence des motifs et la joie de l'acte. (…) Au surplus, cette attention, si nous la portons sur le spectacle qui nous entoure, si au lieu d'être l'attention pour la pensée intime, nous la prenons comme l'attention pour la vie, nous nous rendons compte immédiatement qu'elle naît toujours d'une coïncidence. La coïncidence est le minimum de nouveauté nécessaire à fixer notre esprit. Nous ne pourrions pas faire attention à un processus de déroulement où la durée serait le seul principe d'ordination et de différenciation des événements. Il faut du nouveau pour que la pensée intervienne, il faut du nouveau pour que la conscience s'affirme et que la vie progresse. Or, dans son principe, la nouveauté est évidemment toujours instantanée."[36]
Avenir : "Le sens et la portée de l'avenir sont inscrits dans le présent même. (…) Nous reconnaîtrons alors que le souvenir du passé et la prévision de l'avenir se fondent sur des habitudes. (…) Entre les deux néants : hier et demain, il n'y a pas de symétrie. L'avenir n'est qu'un prélude, qu'une phrase musicale qui s'avance et qui s'essaie. Une seule phrase."[37]
Beau : "Le beau n'est pas un simple arrangement. Il a besoin d'une puissance, d'une énergie, d'une conquête (…) Jamais le beau ne peut être simplement reproduit ; il faut d'abord qu'il soit produit. Il emprunte à la vie, à la matière même, des énergies élémentaires qui sont d'abord transformées, puis transfigurées." [38]
Bonheur : "Ce bonheur intellectuel est la marque première du progrès."[39] "La douce chaleur est ainsi à l'origine de la conscience du bonheur. Plus exactement, elle est la conscience des origines du bonheur."[40] "Les événements exceptionnels doivent trouver en nous des résonances pour nous marquer profondément. De cette banalité : « La vie est harmonie » nous oserions donc finalement faire une vérité. Sans harmonie, sans dialectique réglée, sans rythme, une vie et une pensée ne peuvent être stables et sûres : le repos est une vibration heureuse."[41] "Il faut donc bien trouver le moyen de s'installer à l'endroit où l'impulsion originelle se divise, tentée sans doute par une anarchie personnelle, mais obligée quand même à la séduction d'autrui. Pour être heureux, il faut penser au bonheur d'un autre. Il y a ainsi une altérité dans les jouissances les plus égoïstes" [42]
Caractère : "Tout prolongement effectif est une adjonction, toute identité une ressemblance. Nous nous reconnaissons dans notre caractère parce que nous nous imitons nous-mêmes et que notre personnalité est ainsi l'habitude de notre propre nom. C'est parce que nous nous unifions autour de notre nom et de notre dignité - cette noblesse du pauvre - que nous pouvons transporter sur l'avenir l'unité d'une âme. La copie que nous refaisons sans cesse doit d'ailleurs s'améliorer, ou bien le modèle inutile se ternit et l'âme, qui n'est qu'une persistance esthétique, se dissout." [43] "Le caractère est, en grande partie, une production du milieu humain ; sa psychanalyse relève surtout du milieu familial. C'est dans la famille, dans les groupes sociaux les plus serrés qu'on voit se développer la psychologie du contre. Par bien des traits, on peut même définir le caractère comme un système de défense de l'individu contre la société, comme un processus d'opposition à une société. Une psychologie du contre devrait donc surtout étudier les conflits du moi et du sur-moi. (…) Le caractère se confirme dans les heures de solitude si favorables aux exploits imaginaires. Ces heures de totale solitude sont automatiquement des heures d'univers. L'être humain, qui quitte les hommes jusqu'au fond de ses rêveries, regarde enfin les choses. Rendu ainsi à la nature, l'homme est rendu à ses puissances transformantes, à sa fonction de transformation matérielle, si seulement il vient à la solitude non comme à une retraite loin des hommes, mais avec les forces mêmes du travail. " [44]
Causalité : "Le principe de causalité se subordonne à ce que la pensée objective exige et en cela il peut bien être dit encore la catégorie fondamentale de la pensée objective. En effet la psychologie de l'idée de cause s'est constituée sans s'astreindre aux définitions ultra-précises que nous réclamions pour fonder le Déterminisme. De la cause à l'effet, il y a une liaison qui, jusqu'à un certain point, subsiste en dépit des défigurations partielles de la cause et de l'effet. La causalité est donc beaucoup plus générale que le déterminisme." [45] "L'analyse causale est fondée sur une hiérarchie évidente des qualités et pour cette analyse, la détermination de la quantité est de peu d'intérêt." [46]
Censure : "Le rêve nocturne peut bien être une lutte violente ou rusée contre les censures. La rêverie nous fait connaître le langage sans censure. Dans la rêverie solitaire nous pouvons nous dire tout à nous-mêmes."[47]
Certitude : "Le signe premier de la certitude scientifique, c'est qu'elle peut être revécue aussi bien dans son analyse que dans sa synthèse." [48]
Cerveau : "Jadis, la réflexion résistait au premier réflexe. La pensée scientifique moderne réclame qu'on résiste à la première réflexion. C'est donc tout l'usage du cerveau qui est mis en question. Désormais le cerveau n'est plus absolument l'instrument adéquat de la pensée scientifique, autant dire que le cerveau est l'obstacle à la pensée scientifique. Il est un obstacle en ce sens qu'il est un coordonnateur de gestes et d'appétits. Il faut penser contre le cerveau."[49]
Chaleur : "Chez un poète comme Novalis le besoin de sentir domine le besoin de voir et qu'avant la lumière goethéenne, il faut ici placer la douce chaleur obscure, inscrite dans toutes les fibres de l'être." [50]
Clarté : "C'est donc toujours le même paradoxe : on connaît clairement ce qu'on connaît grossièrement. Si l'on veut connaître distinctement, la connaissance se pluralise, le noyau unitaire du concept de premier examen éclate."[51] "Même chez un esprit clair, il y a des zones obscures, des cavernes où continuent à vivre des ombres. (…) Nous insisterons sur ce fait qu'on ne peut se prévaloir d'un esprit scientifique tant qu'on n'est pas assuré, à tous les moments de la vie pensive, de reconstruire tout son savoir." [52] "«Notre esprit, dit justement M. Bergson, a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l'idée qui lui sert le plus souvent.» [53] L'idée gagne ainsi une clarté intrinsèque abusive. À l'usage, les idées se valorisent indûment. Une valeur en soi s'oppose à la circulation des valeurs. C'est un facteur d'inertie pour l'esprit." [54] "La science contemporaine (…) substitue à la clarté en soi une sorte de clarté opératoire. Loin que ce soit l'être qui illustre la relation, c'est la relation qui illumine l'être." [55] "La clarté d'une intuition est obtenue d'une manière discursive, par un éclairement progressif, en faisant fonctionner les notions, en variant les exemples. (…) On ne peut montrer plus nettement le caractère discursif de la clarté, la synonymie de l'évidence et de l'application variée." [56]
Cogito : "Avec un peu d'attention à la substance de notre être méditant, nous trouverons ainsi deux directions du cogito dynamique suivant que notre être cherche la richesse ou qu'il cherche la liberté. Toute valorisation devra tenir compte de cette dialectique. Nous avons d'abord besoin de donner une valeur à notre être pour estimer la valeur des autres êtres." [57]
Cohérence : "Une philosophie n'est pas cohérente par son objet ; elle n'a comme cohésion que la communauté des valeurs affectives de l'auteur et du lecteur." [58]
Complexe : "Le complexe espace-temps-conscience, c'est l'atomisme à triple essence, c'est la monade affirmée dans sa triple solitude, sans communication avec les choses, sans communication avec le passé, sans communication avec les âmes étrangères."[59] "Un complexe doit garder sa synthèse des contraires ; c'est par la somme des contradictions amassées qu'on a une mesure de la force du complexe."[60] "Ces poèmes méconnaissent aussi bien la réalité historique que la réalité objective. Ils ne peuvent donc prendre leur force de synthèse que dans un complexe inconscient, dans un complexe si caché, si éloigné de ce qu'on sait sur soi-même qu'on croit, en l'explicitant, découvrir une réalité." [61] "Nous appelons aussi (complexe de culture) des attitudes irréfléchies qui commandent le travail même de la réflexion. Ce sont, par exemple, dans le domaine de l'imagination, des images favorites qu'on croit puisées dans les spectacles du monde et qui ne sont que des projections d'une âme obscure. On cultive les complexes de culture en croyant se cultiver objectivement (…) Sous sa bonne forme, le complexe de culture revit et rajeunit une tradition. Sous sa mauvaise forme, le complexe de culture est une habitude scolaire d'un écrivain sans imagination."[62] "La psychanalyse d'un complexe de culture réclamera donc toujours la séparation de ce qu'on sait et de ce qu'on sent, comme l'analyse d'un symbole réclame la séparation de ce qu'on voit et de ce qu'on désire." [63] "Un complexe est toujours la charnière d'une ambivalence. Autour d'un complexe, la joie et la douleur sont toujours prêtes à échanger leur ardeur." [64]
Comprendre : "Nous ne pouvons nous comprendre clairement que par une sorte d'induction psychique, en excitant ou en modérant synchroniquement des élans. Je ne puis comprendre une âme qu'en transformant la mienne. (…) Une communion réelle est nécessairement temporelle. Elle est discursive. Dans la vie de passion, qui est la vie usuelle, nous ne pouvons nous comprendre qu'en activant les mêmes complexes. Dans la vie philosophique, souriante et sereine, désabusée ou douloureuse, nous ne pouvons nous comprendre qu'en réduisant, ensemble, les mêmes complexes, en diminuant toutes les tensions, en abjurant la vie. (…) Un complexe ne se comprend que par voie d'activation et de réduction." [65] "La compréhension a un axe dynamique, c'est un élan spirituel, c'est un élan vital." [66] "Tout travailleur de la vie de l'esprit sait bien que le travail personnel repose. Or dans la culture scientifique, tout travail prend un aspect personnel. On devient nécessairement le sujet conscient de l'acte de comprendre. Et si l'acte de comprendre franchit une difficulté, la joie de comprendre paie de toutes les peines. (…) Il s'agit d'un fait, d'un fait qui a un sens philosophique : comprendre ne résume pas seulement un passé du savoir. Comprendre est l'acte même du devenir de l'esprit." [67]
Concept : "Si l'on veut bien admettre que, dans son essence, la pensée scientifique est une objectivation, on doit conclure que les rectifications et les extensions en sont les véritables ressorts. C'est là qu'est écrite l'histoire dynamique de la pensée. C'est au moment où un concept change de sens qu'il a le plus de sens, c'est alors qu'il est, en toute vérité, un événement de la conceptualisation. (…) Les concepts et les méthodes, tout est fonction du domaine d'expérience ; toute la pensée scientifique doit changer devant une expérience nouvelle. Un discours de la méthode scientifique sera toujours un discours de circonstance, il ne décrira pas une constitution définitive de l'esprit scientifique." [68] "Un concept net doit porter la trace de tout ce que nous avons refusé d'y incorporer."[69] "L'historien des sciences doit prendre les idées comme des faits. L'épistémologue doit prendre les faits comme des idées, en les insérant dans un système de pensées. Un fait mal interprété par une époque reste un fait pour l'historien. C'est, au gré de l'épistémologue, un obstacle, c'est une contre-pensée… L'épistémologue doit s'efforcer de saisir les concepts scientifiques dans des synthèses psychologiques effectives, c'est-à-dire dans des synthèses psychologiques progressives, en établissant, à propos de chaque notion, une échelle de concepts, en montrant comment un concept en a produit un autre, s'est lié avec un autre. Alors il aura quelque chance de mesurer une efficacité épistémologique. Aussitôt, la pensée scientifique apparaîtra comme une difficulté vaincue, comme un obstacle surmonté." [70] "L'esprit scientifique peut se fourvoyer en suivant deux tendances contraires : l'attrait du singulier et l'attrait de l'universel. Au niveau de la conceptualisation, nous définirons ces deux tendances comme caractéristiques d'une connaissance en compréhension et d'une connaissance en extension. (…) Il faudrait ici créer un mot nouveau, entre compréhension et extension, pour désigner cette activité de la pensée empirique inventive. (…) La richesse d'un concept scientifique se mesure à sa puissance de déformation. (…) Dans l'expérience elle (la conceptualisation) cherche des occasions pour compliquer le concept, pour l'appliquer en dépit de la résistance du concept, pour réaliser les conditions d'application que la réalité ne réunissait pas. C'est alors qu'on s'aperçoit que la science réalise ses objets, sans jamais les trouver tout faits. La phénoméno-technique étend la phénoménologie. Un concept est devenu scientifique dans la proportion où il est devenu technique, où il est accompagné d'une technique de réalisation…" [71] "L'imagination a sans cesse besoin de dialectique. Pour une imagination bien dualisée, les concepts ne sont pas des centres d'images qui s'accumulent par ressemblance ; les concepts sont des produits de croisements d'images, des croisements à angle droit, incisifs, décisifs. Après le croisement, le concept a un caractère de plus : le poisson vole et nage." [72] "Dans ce fort tissu qu'est la pensée rationnelle interviennent des inter-concepts, c'est-à-dire des concepts qui ne reçoivent leur sens et leur rigueur que dans leurs relations rationnelles." [73]
Connaissance : "La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation." [74] "Une connaissance immédiate est, dans son principe même, subjective. En prenant la réalité comme son bien, elle donne des certitudes prématurées qui entravent, plutôt qu'elles ne la servent, la connaissance objective." [75] "La connaissance scientifique est toujours la réforme d'une illusion."[76] "La connaissance n'est-elle pas, dans son essence, une polémique ? " [77] "La seule positivité claire d'une connaissance se prend dans la conscience des rectifications nécessaires, dans la joie d'imposer une idée…" [78] "Si, dans une connaissance, la somme des convictions personnelles dépasse la somme des connaissances qu'on peut expliciter, enseigner, prouver, une psychanalyse est indispensable. La psychologie du savant doit tendre à une psychologie clairement normative ; le savant doit se refuser à personnaliser sa connaissance, corrélativement, il doit s'efforcer de socialiser ses convictions." [79] "Penser scientifiquement, c'est se placer dans le champ épistémologique intermédiaire entre théorie et pratique, entre mathématiques et expérience. Connaître scientifiquement une loi naturelle, c'est la connaître à la fois comme phénomène et comme noumène." [80] "Une connaissance qui manque de précision, ou pour mieux dire, une connaissance qui n'est pas donnée avec ses conditions de détermination précise n'est pas une connaissance scientifique. Une connaissance générale est presque fatalement une connaissance vague." [81] "L'homme a un destin de connaissance. Il est vraiment l'être qui respire l'intelligence. Ce destin de connaissance ne saurait avoir de terme. L'histoire des efforts scientifiques le prouve assez. Les problèmes les plus beaux se posent au sommet de la culture. Connaître ne peut qu'éveiller un seul désir : connaître davantage, connaître mieux." [82]
Conscience : "Le présent ne passe pas, car on ne quitte un instant que pour en retrouver un autre ; la conscience est conscience de l'instant et la conscience de l'instant est conscience : deux formules si voisines qu'elles nous placent dans la plus proche des réciproques et affirment une assimilation de la croissance pure et de la réalité temporelle. Une fois qu'elle est prise dans une méditation solitaire, la conscience à l'immobilité de l'instant isolé." [83] "Nous avons d'abord besoin de donner une valeur à notre être pour estimer la valeur des autres êtres. Et c'est en cela que l'image du peseur est si importante dans la philosophie de Nietzsche. Le je pense donc je pèse n'est pas pour rien lié à une profonde étymologie. Le cogito pondéral est le premier des cogito dynamiques. C'est dans cette estimation imaginée de notre être que se trouvent les premières images de la valeur."[84] "Pour nous, toute prise de conscience est un accroissement de conscience, une augmentation de lumière, un renforcement de la cohérence psychique. Sa rapidité et son instantanéité peuvent nous masquer la croissance. Mais il y a croissance d'être dans toute prise de conscience. La conscience est contemporaine d'un devenir psychique vigoureux, un devenir qui propage sa vigueur dans tout le psychisme. La conscience, à elle seule, est un acte, l'acte humain. C'est un acte vif, un acte plein. Même si l'action qui suit, qui devait suivre, qui aurait dû suivre, reste suspendue, l'acte conscienciel à sa pleine positivité. (…) Augmenter le langage, créer du langage, valoriser le langage, aimer le langage, voilà autant d'activités où s'augmente la conscience de parler. (…) Une conscience qui diminue, une conscience qui s'endort, une conscience qui rêvasse n'est déjà plus une conscience." [85]
Construction : "Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit." [86]
Contact : «En fait, c'est peut-être sous son aspect d'énergie imaginée que le dualisme philosophique du sujet et de l'objet se présente en plus franc équilibre ; en d'autres termes, dans le règne de l'imagination, on peut aussi bien dire que la résistance réelle suscite des rêveries dynamiques ou que les rêveries dynamiques vont réveiller une résistance endormie dans les profondeurs de la matière. Novalis a publié dans Athenaeum des pages qui éclairent cette loi de l'égalité de l'action et de la réaction transposée en loi de l'imagination. Pour Novalis, "dans chaque contact s'engendre une substance, dont l'effet dure aussi longtemps que dure le toucher". Autant dire que la substance est dotée de l'acte de nous toucher.Elle nous touche, comme nous la touchons, durement ou doucement. Novalis continue : "Cela est le fondement de toutes les modifications synthétiques de l'individu." Ainsi, pour l’idéalisme magique de Novalis, c'est l'être humain qui éveille la matière, c'est le contact de la main merveilleuse, le contact pourvu de tous les rêves du tact imaginant qui donne vie aux qualités sommeillant dans les choses.» [87]
Contempler : "Comment d'ailleurs avoir l'assurance que notre être soit lui-même tout entier dans la contemplation la plus concentrée ? La pensée commence par un dialogue sans précision où le sujet et l'objet communiquent mal, car ils sont tous deux des diversités dépareillées."[88] "La philosophie de Schopenhauer a montré que la contemplation esthétique apaise un instant le malheur des hommes en les détachant du drame de la volonté. Cette séparation de la contemplation et de la volonté efface un caractère que nous voudrions souligner : la volonté de contempler. La contemplation elle aussi détermine une volonté. L'homme veut voir. Voir est un besoin direct. La curiosité dynamise l'esprit humain. Mais dans la nature elle-même, il semble que des forces de vision sont actives. Entre la nature contemplée et la nature contemplative les relations sont étroites et réciproques. La nature imaginaire réalise l'unité de la natura naturans et de la natura naturata.(…) Pour la vision active, il semble que l'œil projette de la lumière, qu'il éclaire lui-même ses images. On comprend alors que l'œil ait la volonté de voir ses visions, que la contemplation soit, elle aussi, volonté."[89]
Couleur : "Aucun art n'est plus directement créateur, manifestement créateur, que la peinture. Pour un grand peintre, méditant sur la puissance de son art, la couleur est une force créante. Il sait bien que la couleur travaille la matière, qu'elle est une véritable activité de la matière, que la couleur vit d'un constant échange de forces entre la matière et la lumière. (…) Aussi, par la fatalité des songes primitifs, le peintre renouvelle les grands rêves cosmiques qui attachent l'homme aux éléments, au feu, à l'eau, à l'air céleste, à la prodigieuse matérialité des substances terrestres." Un jaune de Van Gogh est un or alchimique, un or butiné sur mille fleurs, élaboré comme un miel solaire. Ce n'est jamais simplement l'or du blé, de la flamme, ou de la chaise de paille : c'est un or à jamais individualisé par les interminables songes du génie. Il n'appartient plus au monde, mais il est le bien d'un homme, le cœur d'un homme, la vérité élémentaire trouvée dans la contemplation de toute une vie. (…) Avec Van Gogh, un type d'ontologie de la couleur nous est soudain révélé. Le feu universel a marqué un homme prédestiné. Ce feu, au ciel, grossit justement les étoiles. Jusque-là va la témérité d'un élément actif, d'un élément qui excite assez la matière pour en faire une nouvelle lumière." [90]
Création : "Le poète doit créer son lecteur et non point exprimer des idées communes." [91]
Crise : "Quelle que soit la durée des repos dans le réalisme, ce qui doit frapper c'est que toutes les révolutions fructueuses de la pensée scientifique sont des crises qui obligent à un reclassement profond du réalisme. De plus, ce n'est jamais la pensée réaliste qui provoque d'elle-même ses propres crises. L'impulsion révolutionnaire vient d'ailleurs : elle prend naissance dans le règne de l'abstrait. C'est dans le domaine mathématique que sont les sources de la pensée expérimentale contemporaine."[92]
Culture : "Si l'on savait doubler la culture objective par une culture psychologique, en s'absorbant entièrement dans la recherche scientifique avec toutes les forces de la vie, on sentirait la soudaine animation que donnent à l'âme les synthèses créatrices de la Physique mathématique." [93] "C'est verser dans un vain optimisme que de penser que savoir sert automatiquement à savoir, que la culture devient d'autant plus facile qu'elle est plus étendue, que l'intelligence enfin, sanctionnée par des succès précoces, par de simples concours universitaires, se capitalise comme une richesse matérielle. En admettant même qu'une tête bien faite échappe au narcissisme intellectuel si fréquent dans la culture littéraire, dans l'adhésion passionnée aux jugements du goût, on peut sûrement dire qu'une tête bien faite est malheureusement une tête fermée. C'est un produit d'école.(…) Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon, qu'on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point par point. Ils n'ont pas réfléchi au fait que l'adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. (…) Ainsi toute culture scientifique doit commencer, comme nous l'expliquerons longuement, par une catharsis intellectuelle et affective. Reste ensuite la tâche la plus difficile : mettre la culture scientifique en état de mobilisation permanente, remplacer le savoir fermé et statique par une connaissance ouverte et dynamique, dialectiser toutes les variables expérimentales, donner enfin à la raison des raisons d'évoluer. (…) Mais plus une œuvre est diffcile, plus elle est éducatrice. Plus une science est spéciale, plus elle demande de concentration spirituelle ; plus grand aussi doit être le désintéressement qui l'anime. Le principe de la culture continuée est d'ailleurs à la base d'une culture scientifique moderne. (…) Dans l'œuvre de la science seulement on peut aimer ce qu'on détruit, on peut continuer le passé en le niant, on peut vénérer son maître en le contredisant. Alors oui, l'École continue tout le long d'une vie. Une culture bloquée sur un temps scolaire est la négation même de la culture scientifique. Il n'y a de science que par une École permanente. C'est cette école que la science doit fonder. Alors les intérêts sociaux seront définitivement inversés : la Société sera faite pour l'École et non pas l'École pour la Société." [94] "L'homme est homme par sa puissance de culture. Sa nature, c'est de pouvoir sortir de la nature par la culture, de pouvoir donner, en lui et hors de lui, la réalité à la facticité." [95]
Décrire : "Décrire empiriquement serait une servitude à l'objet, en se faisant une loi de maintenir le sujet dans la passivité." [96]
Définition : "Toute définition est une expérience ; toute définition d'un concept est fonctionnelle." [97]
Désir : "La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin." [98]
Déterminisme : "Le Déterminisme est alors une conséquence de la simplicité de la géométrie première. Le sentiment du déterminé, c'est le sentiment de l'ordre fondamental, le repos d'esprit que donnent les symétries, la sécurité des liaisons mathématiques. (…) Il n'y a donc pas de déterminisme sans un choix, sans une mise à l'écart des phénomènes perturbants ou insignifiants. Très souvent d'ailleurs un phénomène est insignifiant parce qu'on néglige de l'interroger.(…) La psychologie du déterminisme est faite de véritables restrictions expérimentales. Qu'on considère les enseignements de l'astronomie et de la mécanique, qu'on revive les intuitions formées devant le phénomène immédiat, on voit que le Déterminisme part de choix et d'abstractions et que, peu à peu, il devient une véritable technique. Le déterminisme scientifique se prouve sur des phénomènes simplifiés et solidifiés : le causalisme est solidaire du chosisme. Le déterminisme mécanique se prouve sur une mécanique mutilée, livrée à l'analyse incorrecte de l'espace-temps. Le déterminisme de la science physique se prouve sur des phénomènes hiérarchisés, en majorant des variables particulières. Le déterminisme de la science chimique se prouve sur des corps purifiés, en se référant à des qualités énumérées. (…) Nous distinguerons donc le déterminisme négatif et le déterminisme positif. Nous ne prétendons pour l'instant qu'une chose, c'est que cette distinction est légitimée par la polémique de la preuve. Si quelqu'un doute qu'une ligne particulière de phénomènes peut être conçue comme déterminée, on se mettra à définir un état du phénomène et l'on prédira un état subséquent du phénomène évolué qu'on définira avec le plus de précision possible. (…) Il peut y avoir convergence de l'expérience vers le déterminisme, mais définir le déterminisme autrement que comme une perspective convergente de probabilité c'est commettre une erreur insigne."[99]
Dialectique : "Le feu intime se dialectise. C'est au point qu'il suffit de s'enflammer pour se contredire. Dès qu'un sentiment monte à la tonalité du feu, dès qu'il s'expose, en sa violence, dans les métaphysiques du feu, on peut être sûr qu'il va accumuler une somme de contraires. Alors l'être aimant veut être pur et ardent, unique et universel, dramatique et fidèle, instantané et permanent." [100] "S'il l'osait, un philosophe rêvant devant un tableau d'eau de Monet développerait les dialectiques de l'iris et du nymphéa, la dialectique de la feuille droite et de la feuille calmement, sagement, pesamment appuyée sur les eaux. N'est-ce pas la dialectique même de la plante aquatique : l'une veut surgir animée d'on ne sait quelle révolte contre l'élément natal, l'autre est fidèle à son élément. Le nymphéa a compris la leçon du calme que donne une eau dormante. Avec un tel songe dialectique, on ressentirait peut-être, en son extrême délicatesse, la douce verticalité qui se manifeste dans la vie des eaux dormantes. (…) On ne rêve pas près de l'eau sans formuler une dialectique du reflet et de la profondeur. Il semble que, du fond des eaux, on ne sait quelle matière vienne nourrir le reflet." [101]
Dialogue : "Mais le dialogue prépare souvent mal les dialectiques objectives. La personnalisation des tendances marque trop profondément les différenciations du réel. En d'autres termes, deux interlocuteurs, qui s'entretiennent en apparence d'un objet précis, nous renseignent plus sur eux-mêmes que sur cet objet." [102]
Doute : "Au monde détruit par le doute universel ne pourra succéder, dans une réflexion constructive, qu'un monde fortuit. Si l'on ne se donne pas le droit de passer par le circuit de la notion du Dieu créateur, on ne voit pas en effet quelle garantie on aurait, après un doute totalement destructeur, de reconstruire précisément ce monde réel à propos duquel on avait préalablement soulevé un doute fondamental. L'univers cartésien pourrait dire au philosophe : tu ne me retrouveras pas si tu m'avais vraiment perdu. Ainsi, entre les deux pôles du monde détruit et du monde construit, nous proposons de glisser simplement le monde rectifié. Et aussitôt le moi rationnel est conscience de rectification." [103]
Durée : "Ayant triomphé (Bergson) en prouvant l'irréalité de l'instant, comment parlerons-nous du commencement d'un acte ? Quelle puissance surnaturelle, placée en dehors de la durée, aura donc la faveur de marquer d'un signe décisif une heure féconde qui, pour durer, doit tout de même commencer ? (…) La durée est faite d'instants sans durée, comme la droite est faite de points sans dimension.(…) On se souvient d'avoir été, on ne se souvient pas d'avoir duré. (…) La durée n'est qu'un nombre dont l'unité est l'instant. (…) Comme nous vivons une durée qui paraît continue dans un examen macroscopique, nous sommes amenés, pour l'examen des détails, à apprécier la durée en fractions toujours plus petites de nos unités choisies. Mais le problème changerait de sens si nous considérions la construction réelle du temps à partir des instants, au lieu de sa division toujours factice à partir de la durée. Nous verrions alors que le temps se multiplie sur le schème des correspondances numériques, loin de se diviser sur le schème du morcelage d'un continu. (…) Cette comptabilité s'exprime avec des fréquences plutôt qu'avec des durées et le langage en «combien de fois» supplante peu à peu le langage en «combien de temps». (…) Le temps ne dure qu'en inventant." (…) La conscience du temps est toujours pour nous une conscience de l'utilisation des instants, elle est toujours active, jamais passive, bref la conscience de notre durée est la conscience d'un progrès de notre être intime, que ce progrès soit d'ailleurs effectif ou mimé ou encore simplement rêvé. (…) La cohérence de la durée, c'est la coordination d'une méthode d'enrichissement. On ne peut parler d'une uniformité pure et simple, si ce n'est dans un monde d'abstractions, dans une description du néant. Ce n'est pas du côté de la simplicité qu'il faut passer à la limite, c'est du côté de la richesse. La seule durée uniforme réelle est à notre avis une durée uniformément variée, une durée progressive." [104]
Eau : «Cette phrase énigmatique et parfaite de Novalis : "L'eau est une flamme mouillée."»[105]
Échec : "L'échec n'est qu'une preuve négative, l'échec est toujours expérimental. Dans le domaine de la raison, il suffit de rapprocher deux thèmes obscurs pour que survienne la clarté de l'évidence. Alors avec l'ancien mal compris on fait une nouveauté féconde. S'il y a un retour éternel qui soutienne le monde, c'est le retour éternel de la raison." [106]
École : "Alors oui, l'École continue tout le long d'une vie. Une culture bloquée sur un temps scolaire est la négation même de la culture scientifique. Il n'y a de science que par une École permanente. C'est cette école que la science doit fonder. Alors les intérêts sociaux seront définitivement inversés : la Société sera faite pour l'École et non pas l'École pour la Société."[107]
Éducateur : "Toute culture est solidaire de plan d'études, de cycle d'études. L'homme adonné à la culture scientifique est un éternel écolier. L'école est le modèle le plus élevé de la vie sociale. Rester un écolier doit être le vœu secret d'un maître. (…) "Les parents abusent souvent plus encore de leur savoir que de leur pouvoir. (…) L'omniscience des parents, suivie bientôt à tous les niveaux de l'instruction par l'omniscience des maîtres, installe un dogmatisme qui est la négation de la culture. Quand ce dogmatisme est attaqué par les folles espérances de la jeunesse, il se fait prophétique. Il prétend s'appuyer sur «une expérience de la vie» pour prévoir l'avenir de la vie. Or les conditions du progrès sont désormais si mobiles que l'«expérience de la vie» passée, si une sagesse pouvait la résumer, est presque fatalement un obstacle à surmonter si l'on veut diriger la vie présente. (…) Plus on est âgé, plus on se trompe sur les possibilités de vie de la jeunesse." [108] "À l'école, le jeune milieu est plus formateur que le vieux, les camarades plus importants que les maîtres. Les maîtres, surtout dans la multiplicité incohérente de l'Enseignement secondaire, donnent des connaissances éphémères et désordonnées, marquées du signe néfaste de l'autorité. Au contraire, les camarades enracinent des instincts indestructibles. Il faudrait donc pousser les élèves, pris en groupe, à la conscience d'une raison de groupe, autrement dit à l'instinct d'objectivité sociale, instinct qu'on méconnaît pour développer de préférence l'instinct contraire d'originalité, sans prendre garde au caractère truqué de cette originalité apprise dans les disciplines littéraires. Autrement dit, pour que la science objective soit pleinement éducatrice, il faudrait que son enseignement fût socialement actif. C'est une grande méprise de l'instruction commune que d'instaurer sans réciproque, la relation inflexible de maître à élève." [109]
Empirique : "La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites.(…) Quand la connaissance empirique se rationalise, on n'est jamais sûr que des valeurs sensibles primitives ne coefficientent pas les raisons."[110]
Enseigner : "Âme professorale, toute fière de son dogmatisme, immobile dans sa première abstraction, appuyée pour la vie sur les succès scolaires de sa jeunesse, parlant chaque année son savoir, imposant ses démonstrations, tout à l'intérêt déductif, soutien si commode de l'autorité, enseignant son domestique comme fait Descartes ou le tout venant de la bourgeoisie comme fait l'Agrégé de l'Université. (…) Au cours d'une carrière déjà longue et diverse, je n'ai jamais vu un éducateur changer de méthode d'éducation. Un éducateur n'a pas le sens de l'échec précisément parce qu'il se croit un maître. Qui enseigne commande. D'où une coulée d'instincts. (…) Qui est enseigné doit enseigner. Une instruction qu'on reçoit sans la transmettre forme des esprits sans dynamisme, sans autocritique. (...) Il court toujours un jeu de nuances philosophiques sur un enseignement vivant : un enseignement reçu est psychologiquement un empirisme ; un enseignement donné est psychologiquement un rationalisme. Je vous écoute : je suis tout ouïe. Je vous parle : je suis tout esprit. Même si nous disons la même chose, ce que vous dites est toujours un peu irrationnel ; ce que je dis est toujours un peu rationnel. Vous avez toujours un peu tort, et j'ai toujours un peu raison. La matière enseignée importe peu. L'attitude psychologique faite, d'une part, de résistance et d'incompréhension, d'autre part, d'impulsion et d'autorité, devient l'élément décisif dans l'enseignement réel, quand on quitte le livre pour parler aux hommes."[111]
Épistémologie : "Pour la philosophie scientifique, il n'y a ni réalisme ni rationalisme absolus et il ne faut pas partir d'une attitude philosophique générale pour juger la pensée scientifique. (…) Il semble d'ailleurs qu'on puisse donner rapidement une raison de cette base dualistique de toute philosophie scientifique : par le fait même que la philosophie de la science est une philosophie qui s'applique, elle ne peut garder la pureté et l'unité d'une philosophie spéculative. Quel que soit le point de départ de l'activité scientifique, cette activité ne peut pleinement convaincre qu'en quittant le domaine de base : si elle expérimente, il faut raisonner ; si elle raisonne, il faut expérimenter. Toute application est transcendance." [112] "C'est donc l'effort de rationalité et de construction qui doit retenir l'attention de l'épistémologue. On peut voir ici ce qui distingue le métier de l'épistémologue de celui de l'historien des sciences. L'historien des sciences doit prendre les idées comme des faits. L'épistémologue doit prendre les faits comme des idées, en les insérant dans un système de pensées. Un fait mal interprété par une époque reste un fait pour l'historien. C'est, au gré de l'épistémologue, un obstacle, c'est une contre-pensée." [113] "Penser scientifiquement, c'est se placer dans le champ épistémologique intermédiaire entre théorie et pratique, entre mathématiques et expérience. Connaître scientifiquement une loi naturelle, c'est la connaître à la fois comme phénomène et comme noumène." [114]
Erreur : "Au spectacle des phénomènes les plus intéressants, les plus frappants, l'homme va naturellement avec tous ses désirs, avec toutes ses passions, avec toute son âme. On ne doit donc pas s'étonner que la première connaissance objective soit une première erreur." [115] "Il ne saurait y avoir de vérité première, il n'y a que des erreurs premières." [116] "Psychologiquement, pas de vérité sans erreur rectifiée. Une psychologie de l'attitude objective est une histoire de nos erreurs personnelles." [117] "L'homme qui aurait l'impression de ne se tromper jamais se tromperait toujours." [118] "Après la psychanalyse de la connaissance objective, l'erreur est reconnue comme telle, mais elle reste comme un objet de polémique heureuse. Quelle allégresse profonde il y a dans les confessions d'erreurs objectives. Avouer qu'on s'était trompé, c'est rendre le plus éclatant hommage à la perspicacité de son esprit. C'est revivre sa culture, la renforcer, l'éclairer de lumières convergentes. C'est aussi l'extérioriser, la proclamer, l'enseigner. Alors prend naissance la pure jouissance du spirituel." [119] "Puisqu'il n'y a pas de démarche objective sans la conscience d'une erreur intime et première, nous devons commencer les leçons d'objectivité par une véritable confession de nos fautes intellectuelles. Avouons donc nos sottises pour que notre frère y reconnaisse les siennes, et réclamons de lui et l'aveu et le service réciproques. (…) Le long d'une ligne d'objectivité, il faut disposer la série des erreurs communes et normales." [120]
Esprit : "La véritable psychologie de l'esprit scientifique serait ainsi bien près d'être une psychologie normative, une pédagogie en rupture avec la connaissance usuelle. D'une manière plus positive, on saisira l'essence de la psychologie de l'esprit scientifique dans la réflexion par laquelle les lois découvertes dans l'expérience sont pensées sous forme de règles aptes à découvrir des faits nouveaux." [121] "Il faut également bien distinguer l'esprit scientifique régulier qui anime le laboratoire de recherches et l'esprit scientifique séculier qui trouve ses disciples dans le monde des philosophes." [122] "L'esprit a une structure variable dès l'instant où la connaissance a une histoire. En effet l'histoire humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions immédiates, être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées…" [123] "Sa structure historique (de l'esprit scientifique) est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d'une longue erreur, on pense l'expérience comme rectification de l'illusion commune et première." [124] "Sans doute, on a souvent répété que la conquête du feu séparait définitivement l'homme de l'animal, mais on n'a peut-être pas vu que l'esprit, dans son destin primitif, avec sa poésie et sa science, s'était formé dans la méditation du feu. L'homo faber est l'homme des surfaces, son esprit se fige sur quelques objets familiers, sur quelques formes géométriques grossières. Pour lui, la sphère n'a pas de centre, elle réalise simplement le geste arrondi qui solidarise le creux des mains. L'homme rêvant devant son foyer est, au contraire, l'homme des profondeurs et l'homme d'un devenir. Ou encore, pour mieux dire, le feu donne à l'homme qui rêve la leçon d'une profondeur qui a un devenir : la flamme sort du cœur des branches." [125] "L'esprit est une valeur d'ordre essentiellement dynamique qui ne se manifeste pleinement qu'au moment même de sa reconstitution active et hiérarchique, comme la conscience bivalente d'un renoncement et d'un développement." [126]
Éternité : "Plutôt qu'une doctrine de l'éternel retour, la thèse roupnelienne est donc bien une doctrine de l'éternelle reprise. Elle représente la continuité du courage dans la discontinuité des tentatives, la continuité de l'idéal malgré la rupture des faits. (…)Toute la force du temps se condense dans l'instant novateur où la vue se dessille, près de la fontaine de Siloë, sous le toucher d'un divin rédempteur qui nous donne d'un même geste la joie et la raison, et le moyen d'être éternel par la vérité et la bonté."[127] "La nuit n'est pas un espace. Elle est une menace d'éternité." [128]
Être : "Pour le savant, l'Être n'est saisi en un bloc ni par l'expérience ni par la raison. Il faut donc que l'épistémologie rende compte de la synthèse plus ou moins mobile de la raison et de l'expérience, quand bien même cette synthèse se présenterait philosophiquement comme un problème désespéré." [129]
Évidence : "L'évidence y est (chez Descartes) entière précisément parce que les éléments simples sont indivisibles. On les voit tout entiers parce qu'on les voit séparés. De même que l'idée claire et distincte est totalement dégagée du doute, la nature de l'objet simple est totalement séparée des relations avec d'autres objets." [130] "Cette pensée tout entière resserrée sur le cogito cartésien, ne dure pas. Elle ne tient son évidence que de son caractère instantané, elle ne prend une conscience claire d'elle-même que parce qu'elle est vide et solitaire. Alors elle attend dans une durée qui n'est qu'un néant de pensée et par conséquent un néant effectif, l'attaque du monde." [131] "Mais la source initiale est impure : l'évidence première n'est pas une vérité fondamentale. En fait, l'objectivité scientifique n'est possible que si l'on a d'abord rompu avec l'objet immédiat, si l'on a refusé la séduction du premier choix, si l'on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation." [132]
Évolution : "Même dans l'évolution historique d'un problème particulier, on ne peut cacher de véritables ruptures, des mutations brusques, qui ruinent la thèse de la continuité épistémologique." [133] "Il faut renouveler l'esprit au contact d'une expérience nouvelle. En somme, il s'agit de réaliser profondément, philosophiquement toute expérience de nouveauté. (…) Quand tout change dans la culture, et les méthodes et les objets, on peut s'étonner qu'on donne l'immobilité philosophique comme un mérite." [134]
Expérimentation : "Naturellement, dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique."[135]
Fait : "Contre l'adhésion au «fait» primitif, la psychanalyse de la connaissance objective est particulièrement difficile. Il semble qu'aucune expérience nouvelle, qu'aucune critique ne puissent dissoudre certaines affirmations premières. On concède tout au plus que les expériences premières peuvent être rectifiées et précisées par des expériences nouvelles. Comme si l'observation première pouvait livrer autre chose qu'une occasion de recherche ! (…) Dans la connaissance vulgaire, les faits sont trop tôt impliqués dans des raisons. Du fait à l'idée, le circuit est trop court. On croit pouvoir s'en tenir au fait. On dit volontiers que les anciens ont pu se tromper sur l'interprétation des faits, mais que, du moins, ils ont vu - et bien vu - les faits. Or il faut, pour qu'un fait soit défini et précisé, un minimum d'interprétation." [136] "Un contact direct et premier avec le phénomène fournit tout au plus des faits non scientifiques, vagues, mal définis, mobiles, tout mêlés d'impressions passagères. Le fait scientifique ne peut de toute évidence être précisé sans un corps de précautions minutieuses. Il ne peut être défini sans un système théorique préalable." [137]
Feu : «Le complexe de Novalis synthétiserait alors l'impulsion vers le feu provoqué par le frottement, le besoin d'une chaleur partagée. Cette impulsion reconstituerait, dans sa primitivité exacte, la conquête préhistorique du feu. Le complexe de Novalis est caractérisé par une conscience de la chaleur intime primant toujours une science toute visuelle de la lumière. (…) La lumière joue et rit à la surface des choses, mais seule la chaleur pénètre. Dans une lettre à Schlegel, Novalis écrivait : "Vois en mon conte mon antipathie pour les jeux de la lumière et de l'ombre, et le désir de l'Éther clair, chaud et pénétrant." (…) "Ce besoin de pénétrer, d'aller à l'intérieur des choses, à l'intérieur des êtres, est une séduction de l'intuition de la chaleur intime. Où l'œil ne va pas, où la main n'entre pas, la chaleur s'insinue. Cette communion par le dedans, cette sympathie thermique, trouvera, chez Novalis, son symbole dans la descente au creux de la montagne, dans la grotte et la mine. (…) Novalis a rêvé la chaude intimité terrestre comme d'autres rêvent la froide et splendide expansion du ciel. Pour lui, le mineur est un «astrologue renversé», Novalis vit d'une chaleur concentrée plus que d'une irradiation lumineuse. Combien souvent il a médité «au bord des profondeurs obscures» ! (…) Comme il le dit, le mineur est le héros de la profondeur, préparé «à recevoir les dons célestes et à s'exalter allègrement au-delà du monde et de ses misères».[138] "Au centre sont les germes ; au centre est le feu qui engendre. Ce qui germine brûle. Ce qui brûle germine." [139]
Fleur : "Du feu, de l'air, de la lumière, toute chose qui monte a du divin aussi ; tout rêve déployé est partie intégrante de l'être de la fleur. La flamme de vie de l'être qui fleurit est une tension vers le monde de la pure lumière."[140] "Vous objecterez que Novalis est le poète "de la petite fleur bleue", le poète du myosotis lancé en gage du souvenir impérissable, au bord du précipice, dans l'ombre même de la mort. Mais allez au fond de l'inconscient ; retrouvez, avec le poète, le rêve primitif et vous verrez clairement la vérité : elle est rouge la petite fleur bleue ! " [141]
Général : "La philosophie a une science qui n'est qu'à elle, la science de la généralité. Nous allons nous efforcer de montrer que cette science du général est toujours un arrêt de l'expérience, un échec de l'empirisme inventif." [142]
Génie : "L'œuvre de génie est l'antithèse de la vie." [143]
Géométrie : "Rendre géométrique la représentation, c'est-à-dire dessiner les phénomènes et ordonner en série les événements décisifs d'une expérience, voilà la tâche première où s'affirme l'esprit scientifique. (…) Cette géométrisation si difficile et si lente, on ne s'étonnera guère qu'elle s'offre longtemps comme une conquête définitive et qu'elle suffise à constituer le solide esprit scientifique tel qu'il apparaît au XIXe siècle. On tient beaucoup à ce qu'on a péniblement acquis. Il nous faudra pourtant prouver que cette géométrisation est un stade intermédiaire. (…) C'est sur le caractère immuable de l'architecture de la géométrie que Kant fonde l'architectonique de la raison. Si la géométrie se divise, le kantisme ne peut être sauvé qu'en inscrivant des principes de division dans la raison elle-même, qu'en ouvrant le rationalisme. (…) On peut dire que, pendant vingt-cinq ans, Lobatchewsky s'est occupé plutôt à étendre sa géométrie qu'à la fonder. Aussi bien, on ne pouvait la fonder qu'en l'étendant. (…) La multiplicité des géométries contribue en quelque sorte à déconcrétiser chacune d'elles. Le réalisme passe de l'une à l'ensemble. (…) Dans l'interprétation des expériences de la microphysique, c'est souvent la géométrie riemanienne qui est la plus commode, la plus économique, la plus claire." [144]
Grandeur : "On se tromperait d'ailleurs si l'on pensait qu'une connaissance quantitative échappe en principe aux dangers de la connaissance qualitative. La grandeur n'est pas automatiquement objective et il suffit de quitter les objets usuels pour qu'on accueille les déterminations géométriques les plus bizarres, les déterminations quantitatives les plus fantaisistes. (…) De nos jours, les ruptures d'échelle n'ont fait que s'accentuer. Mais le problème philosophique s'est toujours révélé le même : obliger l'homme à faire abstraction des grandeurs communes, de ses grandeurs propres ; l'obliger aussi à penser les grandeurs dans leur relativité à la méthode de mesure ; bref à rendre clairement discursif ce qui s'offre dans la plus immédiate des intuitions." [145]
Habitude : "Le souvenir du passé et la prévision de l'avenir se fondent sur des habitudes. Et comme le passé n'est qu'un souvenir et que l'avenir n'est qu'une prévision, nous affirmerons que passé et avenir ne sont au fond que des habitudes. (…) L'habitude ne peut utiliser l'énergie que si cette énergie s'égrène suivant un rythme particulier… L'habitude c'est donc toujours un acte restitué dans sa nouveauté ; les conséquences et le développement de cet acte sont livrés à des habitudes subalternes, sans doute moins riches, mais qui dépensent elles aussi leur énergie propre en obéissant à des actes premiers qui les dominent. (...) Il faut donc saisir l'habitude dans sa croissance pour la saisir dans son essence ; elle est ainsi, par son incrément de succès, la synthèse de la nouveauté et de la routine et cette synthèse est réalisée par les instants féconds. (…) C'est en tendant notre conscience vers un projet plus ou moins rationnel que nous trouverons vraiment la cohérence temporelle fondamentale qui correspond pour nous à la simple habitude d'être. (…) Une habitude est un certain ordre des instants choisi sur la base de l'ensemble des instants du temps ; elle joue avec une hauteur déterminée et avec un timbre particulier. C'est un faisceau d'habitudes qui nous permet de continuer d'être dans la multiplicité de nos attributs en nous laissant l'impression que nous avons été, alors même que nous ne pourrions trouver en nous, comme racine substantielle, que la réalité que nous livre l'instant présent. De même, c'est parce que l'habitude est une perspective d'actes que nous posons des buts et des fins à notre avenir. (…) Pour pénétrer tout le sens de l'idée d'habitude, il faut associer deux concepts qui paraissent à première vue se contredire : la répétition et le commencement. Or cette objection s'efface si l'on veut voir que toute habitude particulière se tient dans la dépendance de cette habitude générale – claire et consciente – qu'est la volonté. Ainsi nous définirions assez volontiers l'habitude prise dans son sens plein par cette formule qui concilie les deux contraires trop tôt opposés par la critique : l'habitude est la volonté de commencer à se répéter soi-même… La répétition qui la caractérise est une répétition qui en s'instruisant construit. (…) L'habitude devient un progrès. D'où la nécessité de désirer le progrès pour garder à l'habitude son efficace. Dans toutes les reprises, c'est ce désir de progrès qui donne sa vraie valeur à l'instant initial qui déclenche une habitude."[146]
Homme : "Un homme est un homme dans la proportion où il est un surhomme. On doit définir un homme par l'ensemble des tendances qui le poussent à dépasser l'humaine condition. Une psychologie de l'esprit en action est automatiquement la psychologie d'un esprit exceptionnel, la psychologie d'un esprit que tente l'exception : l'image nouvelle greffée sur une image ancienne." [147]
Humain : "Les phénomènes du monde, dès qu'ils ont un peu de consistance et d'unité, deviennent des vérités humaines." [148]
Hypothèse : "Toute la doctrine de l'hypothèse du travail nous paraît vouée à une prompte décadence. Dans la proportion où cette hypothèse a été reliée à l'expérience, elle doit être tenue pour aussi réelle que l'expérience. Elle est réalisée. Le temps des hypothèses décousues et mobiles est passé, comme est passé le temps des expériences isolées et curieuses. Désormais, l'hypothèse est synthèse." [149] "Ce sont maintenant les objets qui sont représentés par des métaphores, c'est leur organisation qui fait figure de réalité. Autrement dit, ce qui est hypothétique maintenant, c'est notre phénomène ; car notre prise immédiate sur le réel ne joue que comme une donnée confuse, provisoire, conventionnelle, et cette prise phénoménologique réclame inventaire et classement."[150]
Idéaliser : "Ne pas pouvoir réaliser un amour idéal est certes une souffrance. Ne pas pouvoir idéaliser un amour réalisé en est une autre."[151]
Idée : "L'idéalisme immédiat, qui prend son départ dans une intuition globale donnant à la fois le sujet et l'objet, est ainsi doublement fautif : il est fautif en posant un sujet originellement constitué, alors que l'esprit est une valeur d'ordre essentiellement dynamique qui ne se manifeste pleinement qu'au moment même de sa reconstitution active et hiérarchique, comme la conscience bivalente d'un renoncement et d'un développement. L'idéalisme immédiat est encore fautif sur le terrain objectif quand il prétend prendre l'idée comme un absolu qu'on peut dégager par une analyse, alors qu'une idée est toujours solidaire de corrélations. Elle vaut par son rôle. Son rôle dépend de sa place. Elle est un instant du long discours que l'être propose à autrui, un instant de l'interminable monologue que la pensée tient avec elle-même. De toute manière l'idée correspond toujours à une modification spirituelle. Elle est vraiment un mode de l'âme." [152]
Ignorance : "Quand une âme sensible et cultivée se souvient de ses efforts pour dessiner, d'après son propre destin intellectuel, les grandes lignes de la Raison, quand elle étudie, par la mémoire, l'histoire de sa propre culture, elle se rend compte qu'à la base des certitudes intimes reste toujours le souvenir d'une ignorance essentielle. Dans le règne de la connaissance elle-même, il y a ainsi une faute originelle, c'est d'avoir une origine ; c'est de faillir à la gloire d'être intemporel ; c'est de ne pas s'éveiller soi-même pour rester soi-même, mais d'attendre du monde obscur la leçon de lumière." [153]
Illusion : "Cet émerveillement, ce réveil intellectuel, est la source d'une intuition nouvelle, toute rationnelle, toute polémique, qui s'anime dans la défaite de ce qui fut une certitude première, dans la douce amertume d'une illusion perdue." [154] "Ce dont nous nous enrichissons en rectifiant nos premières illusions, en quittant le royaume des apparences, n'est peut-être qu'un domaine désert et indéterminé. Mais le servage empirique est aboli. L'esprit expérimente son indépendance à l'égard de l'expérience. En prenant conscience de mon erreur objective, je prends conscience de ma liberté d'orientation. Cette orientation libérée et réfléchie, c'est déjà le voyage potentiel hors du moi, à la recherche d'un nouveau destin spirituel. Je me trompais sur les choses. Je ne suis donc pas vraiment celui que je croyais être." [155]
Image : "Ces images de la matière, on les rêve substantiellement, intimement, en écartant les formes, les formes périssables, les vaines images, le devenir des surfaces. Elles ont un poids, elles sont un cœur. (…) On pourra alors se rendre compte que l'image est une plante qui a besoin de terre et de ciel, de substance et de forme. Les images trouvées par les hommes évoluent lentement, difficilement. (…) L'être qui sort de l'eau est un reflet qui peu à peu se matérialise : il est une image avant d'être un être, il est un désir avant d'être une image. (…) Les véritables images, les images de la rêverie, sont unitaires ou binaires. Elles peuvent rêver dans la monotonie d'une substance. Si elles désirent une combinaison, c'est une combinaison de deux éléments."[156] "Quand la Physique mathématique contemporaine se sert d'images, elle emploie ces images après l'équation, pour illustrer de véritables théorèmes. La science réaliste antécédente emploie, au contraire, les images avant la pensée, croyant pouvoir fonder une science réaliste de la mesure en s'appuyant partout et toujours sur des objets. Les travaux modernes ont montré des dangers de cette philosophie scientifique." [157] "Une science qui accepte les images est, plus que toute autre, victime des métaphores. Aussi l'esprit scientifique doit-il sans cesse lutter contre les images, contre les analogies, contre les métaphores." [158] "L'image littéraire a une vie propre, elle court comme un phénomène autonome au-dessus de la pensée profonde."[159] "Les images imaginées sont des sublimations des archétypes plutôt que des reproductions de la réalité. Et comme la sublimation est le dynamisme le plus normal du psychisme, nous pourrons montrer que les images sortent du propre fonds humain. Nous dirons donc avec Novalis : «De l'imagination productrice doivent être déduites toutes les facultés, toutes les activités du monde intérieur et du monde extérieur. » [160] "Comment mieux dire que l'image a une double réalité : une réalité psychique et une réalité physique. C'est par l'image que l'être imaginant et l'être imaginé sont au plus proche. Le psychisme humain se formule primitivement en images. En citant cette pensée de Novalis, pensée qui est une dominante de l'idéalisme magique, Spenlé rappelle [161] que Novalis souhaitait que Fichte eût fondé une "Fantastique transcendantale". Alors l'imagination aurait sa métaphysique. (…) En somme, sous l'image, la psychanalyse cherche la réalité. Elle oublie la recherche inverse : sur la réalité chercher la positivité de l'image… Trop souvent, pour le psychanalyste, la fabulation est considérée comme cachant quelque chose. Elle est une couverture. C'est donc une fonction secondaire. (…) Un symbole psychanalytique, pour protéiforme qu'il soit, est cependant un centre fixe, il incline vers le concept ; c'est en somme avec assez de précision un concept sexuel… L'image est autre chose. L'image a une fonction plus active. (…) «Les rochers ce sont, pour Novalis, des images fondamentales. "Ainés des enfants de la nature : les rocs primordiaux", dit-il dans Henri Ofterdingen.» [162] "Il faut être présent, présent à l'image dans la minute de l'image. (…) L'image est tout sauf un produit direct de l'imagination… Cela n'avance en rien de dire que l'imagination est la faculté de produire des images. Mais cette tautologie a du moins l'intérêt d'arrêter les assimilations des images aux souvenirs."[163] "Ce n'est pas moi non plus qui tenterai d'affaiblir par des transactions confusionnelles la nette polarité de l'intellect et de l'imagination. J'ai cru devoir jadis écrire un livre pour exorciser les images qui prétendent, dans une culture scientifique, engendrer et soutenir les concepts. Quand le concept a pris son essentielle activité, c'est-à-dire quand il fonctionne dans un champ de concepts, quelle mollesse – quelle féminité ! – il y aurait à se servir d'images. (…) Ce n'est pas moi non plus qui, disant mon amour fidèle pour les images, les étudierai à grand renfort de concepts. La critique intellectualiste de la poésie ne conduira jamais au foyer où se forment les images poétiques." [164]
Imagination : "Nous ne sommes pas capables de descendre par l'imagination plus bas que par la sensation. En vain accole-t-on un nombre à l'image d'un objet pour marquer la petitesse de cet objet : l'imagination ne suit pas la pente mathématique. Nous ne pouvons plus penser que mathématiquement ; du fait même de la défaillance de l'imagination sensible, nous passons donc sur le plan de la pensée pure où les objets n'ont de réalité que dans leurs relations. Voilà donc bien une borne humaine du réel imaginé, autrement dit, une limite à la détermination imagée du réel."[165] "L'Imagination échappe aux déterminations de la psychologie - psychanalyse comprise – et qu'elle constitue un règne autochtone, autogène. Nous souscrivons à cette vue : plus que la volonté, plus que l'élan vital, l'Imagination est la force même de la production psychique. Psychiquement, nous sommes créés par notre rêverie. Créés et limités par notre rêverie, car c'est la rêverie qui dessine les derniers confins de notre esprit. L'imagination travaille à son sommet, comme une flamme, et c'est dans la région de la métaphore de métaphore…qu'on doit chercher le secret des énergies mutantes " [166] "La fonction première de l'imagination est de faire des formes animales. (…) On découvrirait une véritable ligne de force de l'imagination. Cette ligne de force partirait d'un pôle vraiment vital, profondément inscrit dans la matière animée, - elle traverserait un monde de formes vivantes réalisées dans des bestiaires bien définis, - puis une zone de formes essayées comme rêves expérimentaux, suivant la formule donnée par Tristan Tsara, - elle aboutirait enfin à la conscience plus ou moins claire d'une liberté presque anarchique de spiritualisation. (…) Aussitôt libérées, les valeurs lucides vont activer l'imagination et la faire passer de l'imitation à la création… L'imagination est alors une adéquation à un avenir… n'est pas objet de vision. Elle est objet de prévision. (…) La métamorphose devient ainsi la fonction spécifique de l'imagination. L'imagination ne comprend une forme que si elle la transforme, que si elle en dynamise le devenir, que si elle la saisit comme une coupe dans le flux de la causalité formelle exactement comme un physicien ne comprend un phénomène que s'il le saisit comme une coupe dans le flux de la causalité efficiente. (…) Remplacer la philosophie de l'action, qui est trop souvent une philosophie de l'agitation, par une philosophie du repos, puis par une philosophie de la conscience du repos, de la conscience de la solitude, de la conscience de la force en réserve, telles sont les tâches préliminaires pour une pédagogie de l'imagination. Il faut ensuite partir de ce repos de l'imagination pour retrouver des motifs de pensée sûrement désanimalisée, libre de tout entraînement, retranchée de l'hypnotisme des images, nettement détachée des catégories de l'entendement qui sont des concrétions de prudence spirituelle, «des états fossiles du refoulement intellectuel.» On aura ainsi rendu l'imagination à sa fonction d'essai, de risque, d'imprudence, de création." [167] "Les forces imaginantes de notre esprit se développent sur deux axes très différents. Les unes trouvent leur essor devant la nouveauté ; elles s'amusent du pittoresque, de la variété, de l'événement inattendu. L'imagination qu'elles animent a toujours un printemps à décrire. Dans la nature, loin de nous, déjà vivantes, elles produisent des fleurs. Les autres forces imaginantes creusent le fond de l'être, à la fois, le primitif et l'éternel. Elles dominent la saison et l'histoire. Dans la nature, en nous et hors de nous, elles produisent des germes ; des germes où la forme est enfoncée dans une substance, où la forme est interne. En s'exprimant tout de suite philosophiquement, on pourrait distinguer deux imaginations : une imagination qui donne vie à la cause formelle et une imagination qui donne vie à la cause matérielle ou, plus brièvement, l'imagination formelle et l'imagination matérielle. (…) Nous croyons possible de fixer, dans le règne de l'imagination, une loi des quatre éléments qui classe les diverses imaginations matérielles suivant qu'elles s'attachent au feu, à l'air, à l'eau ou à la terre. (…) L'imagination n'est pas, comme le suggère l'étymologie, la faculté de former des images de la réalité ; elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité. Elle est une faculté de surhumanité. (…) Bien des psychologies de l'imagination sont, par l'attention unilatérale qu'elles apportent au problème de la forme, condamnées à n'être que des psychologies du concept ou du schéma. Elles ne sont guère que des psychologies du concept imagé. (…) L'imagination matérielle, l'imagination des quatre éléments, même si elle favorise un élément, aime à jouer avec les images de leurs combinaisons. Elle veut que son élément favori imprègne tout, elle veut qu'il soit la substance de tout un monde. Mais, malgré cette unité fondamentale, l'imagination matérielle veut garder la variété de l'univers. La notion de combinaison sert à cette fin. L'imagination formelle a besoin de l'idée de composition. L'imagination matérielle a besoin de l'idée de combinaison. (…) Ces rêves mous, si l'on pouvait les étudier systématiquement, conduiraient à la connaissance d'une imagination mésomorphe, c'est-à-dire d'une imagination intermédiaire entre l'imagination formelle et l'imagination matérielle. (…) En méditant cette action du pur et de l'impur, on saisira une transformation de l'imagination matérielle en imagination dynamique. L'eau pure et l'eau impure ne sont plus seulement pensées comme des substances, elles sont pensées comme des forces. (…) Quand on s'est ainsi soumis entièrement à l'imagination matérielle, la matière rêvée dans sa puissance élémentaire s'exaltera jusqu'à devenir un esprit, une volonté. (…) L'imagination reproductrice masque et entrave l'imagination créatrice. Finalement, le véritable domaine pour étudier l'imagination, ce n'est pas la peinture, c'est l'œuvre littéraire, c'est le mot, c'est la phrase. Alors combien la forme est peu de choses ! Comme la matière commande ! Quel grand maître que le ruisseau !"[168] "Les recherches sur l'imagination sont troublées par la fausse lumière de l'étymologie. On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S'il n'y a pas imagination, il n'y a pas d'action imaginante. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d'une perception, mémoire familière, habitude des couleurs et des formes. Le vocable fondamental qui correspond à l'imagination, ce n'est pas image, c'est imaginaire. Grâce à l'imaginaire, l'imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l'expérience même de l'ouverture, l'expérience de la nouveauté. Plus que toute autre puissance, elle spécifie le psychisme humain." [169] "C'est uno actu, c'est dans l'acte même vécu dans son unité qu'une imagination dynamique doit pouvoir vivre le double destin humain de la profondeur et de la hauteur, la dialectique du somptueux et de la splendeur. (…) L'imagination dynamique unit les pôles. Elle nous fait comprendre qu'en nous quelque chose s'élève quand quelque action s'approfondit – et qu'inversement quelque chose s'approfondit quand quelque chose s'élève. Nous sommes le trait d'union de la nature et des dieux, ou, pour être plus fidèles à l'imagination pure, nous sommes le plus fort des traits d'union de la terre et de l'air : nous sommes deux matières en un seul acte. Une telle expression, qui nous paraît résumer l'expérience onirique novalisienne, n'est compréhensible que si l'on donne la suprématie à l'imagination sur toute autre fonction spirituelle. Alors on s'établit dans une philosophie de l'imagination pour laquelle l'imagination est l'être même, l'être producteur de ses images et de ses pensées. L'imagination dynamique prend alors le pas sur l'imagination matérielle. Le mouvement imaginé en se ralentissant crée l'être terrestre, le mouvement imaginé en s'accélérant crée l'être aérien. Mais comme un être essentiellement dynamique doit rester dans l'immanence de son mouvement, il ne peut pas connaître de mouvement qui s'arrête totalement ni qui s'accélère au-delà de toute limite : la terre et l'air sont pour l'être dynamisé indissolublement liés."[170] "Tout ce qu'on dit dans les manuels sur l'imagination reproductrice doit être mis au compte de la perception et de la mémoire. (…) Cette nouveauté est évidemment le signe de la puissance créatrice de l'imagination… La littérature doit surprendre. Certes, les images littéraires peuvent exploiter des images fondamentales – et notre travail général consiste à classer ces images fondamentales – mais chacune des images qui viennent sous la plume d'un écrivain doit avoir sa différentielle de nouveauté. Une image littéraire dit ce qui ne sera jamais imaginé deux fois." [171] "Combien on activerait l'imagination si l'on cherchait systématiquement les objets qui se contredisent." [172] "Fidèles à nos habitudes de philosophie des sciences, nous avions essayé de considérer les images en dehors de toute tentative d'interprétation personnelle. Peu à peu, cette méthode, qui a pour elle la prudence scientifique, m'a paru insuffisante pour fonder une métaphysique de l'imagination. (…) Nous proposons, au contraire, de considérer l'imagination comme une puissance majeure de la nature humaine… L'imagination, dans ses vives actions, nous détache à la fois du passé et de la réalité. Elle ouvre sur l'avenir. À la fonction du réel, instruite par le passé, telle qu'elle est dégagée par la psychologie classique, il faut joindre une fonction de l'irréel tout aussi positive..." [173]
Inconnu : "Il semble que l'inconnu du phénomène s'oppose activement, positivement, à son objectivation. À l'inconnu ne correspond pas l'ignorance, mais bien l'erreur, et l'erreur sous la forme la plus lourde des tares subjectives."[174]
Inconscient : "L'inconscient est le facteur de dialectiques massives, si fréquentes dans les discussions de mauvaise foi, si différentes des dialectiques logiques et claires, appuyées sur une alternative explicite. D'un détail irrégulier, l'inconscient prend prétexte pour faire une généralité adverse : une physique de l'inconscient est toujours une physique de l'exception." [175]
Indéterminisme : "Certes indéterminable n'est point synonyme d'indéterminé. Mais quand un esprit scientifique a fait la preuve qu'un phénomène est indéterminable, il se fait un devoir de méthode de le tenir pour indéterminé. Il apprend l'indéterminisme sur l'indéterminable. (…) La physique indéterministe de Heisenbeg absorbe bien plutôt la physique déterministe en fixant avec précision les conditions et les limites dans lesquelles on peut tenir un phénomène pour pratiquement déterminé."[176]
Individu : "On s'exprimerait peut-être assez bien en disant qu'un individu pris dans la somme de ses qualités et de son devenir correspond à une harmonie de rythmes temporels. (…) L'individu, à quelque niveau qu'on le saisisse, dans la matière, dans la vie ou dans la pensée, est une somme assez variable d'habitudes non recensées. Comme toutes les habitudes qui caractérisent l'être, si elles étaient connues, ne profitent pas simultanément de tous les instants qui pourraient les actualiser, l'unité d'un être paraît toujours touchée de contingence. Au fond, l'individu n'est déjà qu'une somme d'accidents : mais, de plus, cette somme est elle-même accidentelle. Du même coup, l'identité de l'être n'est jamais pleinement réalisée, elle souffre du fait que la richesse des habitudes n'a pas été régie avec assez d'attention. L'identité globale est faite alors de redites plus ou moins exactes, de reflets plus ou moins détaillés. Sans doute l'individu s'efforce de copier aujourd'hui sur hier ; cette copie est d'ailleurs aidée par la dynamique des rythmes, mais ces rythmes ne sont pas tous au même point de leur évolution et c'est ainsi que la plus solide des permanences spirituelles, d'identité voulue, affirmée dans un caractère, se dégrade en ressemblance. La vie porte alors notre image de miroirs en miroirs ; nous sommes ainsi des reflets de reflets et notre courage est fait du souvenir de notre décision. Mais si fermes que nous soyons, nous ne nous conservons jamais tout entiers parce que nous n'avons jamais été conscients de tout notre être."[177] "L'individu n'est pas la somme de ses impressions générales, il est la somme de ses impressions singulières." [178]
Infini : "Je ne vis pas dans l'infini, parce que dans l'infini on n'est pas chez soi." [179]
Influence : "Plus on est loin des faits, plus facilement on évoque les « influences »." [180]
Instant : "Mais une solitude d'un ordre plus sentimental confirme le tragique isolement de l'instant : par une sorte de violence créatrice, le temps limité à l'instant nous isole non seulement des autres mais de nous-mêmes, puisqu'il rompt avec notre passé le plus cher." (…) Dès lors, pour M. Bergson, qu'est-ce que l'instant ? Ce n'est plus qu'une coupure artificielle qui aide la pensée schématique du géomètre. L'intelligence, dans son inaptitude à suivre le vital, immobilise le temps dans un présent toujours factice. Ce présent, c'est un pur néant qui n'arrive même pas à séparer réellement le passé et l'avenir. (…) Mais voici maintenant ce qui mérite d'être remarqué : l'instant, bien précisé, reste, dans la doctrine d'Einstein, un absolu. Pour lui donner cette valeur d'absolu, il suffit de considérer l'instant dans son état synthétique, comme un point de l'espace-temps. Autrement dit, il faut prendre l'être comme une synthèse appuyée à la fois sur l'espace et le temps. Il est au point de concours du lieu et du présent : hic et nunc ; non pas ici et demain, non pas là-bas et aujourd'hui. (…) On se rend compte que le présent ne passe pas, car on ne quitte un instant que pour en retrouver un autre ; la conscience est conscience de l'instant et la conscience de l'instant est conscience : deux formules si voisines qu'elles nous placent dans la plus proche des réciproques et affirment une assimilation de la conscience pure et de la réalité temporelle. (…) Un rythme qui continue inchangé est un présent qui a une durée ; ce présent qui dure est fait de multiples instants qui, à un point de vue particulier, sont assurés d'une parfaite monotonie. (…) Les instants sont distincts parce qu'ils sont féconds. Et ils ne sont pas féconds par la vertu des souvenirs qu'ils peuvent actualiser, mais bien par le fait que s'y ajoute une nouveauté temporelle convenablement adaptée au rythme d'un progrès. (…) Comme réalité, il n'y en a qu'une : l'instant. Durée, habitude et progrès ne sont que des groupements d'instants, ce sont les plus simples des phénomènes du temps."[181]
Instrument : "L'instrument de physique est une théorie réalisée, concrétisée, d'essence rationnelle." [182]
Intelligence : "Mais l'intelligence aussi doit avoir un mordant. Elle attaque un problème. Si elle sait le résoudre, elle en confie le résultat à la mémoire, à l'organisé, mais en tant qu'elle organise vraiment, elle agresse, elle transforme. Une intelligence vive est servie par un regard vif et par des paroles vives. Tôt ou tard, elle doit blesser. L'intelligence est toujours un facteur de surprise, de stratagème. Elle est une force hypocrite. Quand elle attaque résolument, c'est après mille feintes. L'intelligence est une griffe qui brise en éraflant." [183]
Intention : "Les exemples des phénoménologistes ne mettent pas assez en évidence les degrés de tension de l'intentionnalité ; ils restent trop «formels», trop intellectuels… Il faut à la fois une intention formelle, une intention dynamique et une intention matérielle pour comprendre l'objet dans sa force, dans sa résistance, dans sa matière, c'est-à-dire totalement. Le monde est aussi bien le miroir de notre ère que la réaction de nos forces. Si le monde est ma volonté, il est aussi mon adversaire. Plus grande est la volonté, plus grand est l'adversaire. Pour bien comprendre la philosophie de Schopenhauer, il faut garder à la volonté humaine son caractère initial. Dans la bataille de l'homme et du monde, ce n'est pas le monde qui commence…" [184]
Intériorisation : "Le mythe de l'intérieur est un des processus fondamentaux de la pensée inconsciente les plus difficiles à exorciser. À notre avis, l'intériorisation est du règne des songes. On la retrouve particulièrement agissante dans les contes fabuleux. Alors l'esprit prend les plus grandes libertés avec la géométrie. Le grand entre dans le petit."[185]
Intuition "Avant l'intuition, il y a l'étonnement."[186] "L'enfant qui joue avec la petite maison de carton verni l'habite aussi avec les joies solides du propriétaire. Conteurs, enfants, alchimistes vont au centre des choses ; ils prennent possession des choses ; ils croient aux lumières de l'intuition qui nous installe au cœur du réel…" [187] "On corrigera en particulier la tendance au repos intellectuel que donne la pratique de l'intuition ; on développera l'habitude de la pensée discursive. (…) L'intuition ne doit jamais être une donnée. Elle doit toujours être une illustration." [188] "Une intuition féconde doit faire d'abord la preuve de son unité." [189] "Une intuition ne se prouve pas, elle s'expérimente. Et elle s'expérimente en multipliant ou même en modifiant les conditions de son usage." [190] "Les intuitions premières sont toujours des intuitions à rectifier (…) L'intuition critiquée se révèle illusion (…) L'intuition première, dans l'ordre des sciences physiques, n'est qu'une première illusion." [191] "On montrerait facilement que l'intuition commune est caractérisée par un déficit d'imagination, par un abus de principes unifiants, par un repos dans une molle application du principe de raison suffisante." [192] "Toutes les notions de base peuvent en quelque manière être dédoublées ; elles peuvent être bordées par des notions complémentaires. Désormais toute intuition procédera d'un choix ; il y aura donc une sorte d'ambiguïté essentielle à la base de la description scientifique et le caractère immédiat de l'évidence cartésienne sera troublé." [193] "Nous voyons les rapports de l'intuition et de l'intelligence sous un jour plus complexe qu'une simple opposition. Nous les voyons sans cesse intervenir en coopération. Il y a des intuitions à la base de nos concepts : ces intuitions sont troubles – à tort on les croit naturelles et riches. Il y a des intuitions dans la mise en rapport de nos concepts : ces intuitions, essentiellement secondes, sont plus claires – à tort on les croit factices et pauvres (…) Comme le dit justement M. Bergson, une intuition philosophique demande une contemplation longuement poursuivie. Cette contemplation difficile, qui doit être apprise et qui pourrait sans doute être enseignée, n'est pas loin d'être une méthode discursive d'intuition." [194]
Langage : "Pour expliquer l'injuste confiance que nous avons dans l'absolu de la localisation, il suffit d'ailleurs de se rappeler que cette localisation est à la base du langage et que toute syntaxe est d'essence topologique."[195] "Korsybski voudrait réagir contre l'ontologie du langage ; il voudrait substituer au mot conçu comme un être, le mot conçu comme une fonction, comme une fonction toujours susceptible de variations (…) L'esprit préscientifique ne pouvait pas penser les concepts élémentaires formellement, puisque jamais ils ne les dégageaient totalement de leur contenu. Il ne voyait pas que les essences doivent être définies à partir des ex-stances, comme groupements de conditions logiques." [196] "On devra toujours se méfier d'un concept qu'on n'a pas encore pu dialectiser. Ce qui empêche sa dialectisation c'est une surcharge de son contenu. Cette surcharge empêche le concept d'être délicatement sensible à toutes les variations des conditions où il prend ses justes fonctions. À ce concept, on donne sûrement trop de sens puisque jamais on ne le pense formellement. Mais si on lui donne trop de sens, il est à craindre que deux esprits différents ne lui donnent pas le même sens. D'où les troubles sémantiques profonds qui empêchent la compréhension réciproque des hommes de notre temps. Nous souffrons d'une incapacité de mobiliser notre pensée. Pour que nous ayons quelque garantie d'être du même avis, sur une idée particulière, il faut, pour le moins, que nous n'ayons pas été du même avis. Deux hommes, s'ils veulent s'entendre vraiment, ont dû d'abord se contredire. La vérité est fille de la discussion, non pas fille de la sympathie." [197] "En thèse générale, nous pensons que tout ce qui est spécifiquement humain dans l'homme est logos. Nous n'arrivons pas à méditer dans une région qui serait avant le langage… Ainsi l'image poétique, événement du logos, nous est personnellement novatrice." [198]
Liberté : "Tout au contraire, une pensée réfléchie est, par définition, une pensée à deux temps, une pensée qui, dans un deuxième temps, contrôle une pensée adventice (…) Le dualisme du secret et du manifeste – c'est un dualisme essentiel – est donc un fait particulièrement net dans le domaine de la pensée réfléchie. Il peut même servir de signe pour une pensée bien assumée, sinon bien faite. C'est seulement quand ce dualisme est institué en pleine maîtrise que l'esprit possède la liberté de penser. On ne peut penser librement que si l'on a la faculté de cacher absolument sa pensée." [199] "Dès qu'on le libère (l'esprit), et dans la proportion où on le libère, on s'aperçoit qu'il reçoit mille incidents, que la ligne de son rêve se brise en mille segments suspendus à mille sommets. L'esprit, dans son œuvre de connaissance, se présente comme une file d'instants nettement séparés."[200] "La dialectique hégélienne nous place, en effet, devant une dialectique a priori, devant une dialectique où la liberté d'esprit est trop inconditionnée, trop désertique. Elle peut conduire peut-être à une morale et à une politique générales. Elle ne peut conduire à un exercice quotidien des libertés d'esprit, détaillées et renaissantes. Elle correspond à ces sociétés sans vie où l'on est libre de tout faire, mais où l'on n'a rien à faire. Alors, on est libre de penser, mais on n'a rien à penser."[201]
Libido : "C'est donc avec raison que la Psychanalyse classique a marqué la suprématie de la libido sur l'appétit. L'appétit est plus brutal, mais la libido plus puissante. L'appétit est immédiat ; à la libido, au contraire, les longues pensées, les projets à longue échéance, la patience. Un amant peut être patient comme un savant. L'appétit s'éteint dans un estomac repu. La libido, à peine est-elle apaisée, qu'elle renaît. Elle veut la durée. Elle est la durée. À tout ce qui dure en nous, directement ou indirectement, s'attache la libido. Elle est le principe même de la valorisation du temps. Le temps gratuit, le temps vidé, le temps d'une philosophie du repos est un temps psychanalysé. (…) Puisque la libido est mystérieuse, tout ce qui est mystérieux éveille la libido. Aussitôt on aime le mystère, on a besoin du mystère. Bien des cultures s'en trouvent puérilisées ; elles perdent le besoin de comprendre…" [202]
Limite : "La science seule est habilitée à tracer ses propres frontières. Or pour l'esprit scientifique, tracer nettement une frontière, c'est déjà la dépasser. La frontière scientifique n'est pas tant une limite qu'une zone de pensées particulièrement actives, un domaine d'assimilation. Au contraire, la frontière imposée par le métaphysicien apparaît au savant comme une sorte de frontière neutre, abandonnée, indifférente. (…) Par certains côtés, il ne nous semble pas plus utile de parler des frontières de la Chimie que des frontières de la Poésie. (…) Scientifiquement, la frontière de la connaissance ne paraît marquer qu'un arrêt momentané de la pensée. (…) Philosophiquement, toute frontière absolue proposée à la science est la marque d'un problème mal posé. Il est impossible de penser richement une impossibilité. Dès qu'une frontière épistémologique paraît nette, c'est qu'elle s'arroge le droit de trancher à propos des intuitions premières. Or les intuitions premières sont toujours des intuitions à rectifier. (…) La hiérarchie des pensées est alors visible dans une anarchie progressive ; les dernières attaches désignent les liens essentiels. L'esprit se voit ainsi le mieux à la limite de soi-même."[203] "Ce n'est pas du côté de la simplicité qu'il faut passer à la limite, c'est du côté de la richesse."[204] "C'est la rêverie qui dessine les derniers confins de notre esprit. L'imagination travaille à son sommet, comme une flamme, et c'est dans la région de la métaphore de métaphore…qu'on doit chercher le secret des énergies mutantes " [205]
Matérialisme : "Ce serait une grave erreur philosophique de croire au caractère vraiment concret du matérialisme, surtout quand il se présente comme une doctrine de la prise immédiate du réel par une pensée scientifique mal élaborée, comme ce fut le cas au XVII° et au XVIII° siècle. Le matérialisme, en effet, procède d'une abstraction initiale qui paraît devoir mutiler à jamais la notion de matière. Cette abstraction, qu'on ne discute pas davantage dans l'empirisme baconien que dans le dualisme cartésien, c'est la localisation de la matière dans un espace précis. En un autre sens, le matérialisme tend encore à limiter la matière : c'est en lui refusant des qualités à distance par l'interdiction d'agir où elle n'est pas. Par une pente insensible, le matérialisme va à l'atomisme réaliste. Descartes a beau s'en défendre, si la matière est uniquement étendue, elle est faite de solides, elle a des propriétés strictement locales, définies par une forme, solidaires d'une forme. Pour corriger cette localisation tout abstraite, toute géométrique, le matérialisme se complète d'une physique des fluides, d'exhalaisons, d'esprits, mais sans jamais revenir à l'analyse de l'intuition première. Le mouvement est trop facilement ajouté à ces fluides imprécis qui sont chargés uniquement de porter ailleurs les propriétés de la matière. (…) C'est à refaire une synthèse vraiment phénoméniste de la matière et de ses actions qu'est occupée la physique contemporaine. En essayant de relier la matière et le rayonnement, elle donne au métaphysicien une leçon de construction. On va voir d'ailleurs avec quelle disponibilité d'esprit le physicien contemporain étudie le rayonnement, sans accepter précisément le matérialisme honteux qu'est toute doctrine du fluide, de l'émanation, des exhalaisons, des esprits volatils. (…) Le photon est de toute évidence un type de chose-mouvement. D'une manière générale, il semble que plus l'objet soit petit, mieux il réalise le complexe d'espace-temps qui est l'essence même du phénomène. Le matérialisme élargi, dégagé de son abstraction géométrique primitive, conduit ainsi naturellement à associer la matière et le rayonnement." [206]
Mathématique : "Mais si on ne fait pas indûment abstraction de la psychologie du mathématicien, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'il y a dans l'activité mathématique plus qu'une organisation formelle de schèmes et que toute idée pure est doublée d'une application psychologique, d'un exemple qui fait office de réalité. Et l'on s'aperçoit, à méditer le travail mathématicien, qu'il provient toujours d'une extension d'une connaissance prise sur le réel et que, dans les mathématiques mêmes, la réalité se manifeste en sa fonction essentielle : faire penser. Sous une forme plus ou moins nette, dans des fonctions plus ou moins mêlées, un réalisme mathématique vient tôt ou tard corser la pensée, lui donner la permanence psychologique, dédoubler enfin l'activité spirituelle en faisant apparaître, là comme partout, le dualisme du subjectif et de l'objectif. (…) La géométrie non-euclidienne n'est pas faite pour contredire la géométrie euclidienne. Elle est plutôt une sorte de facteur adjoint qui permet la totalisation, l'achèvement de la pensée géométrique, l'absorption dans une pangéométrie. Constituée en bordure de la géométrie euclidienne, la géométrie non-euclidienne dessine du dehors, avec une lumineuse précision, les limites de l'ancienne pensée. Il en sera de même pour toutes les formes nouvelles de la pensée scientifique qui viennent après coup projeter une lumière récurrente sur les obscurités des connaissances incomplètes. (…) La mesure du réalisme mathématique se prend sur l'extension des notions plutôt que sur leur compréhension : la ligne géodésique a plus de réalité que la ligne droite. La pensée mathématique prend son essor avec l'apparition des idées de transformation, de correspondance, d'application variée." [207] "Il ne s'agit plus, comme on le répétait sans cesse au XIXe siècle, de traduire dans le langage mathématique les faits livrés par l'expérience. Il s'agit plutôt, tout à l'inverse, d'exprimer dans le langage de l'expérience commune une réalité profonde qui a un sens mathématique avant d'avoir une signification phénoménale. (…) Au commencement est la Relation, c'est pourquoi les mathématiques règnent sur le réel."[208] "On ne fait pas de mathématiques sans cette surveillance, sans cette constante psychanalyse de la connaissance objective qui libère une âme non seulement de ses rêves, mais de ses pensées communes, de ses expériences contingentes, qui réduit ses idées claires, qui cherche dans l'axiome une règle automatiquement inviolable." [209]
Mathématiciens : "Ces prophètes de l'abstrait." [210]
Matière : "L'objet élémentaire de la microphysique n'est pas un solide. En effet, il n'est plus possible de considérer les particules électriques dont toute matière est formée comme de véritables solides. Et ce n'est pas là une simple affirmation réalistique qui n'aurait pas plus de valeur que les affirmations chosistes de l'atomisme réaliste. De sa thèse, le physicien moderne apporte une preuve profonde, très caractéristique de la nouvelle pensée, la particule électrique n'a pas la forme essentielle du solide parce qu'elle se déforme dans le mouvement." [211] "Avant tout, il faut considérer la matière comme un transformateur d'énergie, comme une source d'énergie ; puis parfaire l'équivalence des notions et se demander comment l'énergie peut recevoir les différents caractères de la matière. Autrement dit, c'est la notion d'énergie qui forme le trait d'union le plus fructueux entre la chose et le mouvement ; c'est par l'intermédiaire de l'énergie qu'on mesure l'efficacité d'une chose en mouvement, c'est par cet intermédiaire qu'on peut voir comment un mouvement devient une chose." [212] "Dès lors, il ne suffit plus de dire que la matière nous est connue par l'énergie comme la substance par son phénomène, pas davantage il ne faut dire que la matière a de l'énergie, mais bien, sur le plan de l'être, que la matière est de l'énergie et que réciproquement l'énergie est de la matière. Cette substitution du verbe être au verbe avoir, nous la rencontrerons en bien des points de la science nouvelle. Elle nous paraît d'une portée métaphysique incalculable." [213] "Le fait même que l'énergie modifie la matière nous conduira à une étrange traduction du figuré dans l'abstrait : c'est parce qu'un atome reçoit ou abandonne de l'énergie qu'il change de forme. Ce n'est pas parce qu'il change de forme qu'il perd ou gagne de l'énergie." [214] "La destruction atomique dans les étoiles donne une énergie de rayonnement qui se convertit en matière, en électrons, dans les conditions de densité et de température nulles qui règnent dans le vide interstellaire. Les corpuscules positifs et négatifs ainsi créés aux dépens de l'énergie rayonnée par les étoiles servent à édifier différents atomes dont l'hélium, l'oxygène et le silicium sont pris comme types généraux par Millikan. (…) Mais si prodigue que soit la matière dans cette émission énergétique, l'intuition d'Einstein ne nous permettait guère de concevoir que la matière pût s'effacer complètement. De même, si apte que soit le rayonnement à se matérialiser, on pensait qu'il lui fallait au moins un germe de matière pour évoluer. Un matérialisme restait donc à la base du réalisme einsteinien. Avec l'intuition de Millikan, la transformation du réel est plus complète. C'est le mouvement sans support qui non seulement s'appuie sur un support matériel rencontré par hasard, mais qui crée soudain son support. Et il le crée dans de telles conditions de solitude, d'inanité, d'absence de toutes choses, qu'on peut bien dire qu'on assiste à la création de la matière à partir du rayonnement, de la chose à partir du mouvement." [215] "Plus le grain de matière est petit, plus il a de réalité substantielle ; en diminuant de volume, la matière s'approfondit."[216] "Méditée dans sa perspective de profondeur, une matière est précisément le principe qui peut se désintéresser des formes. Elle n'est pas le simple déficit d'une activité formelle. Elle reste elle-même en dépit de toute déformation, de tout morcellement. La matière se laisse d'ailleurs valoriser en deux sens : dans le sens de l'approfondissement et dans le sens de l'essor. Dans le sens de l'approfondissement, elle apparaît comme insondable, comme un mystère. Dans le sens de l'essor, elle apparaît comme une force inépuisable, comme un miracle. Dans les deux cas, la méditation d'une matière éduque une imagination ouverte."[217] "La première instance spécifique de la notion de matière est la résistance. Or, précisément, c'est là une instance qui est proprement étrangère à la contemplation philosophique… Si l'on commence ainsi la philosophie avec une notion d'objet prise sans la considération de la matière, si l'on rompt, au départ, l'essentielle solidarité : objet-matière, on se condamne à rester sur l'axe d'une philosophie de la contemplation, on restera le premier sujet qu'on a accepté d'être, le sujet contemplant. On ne pourra plus jamais débarrasser la philosophie du privilège des déterminations visuelles. La phénoménologie classique s'exprime avec complaisance en termes de visées. La conscience est alors associée à une intentionnalité toute directionnelle. De ce fait, il lui est attribué une centralité excessive. Elle est vouée à toutes les affirmations immédiates de l'idéalisme."[218] "Jamais la forme ne peut être plus proche de la matière que dans la beauté minérale. (…) Le monde minéral fait directement son travail, sa rose des sables, ses sombres basaltes."[219]
Méditer : "C'est encore en méditant l'objet que le sujet a le plus de chance de s'approfondir."[220] "Il faut donc méditer sur un rythme oscillatoire d'objectivation et de subjectivation. Il faut penser et se voir penser. (…) On ne doit donc pas hésiter à inscrire à l'actif du sujet son expérience essentiellement malheureuse. La première et la plus essentielle fonction de l'activité du sujet est de se tromper. Plus complexe sera son erreur, plus riche sera son expérience. L'expérience est très précisément le souvenir des erreurs rectifiées. L'être pur est l'être détrompé." [221] "On y dirait tout simplement la joie de méditer, pour bien prendre conscience que la méditation est un acte, l'acte philosophique. On y ferait de la méditation pure. On en ferait le comportement du sujet philosophant. On jouerait avec les beaux mots abstraits. On y croirait. Et puis, on n'y croirait plus, heureux de vivre d'autres abstractions."[222] "Ah ! si le philosophe avait le droit de méditer de tout son être, avec ses muscles et son désir ; comme il se débarrasserait de ces méditations feintes où la logique stérilise la méditation ! Ou plutôt, comme il mettrait à leur juste place les méditations feintes, méditations de l'esprit de finesse, de l'esprit taquin, malicieux, qui s'acharne dans une volonté de différencier, et qui a du moins la belle fonction de détendre la raideur des convictions bloquées ! L'univers se révèle perméable à tous les types de méditations, prêt à adopter la plus solitaire pensée. Il suffit de méditer assez longtemps une idée fantasque pour voir l'univers la réaliser." [223]
Mémoire : "La mémoire, gardienne du temps, ne garde que l'instant ; elle ne conserve rien, absolument rien, de notre sensation compliquée et factice qu'est la durée." [224] "Avant de s'occuper de la conservation des souvenirs, il faut étudier leur fixation car ils se conservent dans le cadre même où ils se fixent, comme des totalités plus ou moins rationnelles. (…) On saisirait alors le rôle de la pensée dramatique dans la fixation de nos souvenirs. On ne retient que ce qui a été dramatisé par le langage ; tout autre jugement est fugace. Sans fixation parlée, exprimée, dramatisée, le souvenir ne peut être rapporté à ses cadres." [225] "C'est un engrenage qui attend son déclic d'une coïncidence future. La mémoire ne se réalise donc pas d'elle-même, par une poussée intime. Il faut la distinguer de la rêverie précisément parce que la mémoire véritable possède une substructure temporelle qui manque à la rêverie. L'image de la rêverie est gratuite. Elle n'est pas un souvenir pur parce qu'elle est un souvenir incomplet, non daté. Il n'y a pas de date et de durée où il n'y a pas de construction ; il n'y a pas de date sans dialectique, sans différences. La durée, c'est le complexe des ordinations multiples qui s'assurent l'une sur l'autre. Si l'on prétend vivre dans un domaine unique et homogène, on s'apercevra que le temps ne peut plus marcher. Tout au plus, il sautille. En fait, la durée a toujours besoin d'une altérité pour paraître continue. Ainsi, elle paraît continue par son hétérogénéité, dans un domaine toujours autre que celui où l'on prétend l'observer." [226] "Dans leur primitivité psychique, Imagination et Mémoire apparaissent en un complexe indissoluble. On les analyse mal en les rattachant à la perception. Le passé remémoré n'est pas simplement un passé de la perception. Déjà, puisqu'on se souvient, dans une rêverie le passé se désigne comme valeur d'image. L'imagination colore dès l'origine les tableaux qu'elle aimera à revoir. Pour aller jusqu'aux archives de la mémoire, il faut au-delà des faits retrouver des valeurs. On n'analyse pas la familiarité en comptant des répétitions. Les techniques de la psychologie expérimentale ne peuvent guère envisager une étude de l'imagination considérée en ses valeurs créatrices. Pour revivre les valeurs du passé, il faut rêver, il faut accepter cette grande dilatation psychique qu'est la rêverie, dans la paix d'un grand repos. Alors la Mémoire et l'Imagination rivalisent pour nous rendre les images qui tiennent à notre vie.(…) Plus on va vers le passé, plus apparaît comme indissoluble le mixte psychologique mémoire-imagination. Si l'on veut participer à l'existentialisme du poétique, il faut renforcer l'union de l'imagination et de la mémoire. Pour cela, il faut se débarrasser de la mémoire historienne qui impose ses privilèges idéatifs. Ce n'est pas une mémoire vivante que celle qui court sur l'échelle des dates sans séjourner assez dans les sites du souvenir. La mémoire-imagination nous fait vivre des situations non événementielles, en un existentialisme du poétique qui se débarrasse des accidents. Disons mieux, nous vivons un essentialisme poétique. Dans notre rêverie qui imagine en se souvenant, notre passé retrouve de la substance. Par delà le pittoresque, les liens de l'âme humaine et du monde sont forts. Vit alors en nous non pas une mémoire d'histoire mais une mémoire de cosmos. Les heures où il ne se passait rien reviennent. Grandes et belles heures de la vie d'autrefois où l'être rêveur dominait tout ennui." [227]
Mesure : "Mesurer exactement un objet fuyant ou indéterminé, mesurer exactement un objet fixe et bien déterminé avec un instrument grossier, voilà deux types d'occupations vaines que rejette de prime abord la discipline scientifique. (…) Finalement, c'est sa méthode de mesure plutôt que l'objet de sa mesure que le savant décrit. L'objet mesuré n'est guère plus qu'un degré particulier de l'approximation de la méthode de mesure. Le savant croit au réalisme de la mesure plus qu'à la réalité de l'objet. (…) L'objectivité est alors affirmée en deçà de la mesure, en tant que méthode discursive, et non au-delà de la mesure, en tant qu'intuition directe d'un objet. Il faut réfléchir pour mesurer et non pas mesurer pour réfléchir. Si l'on voulait faire une métaphysique des méthodes de mesure, c'est au criticisme, et non pas au réalisme, qu'il faudrait s'adresser. (…) Toute mesure précise est une mesure préparée. L'ordre de précision croissante est un ordre d'instrumentalisation croissante, donc de socialisation croissante. (…) L'instrument de mesure finit toujours par être une théorie et il faut comprendre que le microscope est un prolongement de l'esprit plutôt que de l'œil. Ainsi la précision discursive et sociale fait éclater les insuffisances intuitives et personnelles. Plus une mesure est fine, plus elle est indirecte. La science du solitaire est qualitative. La science socialisée est quantitative." [228]
Métaphore : "On ne peut confiner aussi facilement qu'on le prétend les métaphores dans le seul règne de l'expression. Qu'on le veuille ou non, les métaphores séduisent la raison. Ce sont des images particulières et lointaines qui deviennent insensiblement des schémas généraux. Une psychanalyse de la connaissance objective doit donc s'appliquer à décolorer, sinon à effacer, ces images naïves. Quand l'abstraction aura passé par là, il sera temps d'illustrer les schémas rationnels. En résumé, l'intuition première est un obstacle à la pensée scientifique ; seule une illustration travaillant au-delà du concept, en rapportant un peu de couleur sur les traits essentiels, peut aider la pensée scientifique."[229] "Le danger des métaphores immédiates pour la formation de l'esprit scientifique, c'est qu'elles ne sont pas toujours des images qui passent ; elles poussent à une pensée autonome ; elles tendent à se compléter, à s'achever dans le règne de l'image."[230] "Les métaphores portent toujours le signe de l'inconscient ; elles sont des rêves dont la cause occasionnelle est un objet. Aussi, quand le signe métaphorique est le signe même des désirs sexuels, nous croyons qu'il faut interpréter les mots dans le sens fort, dans le sens plein, comme une décharge de la libido."[231] "Les métaphores ne sont pas de simples idéalisations qui partent, comme des fusées, pour éclater au ciel en étalant leur insignifiance, mais qu'au contraire les métaphores s'appellent et se coordonnent plus que les sensations, au point qu'un esprit poétique est purement et simplement une syntaxe des métaphores. Chaque poète devrait alors donner lieu à un diagramme qui indiquerait le sens et la symétrie de ses coordinations métaphoriques, exactement comme le diagramme d'une fleur fixe le sens et les symétries de son action florale. Il n'y a pas de fleur réelle sans cette convenance géométrique."[232] "Mais un diagramme poétique n'est pas simplement un dessin : il doit trouver le moyen d'intégrer les hésitations, les ambiguïtés qui, seules, peuvent nous libérer du réalisme, nous permettre de rêver. (…) En tout cas, avant toute chose, il faut briser les élans d'une expression réflexe, psychanalyser les images familières pour accéder aux métaphores et surtout aux métaphores de métaphores. (…) Or, si l'image ne devient psychiquement active que par les métaphores qui la décomposent, si elle ne crée du psychisme vraiment nouveau que dans les transformations les plus poussées, dans la région de la métaphore de métaphore, on comprendra l'énorme production poétique des images du feu."[233] "Alors l'esprit est libre pour la métaphore de métaphore. (…) Une doctrine qui résiste aux images premières, aux images déjà faites, aux images déjà enseignées doit résister aux premières métaphores."[234] "L'imagination matérielle est sûre de soi quand elle a reconnu la valeur ontologique d'une métaphore. Au contraire, le phénoménisme, en poésie, est une doctrine sans force."[235] "La métaphore, physiquement inadmissible, psychologiquement insensée, est cependant une vérité poétique. C'est que la métaphore est le phénomène de l'âme poétique. C'est encore un phénomène de la nature, une projection de la nature humaine sur la nature universelle."[236]
Métaphysique : "Il nous paraît plus exact de dire que tout homme, dans son effort de culture scientifique, s'appuie non pas sur une, mais bien sur deux métaphysiques et que ces deux métaphysiques naturelles et convaincantes, implicites et tenaces, sont contradictoires. Pour leur donner rapidement un nom provisoire, désignons ces deux attitudes philosophiques fondamentales, tranquillement associées dans un esprit scientifique moderne, sous les étiquettes classiques de rationalisme et de réalisme. (…) L'énigme métaphysique la plus obscure réside à l'intersection des propriétés spatiales et des propriétés temporelles. (…) L'abîme métaphysique entre l'esprit et le monde extérieur, si infranchissable pour les métaphysiques intuitives immédiates, apparaît moins large pour une métaphysique discursive qui tente de suivre les progrès scientifiques. On peut même concevoir un véritable déplacement du réel, un épurement du réalisme, une sublimation métaphysique de la matière. La réalité se transforme d'abord en réalisme mathématique, puis le réalisme mathématique vient se dissoudre dans une sorte de réalisme des probabilités quantiques. Le philosophe qui suit la discipline des quanta – la schola quantorum – accepte de penser tout le réel dans son organisation mathématique, mieux encore, il s'habitue à mesurer métaphysiquement le réel par le possible, dans une direction strictement inverse de la pensée réaliste. Exprimons donc cette double suprématie du nombre sur la chose et du probable sur le nombre par une formule polémique : la substance chimique n'est que l'ombre d'un nombre."[237] "L'esprit peut changer de métaphysique ; il ne peut se passer de métaphysique. Nous demanderons donc aux savants : comment pensez-vous, quels sont vos tâtonnements, vos essais, vos erreurs ? Sous quelle impulsion changez-vous d'avis ? Pourquoi restez-vous si succincts quand vous parlez des conditions psychologiques d'une nouvelle recherche ? Donnez-nous surtout vos idées vagues, vos contradictions, vos idées fixes, vos convictions sans preuve. (…) Un philosophe ne peut pas chercher tranquillement la quiétude. Il lui faut des preuves métaphysiques pour qu'il accepte le repos comme un droit de la pensée ; il lui faut des expériences multiples et de longues discussions pour qu'il admette le repos comme un des éléments du devenir." [238] "Dans le rêve abyssal n'y a-t-il pas des nuits où le rêveur se trompe d'abîmes ? Descend-il en lui-même ? Va-t-il au-delà de lui-même ? Oui, tout est questions au seuil d'une métaphysique de la nuit." [239]
Méthode : "La méthode cartésienne qui réussit si bien à expliquer le Monde, n'arrive pas à compliquer l'expérience, ce qui est la vraie fonction de la recherche objective."[240] "Il ne faut rien confier aux habitudes quand on observe. La méthode fait corps avec son application. Même sur le plan de la pensée pure, la réflexion sur la méthode doit rester active." [241] "La méthode cartésienne est réductive, elle n'est point inductive. Une telle réduction fausse l'analyse et entrave le développement extensif de la pensée objective." [242]
Moi : "Rien ne nous est pleinement et définitivement donné, pas même nous-mêmes à nous-mêmes. (…) En prenant conscience de mon erreur objective, je prends conscience de ma liberté d'orientation. Cette orientation libérée et réfléchie, c'est déjà le voyage potentiel hors de moi, à la recherche d'un nouveau destin spirituel. Je me trompais sur les choses. Je ne suis donc pas vraiment celui que je croyais être."[243] "Nous ne savons pas, hélas ! provoquer en nous les instants créateurs. La force de renouvellement de la pensée nous manque ; il faut souvent attendre le don de la conscience, la synthèse du moi et du non-moi, pour que la pensée ait la double confirmation de sa réalité. Le moi ne se confirme pas de soi-même, dans un fonctionnement à vide. Du moins ce fonctionnement à vide n'est point naturel, il n'est pas immédiat, il ne nous est pas accessible dans une intuition première. (…) La conscience claire de l'être est toujours associée à une conscience de son anéantissement. Si je sens l'être en moi, dans une expérience ineffable, c'est que je le sens renaître ; je le connais à force de le reconnaître ; je le comprends dans l'oscillation de l'être et du non-être, je le vois sur un fond de néant. L'être ne reçoit pas non plus paisiblement ses apparences ; il est constamment en lutte contre ses apparences. D'ailleurs, puisqu'il comprend la notion d'apparence, c'est qu'il en est tour à tour la victime et le vainqueur. Il y avait en moi tant de caractères qui ne tenaient point à moi et qui troublaient la consistance logique de mon essence ! En les détachant de moi, je me constitue. (…) Je ne me décrirai donc tel que je suis qu'en disant ce que je ne veux plus être. (…) Je ne m'apparaîtrai clairement à moi-même que comme la somme de mes renoncements. Mon être, c'est ma résistance, ma réflexion, mon refus. Ce n'est d'ailleurs que dans le récit de mes renoncements que je prends pour autrui une apparence objective. C'est par la comparaison de nos renoncements que nous avons quelques chances de nous ressembler, c'est-à-dire de trouver ailleurs l'écho de notre volonté. (…) L'effort métaphysique pour saisir l'être en nous-mêmes est donc une perspective de renoncements. Où trouver alors le sujet pur ? Comment puis-je me définir au terme d'une méditation où je n'ai cessé de déformer ma pensée ? Ce ne peut être qu'en poursuivant jusqu'à la limite cette déformation : je suis la limite de mes illusions perdues."[244] "En effet, si je m'observe, «je est un autre». Le redoublement de la pensée est automatiquement un dédoublement de l'être. La conscience d'être seul, c'est toujours, dans la pénombre, la nostalgie d'être deux. (…) En moi méditant – joie et stupeur – l'univers vient se contredire."[245]
Monde : "Le monde où l'on pense n'est pas le monde où l'on vit. La philosophie du non se constituerait en doctrine générale si elle pouvait coordonner tous les exemples où la pensée rompt avec les obligations de la vie.(…) La pensée scientifique est le principe qui donne le plus de continuité à une vie ; elle est, entre toutes, riche d'une puissance de cohérence temporelle ou, pour employer un concept cher à Korzybski, la pensée scientifique est éminemment time binding. Par elle, les instants isolés et décousus se lient fortement. "[246] "Mais le monde est intense avant d'être complexe. Il est intense en nous." [247] "Le monde apparaît désormais comme le pôle d'une objectivation, l'esprit comme le pôle d'une spiritualisation."[248] "Mais le monde est intense avant d'être complexe. Il est intense en nous. Et l'on sentirait mieux cette intensité, ce besoin intime de projeter un univers, si l'on obéissait aux images dynamiques, aux images qui dynamisent notre être." [249] "La main vide, les choses sont trop fortes. La force humaine alors se réserve. Les yeux en paix voient les choses, ils les découpent sur un fond d'univers et la philosophie - métier des yeux - prend la conscience de spectacle. Le philosophe pose un non-moi vis-à-vis du moi. La résistance du monde n'est qu'une métaphore, elle n'est guère plus qu'une «obscurité», guère plus qu'une irrationalité. Le portrait est contre le mur. Le mot contre n'a aucune vertu dynamique : l'imagination dynamique ne l'anime pas, ne le différencie pas. Mais si l'on tient un couteau dans la main, on entend tout de suite la provocation des choses." [250] "Le monde est «ma vérification», il est fait d'idées vérifiées, par opposition à l'esprit qui est fait d'idées essayées."[251] "Le monde est aussi bien le miroir de notre ère que la réaction de nos forces. Si le monde est ma volonté, il est aussi mon adversaire. Plus grande est ma volonté, plus grand est l'adversaire. (…) Nous achèverons donc la leçon de Schopenhauer, nous additionnerons vraiment la représentation intelligente et la volonté claire du Monde comme volonté et représentation, en énonçant la formule : Le monde est ma provocation. Je comprends le monde parce que je le surprends avec mes forces incisives, avec mes forces dirigées, dans la juste hiérarchie de mes offenses, comme des réalisations de ma joyeuse colère, de ma colère toujours victorieuse, toujours conquérante. En tant que source d'énergie, l'être est une colère a priori." [252]
Morale : "Toute moralité est instantanée. L'impératif catégorique de la moralité de la moralité n'a que faire de la durée. Il ne retient aucune cause sensible, il n'attend aucune conséquence. Il va tout droit, verticalement, dans le temps des formes et des personnes. Le poète est alors le guide naturel du métaphysicien qui veut comprendre toutes les puissances de liaisons instantanées, la fougue du sacrifice, sans se laisser diviser par la dualité philosophique grossière du sujet et de l'objet, sans se laisser arrêter par le dualisme de l'égoïsme et du devoir." [253]
Mort : "Pour renforcer l'isolement de l'instant nous irions jusqu'à dire qu'il y a des degrés dans la mort et que ce qui est le plus mort que la mort c'est ce qui vient de disparaître… En effet, la méditation de l'instant nous convainc que l'oubli est d'autant plus net qu'il détruit un passé plus proche…(…) De même le deuil le plus cruel, c'est la conscience de l'avenir trahi et quand survient l'instant déchirant où un être cher ferme les yeux, immédiatement on sent avec quelle nouveauté hostile l'instant suivant «assaille» notre cœur." [254] "L'amertume de la vie, c'est le regret de ne pouvoir espérer, de ne plus entendre les rythmes qui nous sollicitent à jouer notre partie dans la symphonie du devenir. C'est alors que le «regret souriant» nous conseille d'inviter la Mort et d'accepter, comme une chanson qui berce, les rythmes monotones de la Matière." [255] "Revivre un temps disparu, c'est apprendre l'inquiétude de notre mort." [256]
Moyenne : "La moyenne est ainsi la première idée platonicienne du phénomène quantifié. Mais ce réalisme n'est pas solide, car la moyenne constitue une idée approximative qui se développe plutôt en extension qu'en compréhension. C'est donc une connaissance qui manque de profondeur. La connaissance dans son idéal de description intime est tout entière portée à fouiller la compréhension des phénomènes…" [257]
Naïveté : "Donner et surtout garder un intérêt vital à la recherche désintéressée… et il nous faudra tenter, au risque d'être accusé de facile enthousiasme, d'en bien marquer la force tout au long de la patience scientifique. Sans cet intérêt, cette patience serait souffrance. Avec cet intérêt, cette patience est une vie spirituelle… Âme puérile ou mondaine, animée par la curiosité naïve, frappée d'étonnement devant le moindre phénomène instrumenté, jouant à la Physique pour se distraire..."[258] "La plus grande des forces, c'est la naïveté." [259]
Néant : "Il n'y a vraiment que le néant qui soit continu." [260] "La pensée pure doit commencer par un refus de la vie. La première pensée claire c'est la pensée du néant. (…) Penser c'est faire abstraction de certaines expériences, c'est les plonger de plein gré dans l'ombre du néant. (…) [Le néant] est en nous-mêmes, éparpillé le long de notre durée, brisant à chaque instant notre amour, notre foi, notre volonté, notre pensée. Notre hésitation temporelle est ontologique."[261]
Nombre : "Exprimons donc cette double suprématie du nombre sur la chose et du probable sur le nombre par une formule polémique : la substance chimique n'est que l'ombre d'un nombre."[262]
Nudité : "Quelle est donc la fonction sexuelle de la rivière ? C'est d'évoquer la nudité féminine. (…) L'eau évoque d'ailleurs la nudité naturelle, la nudité qui peut garder une innocence. Dans le règne de l'imagination, les êtres vraiment nus, aux lignes sans toison, sortent toujours d'un océan." [263]
Nuit : "Pour Novalis, la Nuit elle-même est une matière qui nous porte, un océan qui berce notre vie : «La Nuit te porte maternellement»[264]." [265]
Objectivité : "Dès lors, dût-on nous accuser de cercle vicieux, nous proposons de fonder l'objectivité sur le comportement d'autrui, ou encore, pour avouer tout de suite le tour paradoxal de notre pensée, nous prétendons choisir l'œil d'autrui – toujours l'œil d'autrui – pour voir la forme – la forme heureusement abstraite – du phénomène objectif : Dis-moi ce que tu vois et je te dirai ce que c'est. Seul ce circuit en apparence insensé, peut nous donner quelque sécurité que nous avons fait complètement abstraction de nos visions premières." [266] "Toute objectivité, dûment vérifiée, dément le premier contact avec l'objet. Elle doit d'abord tout critiquer : la sensation, le sens commun, la pratique même la plus constante, l'étymologie enfin, car le verbe, qui est fait pour chanter et séduire, rencontre rarement la pensée. Loin de s'émerveiller, la pensée objective doit ironiser."[267] "C'est l'objectivation qui domine l'objectivité ; l'objectivité n'est que le produit d'une objectivation correcte. (…) Le sujet, en méditant l'objet, élimine non seulement les traits irréguliers dans l'objet, mais des attitudes irrégulières dans son propre comportement intellectuel. Le sujet élimine ses singularités, il tend à devenir un objet pour lui-même. Finalement la vie objective occupe l'âme entière."[268]
Objet : "Il faut accepter, pour l'épistémologie, le postulat suivant : l'objet ne saurait être désigné comme un «objectif» immédiat ; autrement dit, une marche vers l'objet n'est pas initialement objective. Il faut donc accepter une véritable rupture entre la connaissance sensible et la connaissance scientifique (…) En particulier l'adhésion immédiate à un objet concret, saisi comme un bien, utilisé comme une valeur, engage trop fortement l'être sensible ; c'est la satisfaction intime ; ce n'est pas l'évidence rationnelle (…) Ce besoin de sentir l'objet, cet appétit des objets, cette curiosité indéterminée, ne correspondent encore - à aucun titre - à un état d'esprit scientifique. Si un paysage est un état d'âme romantique, un morceau d'or est un état d'âme avare, une lumière un état d'âme extatique." [269] "L'armoire et ses rayons, le secrétaire et ses tiroirs, le coffre et son double fond sont de véritables organes de la vie psychologique secrète. Sans ces objets et quelques autres aussi valorisés, notre vie intime manquerait de modèles d'intimité. Ce sont des objets mixtes, des objets-sujets. (…) Quand on donne aux objets l'amitié qui convient, on n'ouvre pas l'armoire sans tressaillir un peu. Sous son bois roux, l'armoire est une très blanche amande. L'ouvrir, c'est vivre un événement de la blancheur." [270] "Le moindre objet est pour le philosophe qui rêve une perspective où s'ordonne toute sa personnalité, ses plus secrètes et ses plus solitaires pensées (…) Le moindre objet fidèlement contemplé nous isole et nous multiplie. Devant beaucoup d'objets, l'être rêvant sent sa solitude. Devant un seul, le sujet rêvant sent sa multiplicité." [271]
Observation : "Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la bonne. L'observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences; elle transcende l'immédiat; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas."[272]
Obstacle épistémologique : "Dans l'éducation, la notion d'obstacle pédagogique est également méconnue. J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l'erreur, de l'ignorance et de l'irréflexion. (...) Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon, qu'on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point pour point. Ils n'ont pas réfléchi au fait que l'adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne."[273] "La philosophie des sciences s'épuise contre les deux obstacles épistémologiques contraires qui bornent toute pensée : le général et l'immédiat. Elle valorise tantôt l'a priori, tantôt l'a posteriori, en méconnaissant les transmutations de valeurs épistémologiques que la pensée scientifique contemporaine opère sans cesse entre l'a priori et l'a posteriori, entre les valeurs expérimentales et les valeurs rationnelles." [274] "L'obstacle suscite le travail, la situation s'expose en descriptions." [275]
Onde : "Ainsi les deux images corpuscules et ondes n'arrivent pas à se rejoindre. Elles ne sont claires que si elles sont isolées. Elles doivent en somme rester l'une et l'autre des images et ne pas prétendre représenter des réalités profondes. Ces images seront cependant instructives si nous savons les prendre comme deux sources d'analogies, si nous nous exerçons à penser l'une par l'autre aussi bien qu'à limiter l'une par l'autre. Elles ont en effet toutes deux fait leurs preuves : l'intuition du corpuscule et de ses mouvements a donné la mécanique, l'intuition de l'onde et de sa propagation a donné l'optique physique. (…) En effet, pourquoi chercherait-on une sorte de liaison causale entre le corpuscule et l'onde s'il s'agit uniquement de deux images, de deux points de vue pris sur un phénomène complexe ? En fait, les thèses qui représentaient l'onde pilote dirigeant le corpuscule n'ont apporté que des métaphores pour traduire la simple association du corpuscule et de l'onde. Tout ce qu'on peut dire c'est que cette association n'est ni causale, ni substantive. Le corpuscule et l'onde ne sont pas des choses liées par des mécanismes. Leur association est d'ordre mathématique ; on doit les comprendre comme des moments différents de la mathématisation de l'expérience."[276]
Opinion : "La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive sur un point de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement." [277]
Ordre : "L'ordre du devenir est immédiatement le devenir d'un ordre." [278] "Puisque la première représentation géométrique des phénomènes est essentiellement une mise en ordre, cette première mise en ordre ouvre devant nous les perspectives d'une abstraction alerte et conquérante qui doit nous conduire à organiser rationnellement la phénoménologie comme une théorie de l'ordre pur. Alors ni le désordre ne saurait être appelé un ordre méconnu, ni l'ordre une simple concordance de nos schémas et des objets comme cela pouvait être le cas dans le règne des données immédiates de la conscience. Quand il s'agit des expériences conseillées ou construites par la raison, l'ordre est une vérité, et le désordre une erreur. L'ordre abstrait est donc un ordre prouvé qui ne tombe pas sous les critiques bergsoniennes de l'ordre trouvé." [279]
Originalité : "En fait nous ne sommes originaux que par nos fautes." [280] "La contradiction est, pour l'inconscient, plus qu'une tolérance, elle est vraiment un besoin. C'est en effet par la contradiction qu'on arrive le plus aisément à l'originalité, et l'originalité est une des prétentions dominantes de l'inconscient."[281] "Il ne faut pas trop vite s'adresser aux constructions de la raison pour comprendre un génie littéraire original. L'inconscient, lui aussi, est un facteur d'originalité. En particulier, l'inconscient alcoolique est une réalité profonde. On se trompe quand on imagine que l'alcool vient simplement exciter des possibilités spirituelles. Il crée vraiment ces possibilités. Il s'incorpore pour ainsi dire à ce qui fait effort pour s'exprimer. De toute évidence, l'alcool est un facteur de langage. Il enrichit le vocabulaire et libère la syntaxe." [282] "Une originalité est nécessairement un complexe et un complexe n'est jamais bien original. C'est en méditant ce paradoxe que l'on peut seulement reconnaître le génie comme une légende naturelle, comme une nature qui s'exprime. Si l'originalité est puissante, le complexe est énergique, impérieux, dominant : il mène l'homme ; il produit l'œuvre. Si l'originalité est pauvre, le complexe est larvé, factice, hésitant. De toute manière, l'originalité ne peut s'analyser entièrement sur le plan intellectuel. C'est seulement le complexe qui peut fournir la mesure dynamique de l'originalité." [283]
Parole : "La pensée en s'exprimant dans une image nouvelle s'enrichit en enrichissant la langue. L'être devient parole. La parole apparaît au sommet psychique de l'être. La parole se révèle le devenir immédiat du psychisme humain."[284] "Je saisirais peut-être les instants où la parole, aujourd'hui comme toujours, crée de l'humain... Je développerais alors – folle ambition ! - une doctrine de la spontanéité, car la spontanéité pure, où peut-elle être plus aérée, aérienne que dans le langage ? La poésie, c'est le langage qui est libre à l'égard de soi-même. (…) J'essaierais d'aller, si possible, à l'origine de la joie de parler." [285]
Pédagogie : "Voici, d'après nous, le principe fondamental de la pédagogie de l'attitude objective Qui est enseigné doit enseigner. Une instruction qu'on reçoit sans la transmettre forme des esprits sans dynamisme, sans autocritique." [286]
Penser : "La pensée scientifique est par essence une pensée en voie d'assimilation, une pensée qui tente des transcendances, qui suppose la réalité avant de la connaître et qui ne la connaît que comme une réalisation de sa supposition." [287] "Toute pensée formelle est une simplification psychologique inachevée, une sorte de pensée-limite jamais atteinte. En fait, elle est toujours pensée sur une matière, dans des exemples tacites, sur des images masquées. On essaie ensuite de se convaincre que la matière de l'exemple n'intervient pas. On n'en donne cependant qu'une preuve, c'est que les exemples sont interchangeables. (…) Avant l'ère mathématique, durant l'âge du solide, il fallait que le Réel désignât au physicien, dans une prodigalité d'exemples, l'idée à généraliser : la pensée était alors un résumé d'expériences accomplies. Dans la nouvelle science relativiste, un unique symbole mathématique dont la signification est prolixe désigne les mille traits d'une Réalité cachée : la pensée est un programme d'expériences à réaliser." [288] "Penser scientifiquement, c'est se placer dans le champ épistémologique intermédiaire entre théorie et pratique, entre mathématiques et expérience."[289] "Dans la tension devant un livre au développement rigoureux, l'esprit se construit et se reconstruit. Tout devenir de pensée, tout avenir de pensée, est dans une reconstruction de l'esprit." [290]
Perception : "La perception est plutôt anticipation que souvenir, elle procède moins de l'excitant objectif que de l'intérêt subjectif."[291]
Phénomène : "Pour l'esprit scientifique, tout phénomène est un moment de la pensée théorique, un stade de la pensée discursive, un résultat préparé. Il est plutôt produit qu'induit. L'esprit scientifique ne peut se satisfaire en liant purement et simplement les éléments descriptifs d'un phénomène à une substance, sans aucun effort de hiérarchie, sans détermination précise et détaillée des relations aux autres objets." [292]
Philosophie : "Et, pourtant, si la philosophie est l'étude des commencements, comment s'enseignera-t-elle sans de patients recommencements ? Dans l'ordre de l'esprit, commencer, c'est avoir la conscience du droit de recommencer. La philosophie est une science des origines voulues. À cette condition, la philosophie cesse d'être descriptive pour devenir un acte intime."[293] "La science crée en effet de la philosophie." [294] "Si l'on pouvait alors traduire philosophiquement le double mouvement qui anime actuellement la pensée scientifique, on s'apercevrait que l'alternance de l'a priori et de l'a posteriori est obligatoire, que l'empirisme et le rationalisme sont liés, dans la pensée scientifique, par un étrange lien, aussi fort que celui qui unit le plaisir et la douleur. En effet, l'un triomphe en donnant raison à l'autre : l'empirisme a besoin d'être compris ; le rationalisme a besoin d'être appliqué. Un empirisme sans lois claires, sans lois coordonnées, sans lois déductives ne peut être ni pensé, ni enseigné ; un rationalisme sans preuves palpables, sans application à la réalité immédiate ne peut pleinement convaincre. On prouve la valeur d'une loi empirique en en faisant la base d'un raisonnement. On légitime un raisonnement en en faisant la base d'une expérience. La science, somme de preuves et d'expériences, somme de règles et de lois, somme d'évidences et de faits, a donc besoin d'une philosophie à double pôle. Plus exactement elle a besoin d'un développement dialectique, car chaque notion s'éclaire d'une manière complémentaire à deux points de vue philosophiques différents." [295] "Chaque philosophe ne donne qu'une bande du spectre notionnel et il est nécessaire de grouper toutes les philosophies pour avoir le spectre rationnel complet d'une connaissance particulière." [296] "En résumé, à n'importe quelle attitude philosophique générale, on peut opposer, comme objection, une notion particulière dont le profil épistémologique révèle un pluralisme philosophique. Une seule philosophie est donc insuffisante pour rendre compte d'une connaissance un peu précise. Si l'on veut bien dès lors poser exactement la même question à propos d'une même connaissance à différents esprits, on verra s'augmenter étrangement le pluralisme philosophique de la notion." [297]
Physique : "La tâche à laquelle s'efforce la physique contemporaine est la synthèse de la matière et du rayonnement. Cette synthèse physique est sous-tendue par la synthèse métaphysique de la chose et du mouvement. Elle correspond au jugement synthétique le plus difficile à formuler car ce jugement s'oppose violemment aux habitudes analytiques de l'expérience usuelle qui divise sans discussion la phénoménologie en deux domaines : le phénomène statique (la chose), le phénomène dynamique (le mouvement). Il faut restituer au phénomène toutes ses solidarités et d'abord rompre avec notre concept de repos : en microphysique, il est absurde de supposer la matière au repos puisqu'elle n'existe pour nous que comme énergie et qu'elle ne nous envoie de message que par le rayonnement." [298]
Pittoresque : "Le pittoresque arrête à la fois les forces mythologiques et les forces poétiques. Le pittoresque éparpille la force des songes. Un fantôme pour être actif n'a pas le droit aux bigarrures. Un fantôme qu'on décrit avec complaisance est un fantôme qui cesse d'agir."[299]
Poétique : "Essentiellement, l'instant poétique est une relation harmonique de deux contraires. Dans l'instant passionné du poète, il y a toujours un peu de raison ; dans le refus raisonné, il reste toujours un peu de passion. Les antithèses successives plaisent déjà au poète. Mais pour le ravissement, pour l'extase, il faut que les antithèses se contractent en ambivalence. Alors l'instant poétique surgit... "[300] "Être poète, c'est multiplier la dialectique temporelle, c'est refuser la continuité facile de la sensation et de la déduction ; c'est refuser le repos catagénique pour accueillir le repos vibré, le psychisme vibré."[301] "Les axes de la poésie et de la science sont d'abord inverses. Tout ce que peut espérer la philosophie, c'est de rendre la poésie et la science complémentaires, de les unir comme deux contraires bien faits. Il faut donc opposer à l'esprit poétique expansif, l'esprit scientifique taciturne pour lequel pour lequel l'antipathie préalable est une saine précaution. (…) Quand on a reconnu un complexe psychologique, il semble qu'on comprenne mieux, plus synthétiquement, certaines œuvres poétiques. En fait, une œuvre poétique ne peut guère recevoir son unité que d'un complexe. Si le complexe manque, l'œuvre, sevrée de ses racines, ne communique plus avec l'inconscient. Elle paraît froide, factice, fausse. (…) C'est après coup, objectivement, après l'épanouissement, que nous croyons découvrir le réalisme et la logique intime d'une œuvre poétique… On ne fait pas de poésie au sein d'une unité : l'unique n'a pas de propriété poétique. Si l'on ne peut faire mieux et atteindre tout de suite à la multiplicité ordonnée, on peut se servir de la dialectique, comme d'un fracas qui réveille les résonances endormies." [302] "Toute la poésie de Novalis pourrait recevoir une interprétation nouvelle si l'on voulait lui appliquer la psychanalyse du feu. Cette poésie est un effort pour revivre la primitivité. Pour Novalis, le conte ("l'ère… de la liberté, l'état primitif de la nature..."[303] ) est toujours plus ou moins une cosmogonie. Il est contemporain d'une âme et d'un monde qui s'engendrent." [304] "L'imagination ne peut s'éclairer que par les poèmes qu'elle inspire. Son rôle est de former des images qui dépassent la réalité, qui la chantent. Elle invente la vie nouvelle, elle invente l'esprit nouveau. (…) Cette adhésion à l'invisible, voilà la poésie première, voilà la poésie qui nous permet de prendre goût à notre destin intime. Elle nous donne une impression de jeunesse et de jouvence en nous rendant sans cesse la faculté de nous émerveiller. La vraie poésie est une fonction d'éveil. (…) Le monde n'existe poétiquement que s'il est réinventé. (…) La fonction poétique est de donner une forme nouvelle au monde qui n'existe poétiquement que s'il est sans cesse réimaginé." [305] "Le poème est essentiellement une aspiration à des images nouvelles. Il correspond au besoin essentiel de nouveauté qui caractérise le psychisme humain. (…) Il n'y a pas de poésie antécédente à l'acte du verbe poétique. (…) La première tâche du poète est de désancrer en nous une matière qui veut rêver." [306] "Toute poésie est surprenante. Elle est par essence une nouveauté du langage… Lire un poème véritable, c'est vivre la surprise du dépassement du langage humain…"[307] "La philosophie de la poésie doit reconnaître que l'acte poétique n'a pas de passé, du moins pas de passé proche le long duquel on pourrait suivre sa préparation et son avènement. (…) L'image poétique n'est pas soumise à une poussée. Elle n'est pas l'écho d'un passé. C'est plutôt l'inverse : par l'éclat d'une image, le passé lointain résonne d'échos et l'on ne voit guère à quelle profondeur ces échos vont se répercuter et s'éteindre. Dans sa nouveauté, dans son activité, l'image poétique a un être propre, un dynamisme propre. Elle relève d'une ontologie directe. (…) Par sa nouveauté, une image poétique met en branle toute l'activité linguistique. L'image poétique nous met à l'origine de l'être parlant. (…) Il faut en venir, pour éclairer philosophiquement le problème de l'image poétique, à une phénoménologie de l'imagination. Entendons par là une étude du phénomène de l'image poétique quand l'image émerge dans la conscience comme un produit direct du cœur, de l'âme, de l'être de l'homme saisi dans son actualité. (…) L'image poétique est une émergence du langage, elle est toujours un peu au-dessus du langage signifiant. À vivre les poèmes, on a donc l'expérience salutaire de l'émergence. C'est là sans doute de l'émergence à petite portée. Mais ces émergences se renouvellent ; la poésie met le langage en état d'émergence. La vie s'y désigne par sa vivacité." [308] "Qu'est-ce qu'un beau poème sinon une folie retouchée ? Un peu d'ordre poétique imposé aux images aberrantes ? Un maintien d'une intelligente sobriété dans l'emploi – intensif tout de même – des drogues imaginaires. Les rêveries, les folles rêveries, mènent la vie." [309] "La poétique de la rêverie est une poétique de l'anima." [310]
Polémique : "Toute connaissance prise au moment de sa constitution est une connaissance polémique ; elle doit d'abord détruire pour faire la place de ses constructions. La destruction est souvent totale et la construction jamais achevée. La seule positivité claire d'une connaissance se prend dans la conscience des rectifications nécessaires, dans la joie d'imposer une idée."[311]
Précision : "L'excès de précision, dans le règne de la quantité, correspond très exactement à l'excès du pittoresque, dans le règne de la qualité. La précision numérique est souvent une émeute de chiffres, comme le pittoresque est, pour parler comme Baudelaire, «une émeute de détails»." [312]
Préjugé : "Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est, spirituellement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé." [313]
Preuve : "La méthode de la preuve expérimentale ne voit dans le simple que le résultat d'une simplification, qu'un choix, qu'un exemple, autant de nuances qui présupposent une extension de pensée hors du fait unique, hors de l'idée unique, hors de l'axiome unique." [314]
Prévoir : "Prévoir, c'est toujours imaginer."[315]
Probabilité : "Les nombres quantiques servent à quantifier l'énergie. Or toutes les attributions énergétiques apparaissent maintenant comme d'origine probabilitaire. Quand on considère ensuite les coopérations énergétiques de la matière et du rayonnement, c'est encore à des relations de probabilité qu'il faut s'adresser. Ainsi, peu à peu, l'arithmétique quantique devient une arithmétique de la probabilité.. (…) Sous sa forme la plus simple, ce calcul est fondé sur l'indépendance absolue des éléments. (…) Il ne faudrait pas croire que probabilité et ignorance soient synonymes du fait que la probabilité s'appuie sur l'ignorance des causes… Il ne faut pas davantage assimiler le probable à l'irréel." [316]
Problème : "Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. (…) On voit clairement que dans toutes ces rationalisations imprudentes, la réponse est beaucoup plus nette que la question, mieux, la réponse a été donnée avant qu'on éclaircisse la question. Cela nous justifie peut-être de dire que le sens du problème est caractéristique de l'esprit scientifique." [317]
Profil : "Le profil épistémologique révèle un pluralisme philosophique." [318] "Une psychologie de l'esprit scientifique devrait dessiner ce que nous appellerons le profil épistémologique des diverses conceptualisations. C'est par un tel profil mental qu'on pourrait mesurer l'action psychologique effective des diverses philosophies dans l'œuvre de la connaissance. (…) Un profil épistémologique doit toujours être relatif à un concept désigné, (…) il ne vaut que pour un esprit particulier qui s'examine à un stade particulier de sa culture. C'est cette double particularisation qui fait son intérêt pour une psychologie de l'esprit scientifique." [319] "Nous pourrions mettre en rapport les deux notions d'obstacle épistémologique et de profil épistémologique, car un profil épistémologique garde la trace des obstacles qu'une culture a dû surmonter. Les premiers obstacles, ceux qu'on rencontre aux premiers stades de la culture, donnent lieu à des efforts pédagogiques très nets." [320]
Profondeur : "Il serait naturellement facile de montrer que la psychologie littéraire repose sur ces mythes : il suffit de parler avec gravité et lenteur d'un sentiment profond pour passer pour un psychologue profond de la vie intime. On peut se demander si la psychologie traditionnelle des sentiments serait possible si on lui interdisait l'emploi du seul mot profond qu'elle accole partout et qui ne correspond, après tout, qu'à une pauvre image. En fait, l'impression de profondeur reste une impression superficielle : cela est si vrai qu'elle s'attache surtout à des sentiments naïfs, mal travaillés, livrés aux monotones impulsions de la nature."[321] "L'homme rêvant devant son foyer est, au contraire, l'homme des profondeurs et l'homme d'un devenir. Ou encore, pour mieux dire, le feu donne à l'homme qui rêve la leçon d'une profondeur qui a un devenir : la flamme sort du cœur des branches." [322] "Pour lui, le mineur est un "astrologue renversé", Novalis vit d'une chaleur concentrée plus que d'une irradiation lumineuse. Combien souvent il a médité "au bord des profondeurs obscures" ! (…) Comme il le dit, le mineur est le héros de la profondeur, préparé "à recevoir les dons célestes et à s'exalter allègrement au-delà du monde et de ses misères". »[323] «Au lieu de dire que Novalis est un Voyant qui voit l'invisible, nous dirions volontiers que c'est un Touchant qui touche l'intouchable, l'impalpable, l'irréel. Il va plus au fond que tous les rêveurs. Son rêve est un rêve de rêve, non pas dans le sens éthéré, mais dans le sens de la profondeur. (…) C'est une imagination qui se développe en profondeur. Les fantômes sortent de la substance comme des formes vaporeuses, mais pleines, comme des êtres éphémères, mais qu'on a pu toucher, auxquels on a communiqué un peu de la chaleur profonde de la vie intime. Tous les rêves de Novalis portent le signe de cette profondeur. Le rêve où Novalis trouve cette eau merveilleuse, cette eau qui met de la jeune fille partout, cette eau qui donne de la jeune fille au partitif n'est pas un rêve à grand horizon, à large vision. C'est au fond d'une grotte, dans le sein de la terre, que se trouve le lac merveilleux, le lac qui garde jalousement sa chaleur, sa douce chaleur. Les images visuelles qui naîtront d'une eau si profondément valorisée n'auront d'ailleurs aucune consistance ; elles se fondront l'une dans l'autre, gardant en cela la marque hydrique et calorifique de leur origine. Seule, la matière demeurera.» [324]«On ne peut comprendre la dynamique du rêve si on la détache de la dynamique des éléments matériels que le rêve travaille. On prend la mobilité des formes du rêve dans une mauvaise perspective quand on oublie son dynamisme interne. Au fond, les formes sont mobiles parce que l'inconscient s'en désintéresse. Ce qui attache l'inconscient, ce qui lui impose une loi dynamique, dans le règne des images, c'est la vie dans la profondeur d'un élément matériel. Le rêve de Novalis est un rêve formé dans la méditation d'une eau qui enveloppe et pénètre le rêveur d'une eau qui apporte un bien-être chaud et massif, un bien-être à la fois en volume et en densité. C'est un enchantement non pas par les images, mais par les substances. C'est pourquoi on peut user du rêve novalisien comme d'un merveilleux narcotique. Il est presque une substance psychique qui donne le calme à tout psychisme agité. (…) Le rêve de Novalis appartient en effet à la nombreuse catégorie des rêves bercés. Quand il entre dans l'eau merveilleuse, la première impression du rêveur est celle de "reposer parmi les nuages, dans la pourpre du soir". Un peu plus tard, il croira être "étendu sur une molle pelouse". Quelle est donc la vraie matière qui porte le rêveur ? Ce n'est ni le nuage ni la molle pelouse, c'est l'eau. Nuage et pelouse sont des expressions ; l'eau est l'impression. Dans le rêve de Novalis, elle est au centre de l'expérience ; elle continue à bercer le rêveur quand il repose sur la berge. C'est là un exemple de l'action permanente d'un élément matériel onirique. Des quatre éléments, il n'y a que l'eau qui puisse bercer. C'est elle l'élément berçant. C'est un trait de plus de son caractère féminin : elle berce comme une mère. L'inconscient ne formule pas son principe d'Archimède, mais il le vit.» [325] «En fait, c'est peut-être sous son aspect d'énergie imaginée que le dualisme philosophique du sujet et de l'objet se présente en plus franc équilibre ; en d'autres termes, dans le règne de l'imagination, on peut aussi bien dire que la résistance réelle suscite des rêveries dynamiques ou que les rêveries dynamiques vont réveiller une résistance endormie dans les profondeurs de la matière. Novalis a publié dans Athenaeum des pages qui éclairent cette loi de l'égalité de l'action et de la réaction transposée en loi de l'imagination. Pour Novalis, "dans chaque contact s'engendre une substance, dont l'effet dure aussi longtemps que dure le toucher". Autant dire que la substance est dotée de l'acte de nous toucher. Elle nous touche, comme nous la touchons, durement ou doucement. Novalis continue : "Cela est le fondement de toutes les modifications synthétiques de l'individu." Ainsi, pour l’idéalisme magique de Novalis, c'est l'être humain qui éveille la matière, c'est le contact de la main merveilleuse, le contact pourvu de tous les rêves du tact imaginant qui donne vie aux qualités sommeillant dans les choses.» [326]
Progrès : "Une nouveauté essentielle qui fait figure de liberté se manifeste dans ces reprises et c'est ainsi que l'habitude, par le renouvellement du temps discontinu, peut devenir un progrès dans toute l'acception du terme." [327]
Psychanalyse : "Peut-être peut-on saisir ici un exemple de la méthode que nous proposons de suivre pour une psychanalyse de la connaissance objective. Il s'agit de trouver l'action des valeurs inconscientes à la base même de la connaissance empirique et scientifique. (…) Précisément, un des avantages de la psychanalyse de la connaissance objective que nous proposons paraît être l'examen d'une zone moins profonde que celle où se déroulent les instincts primitifs ; et c'est parce que cette zone est intermédiaire qu'elle a une action déterminante pour la pensée claire, pour la pensée scientifique. (…) Pour nous qui nous bornons à psychanalyser une couche psychique moins profonde, plus intellectualisée, nous devons remplacer l'étude des rêves par l'étude de la rêverie… (…) Il y aurait donc place, croyons-nous, pour une psychanalyse indirecte et seconde, qui chercherait toujours l'inconscient sous le conscient, la valeur subjective sous l'évidence objective, la rêverie sous l'expérience. On ne peut étudier que ce qu'on a d'abord rêvé. La science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience et il faut bien des expériences pour effacer les brumes du songe. (…) Quand on contemple une hache de silex taillé, il est impossible de résister à cette idée que chaque facette bien placée a été obtenue par une réduction de la force, par une force inhibée, contenue, administrée, bref par une force psychanalysée."[328] "Bien que le présent ouvrage soit un nouvel exemple, après la Psychanalyse du feu, de la loi des quatre éléments poétiques, nous n'avons pas retenu pour titre La Psychanalyse de l'Eau qui aurait pu faire pendant à notre ancien essai. Nous avons choisi un titre plus vague : L'Eau et les Rêves. C'est là une obligation de la sincérité. Pour parler de psychanalyse, il faut avoir classé les images originelles sans laisser à aucune d'elles la trace de ses premiers privilèges ; il faut avoir désigné, puis désuni, des complexes qui ont longtemps noué des désirs et des rêves. (…) La sincérité nous oblige à confesser que nous n'avons pas réussi le même redressement à l'égard de l'eau. Les images de l'eau, nous les vivons encore, nous les vivons synthétiquement dans leur complexité première en leur donnant souvent notre adhésion irraisonnée. (…) Une psychanalyse des images de l'eau est donc rarement nécessaire puisque ces images se dispersent comme d'elles-mêmes. Et elles n'ensorcellent pas n'importe quel rêveur." [329] "La psychanalyse, née en milieu bourgeois, néglige bien souvent l'aspect réaliste, l'aspect matérialiste de la volonté humaine. Le travail sur des objets, contre la matière, est une sorte de psychanalyse matérielle. Il offre des chances de guérison rapide parce que la matière ne nous permet pas de nous tromper sur nos propres forces. (…) Les psychanalystes nous parlent d'un asthme psychique, d'un asthme noué sur des complexes inconscients. Le Dr Allendy rapproche ainsi ses propres angoisses de l'asthme de son père. Il guérirait, dit-il, s'il pouvait effacer on ne sait quel souvenir du père au souffle brisé… Mais le travail contient en soi-même sa propre psychanalyse, une psychanalyse qui peut porter ses bienfaits dans toutes les profondeurs de l'inconscient. «Intégrer le souffleur ? » Pourquoi ne pas intégrer le «soufflet»? … Quand un alchimiste soufflait sur son feu, il lui apportait le principe d'une sécheresse, le moyen de lutter contre d'insidieuses faiblesses liquides. Tout souffle, pour qui rêve, est une haleine chargée d'influences. Cet onirisme des objets met en ordre des rêves confus de l'inconscient du travailleur et facilite l'engagement dans le travail. "[330] "La psychanalyse étudie une vie d'événements, une vie qui n'engrène plus sur la vie des autres." [331]
Psychologie : "La Psychologie elle-même deviendrait scientifique si elle devenait discursive comme la Physique, si elle se rendait compte qu'en nous-mêmes, comme hors de nous-mêmes, nous comprenons la Nature en lui résistant. À notre point de vue, la seule intuition légitime en Psychologie est l'intuition d'une inhibition." [332]
Puissance discontinue : "Au fond, plutôt que la continuité de la vie, c'est la discontinuité de la naissance qu'il convient d'expliquer. C'est là qu'on peut mesurer la vraie puissance de l'être. Cette puissance, comme nous le verrons, c'est le retour à la liberté du possible, à ces résonances multiples nées de la solitude de l'être. (…) On peut d'ailleurs hésiter sur le sens dans lequel on doit lire une hiérarchie. La vraie puissance est-elle dans le commandement ou dans l'obéissance ? "[333]
Purification : "Mais à qui se spiritualise, la purification est d'une étrange douceur et la conscience de la pureté prodigue une étrange lumière. La purification seule peut nous permettre de dialectiser, sans la détruire, la fidélité d'un amour profond. Bien qu'elle abandonne une lourde masse de matière et de feu, la purification a plus de possibilités, et non pas moins, que l'impulsion naturelle. Seul un amour purifié a des trouvailles affectueuses. Il est individualisant. Il permet de passer de l'originalité au caractère." [334]
Qualité : "Il faudra toujours convenir que les qualités géométriques n'ont aucun droit à être appelées des qualités premières. Il n'y a que des qualités secondes puisque toute qualité est solidaire d'une relation." [335]
Question : "C'est ainsi que dans toutes les sciences rigoureuses, une pensée anxieuse se méfie des identités plus ou moins apparentes, et réclame sans cesse plus de précision, ipso facto plus d'occasions de distinguer. Préciser, rectifier, diversifier, ce sont là des types de pensées dynamiques qui s'évadent de la certitude et de l'unité et qui trouvent dans les systèmes homogènes plus d'obstacles que d'impulsions. En résumé, l'homme animé par l'esprit scientifique désire sans doute savoir, mais c'est aussitôt pour mieux interroger." [336]
Raison : "La raison n'est nullement une faculté de simplification. C'est une faculté qui s'éclaire en s'enrichissant. Elle se développe dans le sens d'une complexité croissante. (…) Le réalisme est une philosophie qui ne s'engage pas, alors que le rationalisme s'engage toujours, se risque tout entier sur chaque expérience. (…) Ainsi la réalisation prime la réalité. Cette primauté de la réalisation déclasse la réalité. (…) Il faut forcer la nature à aller aussi loin que notre esprit. (…) L'arithmétique n'est pas plus que la géométrie une promotion naturelle d'une raison immuable. L'arithmétique n'est pas fondée sur la raison. C'est la doctrine de la raison qui est fondée sur l'arithmétique élémentaire. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu'était la raison. En général, l'esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une structure correspondant à la structure du savoir. Il doit se mobiliser autour d'articulations qui correspondent aux dialectiques du savoir. Que serait une fonction sans des occasions de fonctionner ? Que serait la raison sans des occasions de raisonner ? La pédagogie de la raison doit donc profiter de toutes les occasions de raisonner. Elle doit chercher la variété des raisonnements, ou mieux les variations du raisonnement. Or, les variations du raisonnement sont maintenant nombreuses dans les sciences géométriques et physiques ; elles sont toutes solidaires d'une dialectique des principes de raison, d'une activité de la philosophie du non. Il faut en accepter la leçon. La raison, encore une fois, doit obéir à la science. La géométrie, la physique, l'arithmétique sont des sciences ; la doctrine traditionnelle d'une raison absolue et immuable n'est qu'une philosophie. C'est une philosophie périmée. "[337] "La raison n'est nullement une faculté de simplification. C'est une faculté qui s'éclaire en s'enrichissant. Elle se développe dans le sens d'une complexité croissante. (…) La raison est une activité autonome qui tend à se compléter." [338] "La raison est une activité psychologique essentiellement polytrope : elle veut retourner les problèmes, les varier, les greffer les uns sur les autres, les faire proliférer. Une expérience, pour être vraiment rationalisée, doit donc être insérée dans un jeu de raisons multiples." [339]
Rationalisme : "Le rationalisme est une philosophie qui continue, il n'est jamais vraiment une philosophie qui commence." [340]"On ne s'installe pas d'un seul coup dans la connaissance rationnelle ; on ne donne pas du premier coup la juste perspective des images fondamentales. Rationaliste ? Nous essayons de le devenir, non seulement dans l'ensemble de notre culture, mais dans le détail de nos pensées, dans l'ordre détaillé de nos images familières." [341]
Réalisme : "Nous appelons réalisme toute doctrine qui maintient l'organisation des impressions au niveau des impressions elles-mêmes, qui place le général après le particulier, comme une simplification du particulier, qui croit par conséquent à la richesse prolixe de la sensation individuelle et à l'appauvrissement systématique de la pensée qui abstrait." [342]
Réalité : "On démontre le réel, on ne le montre pas."[343] "Qu'est-ce que la croyance en la réalité, qu'est-ce que l'idée de réalité, quelle est la fonction métaphysique primordiale du réel ? C'est essentiellement la conviction qu'une entité dépasse son donné immédiat, ou, pour parler plus clairement, c'est la conviction que l'on trouvera plus dans le réel caché que dans le donné évident. (...) C'est le réel et non pas la connaissance qui porte la marque de l'ambiguïté."[344] "La saveur et l'odeur, par leur aspect direct et intime, paraissent nous apporter un sûr message d'une réalité matérielle. Le réalisme du nez est bien plus fort que le réalisme de la vue. À la vue, les fumées et les rêves ! Au nez et à la bouche, les fumets et les viandes ! L'idée de vertu substantielle est liée à l'odeur par un lien étroit." [345] "Toutefois le sens du vecteur épistémologique nous paraît bien net. Il va sûrement du rationnel au réel et non point, à l'inverse, de la réalité au général comme le professaient tous les philosophes depuis Aristote jusqu'à Bacon." [346] "Le réel est toujours un objet de démonstration." [347] "On démontre le réel, on ne le montre pas. C'est surtout vrai quand il s'agit de mettre en œuvre un phénomène organique. En effet dès que l'objet se présente comme un complexe de relations il faut l'appréhender par des méthodes multiples. L'objectivité ne peut se détacher des caractères sociaux de la preuve. On ne peut arriver à l'objectivité qu'en exposant d'une manière discursive et détaillée une méthode d'objectivation." [348] "Qu'est-ce que la croyance à la réalité, qu'est-ce que l'idée de réalité, quelle est la fonction métaphysique primordiale du réel ? C'est essentiellement la conviction qu'une activité dépasse son donné immédiat, ou, pour parler plus clairement, c'est la conviction que l'on trouvera plus dans le réel caché que dans le donné évident. (…) Au moment où la notion se présente comme une totalité, elle joue le rôle d'une réalité." [349] "Dès lors, il nous semble que dans l'intervalle qui sépare l'évanouissement d'un objet scientifique et la constitution d'une nouvelle réalité, il y a place pour une pensée non réaliste, pour une pensée se faisant un appui de son mouvement." [350] "C'est à tort… qu'on veut voir dans le réel la raison déterminante de l'objectivité alors qu'on ne peut jamais apporter que la preuve d'une objectivation correcte. (…) Si l'on veut rester dans la clarté, il faut en venir à poser le problème systématiquement en termes d'objectivation plutôt que d'objectivité." [351] "Sur n'importe quel problème particulier, le sens de l'évolution épistémologique est net et constant : l'évolution d'une connaissance particulière va dans le sens d'une cohérence rationnelle. Dès qu'on connaît deux propriétés d'un objet, on n'a de cesse de les relier. Une connaissance plus poussée s'accompagne d'un foisonnement de raisons coordonnées. Si près qu'on reste du réalisme, la moindre mise en ordre introduit des facteurs rationnels ; quand on va plus avant dans la pensée scientifique, on voit s'accroître le rôle des théories. À la pointe de la science, pour découvrir les caractères inconnus du réel, seules les théories sont prospectives." [352] "Les doctrines relativistes tendent à présenter la réalité elle-même comme le résultat d'une espèce d'induction ; elles correspondraient donc à une réalité qu'on trouve au sommet et non à la base d'un mouvement de pensée. (…) La réalité devrait apparaître comme une conquête de l'Esprit, la conquête décisive et dernière de la pensée discursive." [353] "La direction de notre effort vers le réel est d'une netteté inflexible. C'est une conquête, non une trouvaille. Notre pensée va au réel, elle n'en part pas. À aucun moment nous n'avons trouvé une réalité qu'on connaîtrait par abstraction progressive ; toujours nous avons eu affaire à une réalité qu'on formait en amassant des relations." [354] "La théorie tient bon, elle n'hésite pas, au prix de quelques modifications de base, à chercher les réalisations d'un concept entièrement nouveau, sans racine dans la réalité commune. Ainsi la réalisation prime la réalité. Cette primauté de la réalisation déclasse la réalité. Un physicien ne connaît vraiment une réalité que lorsqu'il l'a réalisée, quand il est maître ainsi de l'éternel recommencement des choses et qu'il constitue en lui un retour éternel de la raison. L'idéal de la réalisation est d'ailleurs exigeant : la théorie qui réalise partiellement doit réaliser totalement. Elle ne peut avoir raison d'une manière fragmentaire. La théorie est la vérité mathématique qui n'a pas encore trouvé sa réalisation complète. Le savant doit chercher cette réalisation complète. Il faut forcer la nature à aller aussi loin que notre esprit." [355] "Les garanties de réalité sont finalement d'ordre mathématique et le philosophe pourrait dire : Donnez-moi des conditions mathématiques invariantes, et je vous ferai une réalité." [356] "Toute connaissance précise conduit à anéantir des apparences, à hiérarchiser les phénomènes, à leur attribuer en quelque sorte des coefficients de réalité ou, si l'on aime mieux encore, des coefficients d'irréalité. On analyse le réel à coup de négations." [357] "C'est par le possible qu'on découvre le réel." [358]
Rectifier : "L'histoire humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions immédiates, être un éternel recommencement mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. Or l'esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d'une longue erreur, on pense l'expérience comme rectification de l'illusion commune et première. Toute la vie intellectuelle de la science joue dialectiquement sur cette différentielle de la connaissance, a la frontière de l'inconnu. L'essence même de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris."[359]
Réciprocité : "Et c'est ici qu'intervient la catégorie bubérienne la plus précieuse : la réciprocité. Cette réciprocité, on ne la trouve jamais clairement sur l'axe du je-cela. Elle n'apparaît vraiment que sur l'axe où oscille, où vibre, le je-tu. Alors, oui, l'être rencontré se soucie de moi comme je me soucie de lui ; il espère en moi comme j'espère en lui. Je le crée en tant que personne dans le temps même où il me crée en tant que personne." [360]
Réflexion : "L'essence même de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris." [361] "Jadis, la réflexion résistait au premier réflexe. La pensée scientifique moderne réclame qu'on résiste à la première réflexion." [362]
Refoulement : "Nous sommes arrivés à cette conclusion que le refoulement était une activité normale, une activité utile, mieux une activité joyeuse. Pas de pensée scientifique sans refoulement. Le refoulement est à l'origine de la pensée attentive, réfléchie, abstraite. Toute pensée cohérente est construite sur un système d'inhibitions solides et claires. Il y a une joie de la raideur au fond de la joie de la culture. C'est en tant qu'il est joyeux que le refoulement bien fait est dynamique et utile. Pour justifier le refoulement, nous proposons donc l'inversion de l'utile et de l'agréable, en insistant sur la suprématie de l'agréable sur le nécessaire. À notre avis, la cure vraiment anagogique ne revient pas à libérer les tendances refoulées, mais à substituer au refoulement inconscient un refoulement conscient, une volonté constante de redressement. Cette transformation est très visible dans la rectification d'une erreur objective ou rationnelle."[363]
Relativité : "Ce n'est pas à propos de la figure du Monde, comme astronomie générale, que la Relativité a pris son essor. Elle est née d'une réflexion sur les concepts initiaux, d'une mise en doute des idées évidentes, d'un dédoublement fonctionnel des idées simples… La Relativité attaquera cependant la primitivité de l'idée de simultanéité, comme la Géométrie de Lobatchewsky a attaqué la primitivité de l'idée de parallélisme. (…) Le Relativiste nous contraint à incorporer notre expérience dans notre conceptualisation. Il nous rappelle que notre conceptualisation est une expérience. Le monde est alors moins notre représentation que notre vérification. (…) La Relativité, sur ce point particulier, va être à la fois moins réaliste et plus riche que la science antécédente. Elle va dédoubler une notion simple, donner une structure mathématique à une notion concrète. En effet, la Relativité apporte la preuve que la masse d'un mobile est fonction de sa vitesse. Mais cette fonction n'est pas la même dans le cas de la masse maupertuisienne et dans le cas de la masse newtonienne. (…) La théorie de la relativité nous a appris que le temps est inséparable de l'espace ; parler de l'état de l'Univers à un instant donné n'a donc pas un sens absolu ; il faut en réalité parler de l'état de l'Univers dans une section à trois dimensions de l'espace-temps." [364]
Rencontre : "La philosophie de la rencontre" est une "synthèse de l'événement et de l'éternité." [365] "Mais qu'un tu murmure à notre oreille, et c'est la saccade qui lance les personnes : le moi s'éveille par la grâce du toi. L'efficacité spirituelle de deux consciences simultanées, réunies dans la conscience de leur rencontre, échappe soudain à la causalité visqueuse et continue des choses. La rencontre nous crée : nous n'étions rien – ou rien que des choses – avant d'être réunis." [366] "Et c'est ici qu'intervient la catégorie bubérienne la plus précieuse : la réciprocité. Cette réciprocité, on ne la trouve jamais clairement sur l'axe du je-cela. Elle n'apparaît vraiment que sur l'axe où oscille, où vibre, le je-tu. Alors, oui, l'être rencontré se soucie de moi comme je me soucie de lui ; il espère en moi comme j'espère en lui. Je le crée en tant que personne dans le temps même où il me crée en tant que personne." [367]
Réponse : "Il vient un temps où l'esprit aime mieux les réponses que les questions. Alors l'instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s'arrête." [368]
Rêve : "Mais on peut trouver chez les grands rêveurs de la verticalité des images plus exceptionnelles encore où l'être apparaît comme déployé à la fois dans le destin de la hauteur et dans celui de la profondeur. On aura un exemple de cette étonnante image dans l'œuvre d'un génie du rêve, chez Novalis : «Si l'univers est en quelque sorte un précipité de la nature humaine, le monde des dieux en est la sublimation.» [369] "Si l'on admet qu'à une erreur biologique sans doute manifeste mais bien générale peut correspondre une vérité onirique profonde, on est prêt à interpréter les songes matériellement. À côté de la psychanalyse des rêves devra donc figurer une psychophysique et une psychochimie des rêves. Cette psychanalyse très matérialiste rejoindra les vieux préceptes qui voulaient que les maladies élémentaires fussent guéries par les médecines élémentaires. L'élément matériel est déterminant pour la maladie comme pour la guérison. Nous souffrons par les rêves et nous guérissons par les rêves. Dans la cosmologie du rêve, les éléments matériels restent les éléments fondamentaux."[370] "On ne rêve pas profondément avec des objets. Pour rêver profondément, il faut rêver avec des matières." [371] "Quelle mollesse hermaphrodite ! Dans la vie seule, avec la politesse qui cache les exigences premières, on peut demander «un verre de vin ou un verre de lait». Mais dans le rêve, dans les véritables mythes, on demande toujours ce que l'on veut. On sait toujours ce qu'on veut boire. On boit toujours la même chose. Ce que l'on boit en rêve est une marque infaillible pour désigner le rêveur."[372] "Le rêveur se déshabille et descend dans le bassin. Alors seulement les images viennent, elles sortent de la matière, elles naissent, comme d'un germe, d'une réalité sensuelle primitive, d'une ivresse qui ne sait pas encore se projeter : «De toutes parts surgissaient des images inconnues qui se fondaient, également, l'une dans l'autre, pour devenir des êtres visibles et entourer (le rêveur), de sorte que chaque onde du délicieux élément se collait à lui étroitement ainsi qu'une douce poitrine. Il semblait que dans ce flot se fût dissous un groupe de charmantes filles qui, pour un instant, redevenaient des corps au contact du jeune homme.»[373] (…) Les êtres du rêve, chez Novalis, n'existent donc que lorsqu'on les touche, l'eau devient femme seulement contre la poitrine, elle ne donne pas des images lointaines. Ce caractère physique très curieux de certains rêves novalisiens nous semble mériter un nom. Au lieu de dire que Novalis est un Voyant qui voit l'invisible, nous dirions volontiers que c'est un Touchant qui touche l'intouchable, l'impalpable, l'irréel. Il va plus au fond que tous les rêveurs. Son rêve est un rêve de rêve, non pas dans le sens éthéré, mais dans le sens de la profondeur. (…) C'est une imagination qui se développe en profondeur. Les fantômes sortent de la substance comme des formes vaporeuses, mais pleines, comme des êtres éphémères, mais qu'on a pu toucher, auxquels on a communiqué un peu de la chaleur profonde de la vie intime. Tous les rêves de Novalis portent le signe de cette profondeur. Le rêve où Novalis trouve cette eau merveilleuse, cette eau qui met de la jeune fille partout, cette eau qui donne de la jeune fille au partitif n'est pas un rêve à grand horizon, à large vision. C'est au fond d'une grotte, dans le sein de la terre, que se trouve le lac merveilleux, le lac qui garde jalousement sa chaleur, sa douce chaleur. Les images visuelles qui naîtront d'une eau si profondément valorisée n'auront d'ailleurs aucune consistance ; elles se fondront l'une dans l'autre, gardant en cela la marque hydrique et calorifique de leur origine. Seule, la matière demeurera." [374] "On ne peut comprendre la dynamique du rêve si on la détache de la dynamique des éléments matériels que le rêve travaille. On prend la mobilité des formes du rêve dans une mauvaise perspective quand on oublie son dynamisme interne. Au fond, les formes sont mobiles parce que l'inconscient s'en désintéresse. Ce qui attache l'inconscient, ce qui lui impose une loi dynamique, dans le règne des images, c'est la vie dans la profondeur d'un élément matériel. Le rêve de Novalis est un rêve formé dans la méditation d'une eau qui enveloppe et pénètre le rêveur d'une eau qui apporte un bien-être chaud et massif, un bien-être à la fois en volume et en densité. C'est un enchantement non pas par les images, mais par les substances. C'est pourquoi on peut user du rêve novalisien comme d'un merveilleux narcotique. Il est presque une substance psychique qui donne le calme à tout psychisme agité. (…) Le rêve de Novalis appartient en effet à la nombreuse catégorie des rêves bercés. Quand il entre dans l'eau merveilleuse, la première impression du rêveur est celle de «reposer parmi les nuages, dans la pourpre du soir». Un peu plus tard, il croira être «étendu sur une molle pelouse». Quelle est donc la vraie matière qui porte le rêveur ? Ce n'est ni le nuage ni la molle pelouse, c'est l'eau. Nuage et pelouse sont des expressions ; l'eau est l'impression. Dans le rêve de Novalis, elle est au centre de l'expérience ; elle continue à bercer le rêveur quand il repose sur la berge. C'est là un exemple de l'action permanente d'un élément matériel onirique. Des quatre éléments, il n'y a que l'eau qui puisse bercer. C'est elle l'élément berçant. C'est un trait de plus de son caractère féminin : elle berce comme une mère. L'inconscient ne formule pas son principe d'Archimède, mais il le vit." [375] "Et Novalis ajoute cette profonde pensée : «Les deux se font uno actu.» La sublimation et la cristallisation se font en un seul acte. Pas de sublimation sans un dépôt, mais pas non plus de cristallisation sans une vapeur légère qui quitte la matière, sans un esprit qui court au-dessus de la terre." [376] «En suivant Novalis dans son monde souterrain, on comprendra que le même rêve fait la pierre et la montagne.» [377] "Et si alors on rêve de telles images mutuelles en se laissant aller à la séduction des origines, descendant en quelque manière vers le gîte des pierres précieuses et en montant en quelque sorte jusqu'à la sphère des astres, on donne tout son prix à la parole de Novalis qui voyait dans les mineurs «à peu près des astrologues renversés»." [378] "Les gemmes sont les étoiles de la terre au firmament ; il y a un ciel dans la terre." [379] "Il faut beaucoup rêver – rêver en prenant conscience que la vie est un rêve, que ce qu'on rêve au-delà de ce qu'on a vécu est vrai, est vivant, est là, présent en toute vérité devant nos yeux." [380]
Rêverie : "Tout travail patient et rythmique, qui réclame une longue suite d'opérations monotones, entraîne l'homo faber à la rêverie. Alors il incorpore sa rêverie et ses chants à la matière élaborée ; il coefficiente la substance longuement travaillée. L'effort partiel, le geste élémentaire ne dessinent plus les limites géométriques de l'objet ; c'est le groupement des gestes dans le temps, c'est la cadence qui est une connaissance claire et joyeuse (…) Toute cette énorme surcharge du rêve, toute cette valorisation des substances par le temps passé à les préparer, il faudra en débarrasser la pensée scientifique. Il faudra dévaloriser le produit d'un travail patient si l'on veut psychanalyser la connaissance objective." [381]
"La rêverie reprend sans cesse les thèmes primitifs, travaille sans cesse comme une âme primitive, en dépit des succès de la pensée élaborée. (…) Le rêve chemine linéairement, oubliant son chemin en courant. La rêverie travaille en étoile. Elle revient à son centre pour lancer de nouveaux rayons. (…) Ce qui est purement factice pour la connaissance objective reste donc profondément réel et actif pour les rêveries inconscientes. Le rêve est plus fort que l'expérience. (…) Pour l'homme primitif, la pensée est une rêverie centralisée ; pour l'homme instruit, la rêverie est une pensée détendue. Le sens dynamique est inverse d'un cas à l'autre. (…) Or la rêverie qui tend à la miniature tend à la profondeur et à la stabilité ; c'est la rêverie qui finalement prépare le mieux la pensée rationnelle. (…) En développant, dans toute sa généralité, cette Physique, ou cette Chimie de la rêverie, on arriverait facilement à une doctrine tétravalente des tempéraments poétiques. En effet, la tétravalence de la rêverie est aussi nette, aussi productive, que la tétravalence chimique du carbone." [382]
"On ne peut étudier que ce qu'on a d'abord rêvé. La science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience et il faut bien des expériences pour effacer les brumes du songe."[383]
"On s'aperçoit que la rêverie matérialisante – cette rêverie qui rêve la matière – est un au-delà des formes. Plus brièvement, on comprend que la matière est l'inconscient de la forme."[384]
"Le rêve nocturne peut bien être une lutte violente ou rusée contre les censures. La rêverie nous fait connaître le langage sans censure. Dans la rêverie solitaire nous pouvons nous dire tout à nous-mêmes."[385]
"Le moindre objet est pour le philosophe qui rêve une perspective où s'ordonne toute sa personnalité, ses plus secrètes et ses plus solitaires pensées. (…) Le moindre objet fidèlement contemplé nous isole et nous multiplie. Devant beaucoup d'objets, l'être rêvant sent sa solitude. Devant un seul, le sujet rêvant sent sa multiplicité." [386]
Rêverie cosmique : "Alors, au rêveur cosmique, au rêveur qui achève et augmente toute image, sont révélées les valeurs cosmiques de la chevelure. Les plus folles métaphores sont vraies. La chevelure est une forêt, c'est une forêt enchantée. Les doigts s'y perdent en une caresse sans fin. Elle est touffe, elle est liane. Elle est parure, chef d'œuvre féminin. Voilà le végétalisme animal, le végétalisme humain, le végétalisme si profond de la femme…" [387]
Rêverie rationnelle : "Ailleurs le dodécaèdre (dans la gravure d'Albert Flocon intitulée, Châteaux en Espagne) est cueilli comme le fruit géométrique d'un rêve rationnel. La pomme d'une molle rodeur se géométrise dans la main vigoureuse et gourmande. Les objets sont ici placés philosophiquement entre nature et mesure, entre rêverie et création. Comment ne pas songer à la Mélancolie Mathématicienne d'Albert Dürer ! Un rêve de dimensions complices, de dimensions mystiques entraîne le vieux et le jeune graveur quand ils donnent aux objets leur atmosphère cosmique. Le polyèdre d'Albert Dürer et le dodécaèdre d'Albert Flocon sont des principes de rêves organisateurs." [388]
Savant : "La psychologie du savant doit tendre à une psychologie clairement normative ; le savant doit se refuser à personnaliser sa connaissance ; corrélativement, il doit s'efforcer de socialiser ses convictions." [389]
Savoir : "C'est verser dans un vain optimisme que de penser que savoir sert automatiquement à savoir, que la culture devient d'autant plus facile qu'elle est plus étendue, que l'intelligence enfin, sanctionnée par des succès précoces, par de simples concours universitaires, se capitalise comme une richesse matérielle. En admettant même qu'une tête bien faite échappe au narcissisme intellectuel si fréquent dans la culture littéraire, dans l'adhésion passionnée aux jugements du goût, on peut sûrement dire qu'une tête bien faite est malheureusement une tête fermée. C'est un produit d'école. (...) L'homme animé par l'esprit scientifique désire sans doute savoir, mais c'est aussitôt pour mieux interroger."[390]
Science : "À la naissance des doctrines scientifiques, le général retarde la découverte en donnant des confirmations faciles des hypothèses immédiates (…) Une science du général sera d'abord une science superficielle." [391] "Or la véritable pensée scientifique est métaphysiquement inductive (…) Elle lit le complexe dans le simple, elle dit la loi à propos du fait, la règle à propos de l'exemple." [392] "La science crée en effet de la philosophie." [393] "L'unité de la science, si souvent alléguée, ne correspondait jamais à un état stable et il était par conséquent bien dangereux de postuler une épistémologie unitaire. Non seulement l'histoire scientifique fait apparaître un rythme alternatif d'atomisme et d'énergétique, de réalisme et de positivisme, de discontinu et de continu, de rationalisme et d'empirisme, non seulement la psychologie du savant oscille, dans son effort quotidien, entre l'identité des lois et la diversité des choses, mais encore c'est sur chaque thème que la pensée scientifique se divise en droit et en fait." [394] "Comme le dit M. Lalande, la science ne vise pas seulement à « l'assimilation des choses entre elles, mais aussi et avant tout à l'assimilation des esprits entre eux ». Sans cette dernière assimilation, il n'y aurait pour ainsi dire pas de problème. Devant le réel le plus complexe, si nous étions livrés à nous-mêmes, c'est du côté du pittoresque, du pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance: le monde serait notre représentation. Par contre, si nous étions livrés tout entiers à la société, c'est du côté du général, de l'utile, du convenu, que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre convention. En fait, la vérité scientifique est une prédiction, mieux, une prédication. Nous appelons les esprits à la convergence en annonçant la nouvelle scientifique, en transmettant du même coup une pensée et une expérience, liant la pensée à l'expérience dans une vérification : le monde scientifique est donc notre vérification. Au-dessus du sujet, au-delà de l'objet immédiat, la science moderne se fonde sur le projet. Dans la pensée scientifique, la méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet."[395] "En résumé, si l'on prend une vue générale des rapports épistémologiques de la science physique contemporaine et de la science newtonienne, on voit qu'il n'y a pas développement des anciennes doctrines vers les nouvelles, mais bien plutôt enveloppement des anciennes pensées par les nouvelles. Les générations spirituelles procèdent par emboîtements successifs. De la pensée non-newtonienne à la pensée newtonienne, il y a seulement contraction. C'est cette contraction qui nous permet de trouver le phénomène restreint à l'intérieur du noumène qui l'enveloppe, le cas particulier dans le cas général, sans que jamais le particulier puisse évoquer le général. Désormais l'étude du phénomène relève d'une activité purement nouménale ; c'est la mathématique qui ouvre les voies nouvelles à l'expérience." [396] "La science est l'esthétique de l'intelligence." [397] "Dans l'état de pureté réalisée par une Psychanalyse de la connaissance objective, la science est l'esthétique de l'intelligence." [398] "On répète souvent aussi que la science est avide d'unité, qu'elle tend à identifier des phénomènes d'aspects divers, qu'elle cherche la simplicité ou l'économie dans les principes et dans les méthodes. Cette unité, elle la trouverait bien vite, si elle pouvait s'y complaire. Tout à l'opposé, le progrès scientifique marque ses plus nettes étapes en abandonnant les facteurs philosophiques d'unification facile, tels que l'unité d'action du Créateur, l'unité de plan de la Nature, l'unité logique. En effet, ces facteurs d'unité, encore agissants dans la pensée préscientifique du XVIIIe siècle, ne sont plus jamais invoqués. On trouverait bien prétentieux le savant contemporain qui voudrait réunir la cosmologie et la théologie." [399] "Le mélange de pensée érudite et de pensée expérimentale est en effet un des plus grands obstacles à l'esprit scientifique. On ne peut pas compléter une expérience qu'on n'a pas soi-même recommencée dans son intégrité. On ne possède pas un bien spirituel qu'on n'a pas acquis entièrement par un effort personnel. Le signe premier de la certitude scientifique, c'est qu'elle peut être revécue aussi bien dans son analyse que dans sa synthèse." [400] "La science moderne travaille sur des matériaux expérimentaux et avec des cadres logiques socialisés de longue date, par conséquent déjà contrôlés." [401] "En fait, l'histoire de la connaissance scientifique est une alternative sans cesse renouvelée d'empirisme et de rationalisme. Cette alternative est plus qu'un fait. C'est une nécessité de dynamisme psychologique. C'est pourquoi toute philosophie qui bloque la culture dans le Réalisme ou le Nominalisme constitue les obstacles les plus redoutables pour l'évolution de la pensée scientifique." [402] "On ne peut étudier que ce qu'on a d'abord rêvé. La science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience et il faut bien des expériences pour effacer les brumes du songe."[403] "Penser scientifiquement, c'est se placer dans le champ épistémologique intermédiaire entre théorie et pratique, entre mathématiques et expérience. Connaître scientifiquement une loi naturelle, c'est la connaître à la fois comme phénomène et comme noumène. (…) Pour le savant, la connaissance sort de l'ignorance comme la lumière sort des ténèbres. Le savant ne voit pas que l'ignorance est un tissu d'erreurs positives, tenaces, solidaires. Il ne se rend pas compte que les ténèbres spirituelles ont une structure et que, dans ces conditions, toute expérience objective correcte doit toujours déterminer la correction d'une erreur subjective. Mais on ne détruit pas les erreurs une à une facilement. Elles sont coordonnées. L'esprit scientifique ne peut se constituer qu'en détruisant l'esprit non scientifique. Trop souvent le savant se confie à une pédagogie fractionnée alors que l'esprit scientifique devrait viser à une réforme subjective totale. Tout réel progrès dans la pensée scientifique nécessite une conversion. Les progrès de la pensée scientifique contemporaine ont déterminé des transformations dans les principes mêmes de la connaissance." [404]
Sentiment : "Ce n'est pas la connaissance du réel qui nous fait aimer passionnément le réel. C'est le sentiment qui est la valeur fondamentale et première. La nature, on commence par l'aimer sans la connaître, sans la bien voir, en réalisant dans les choses un amour qui se fonde ailleurs. Ensuite, on la cherche en détail parce qu'on l'aime en gros, sans savoir pourquoi." [405]
Sexualité : "En premier lieu, il faut reconnaître que le frottement est une expérience fortement sexualisée. (…) Pour enflammer le pilon en le glissant dans la rainure du bois sec, il faut temps et patience. Mais ce travail devait être bien doux pour un être dont toute la rêverie était sexuelle. (…) Toute l'Alchimie était traversée par une immense rêverie sexuelle, par une rêverie de richesse et de rajeunissement, par une rêverie de puissance." [406] "Quelle est donc la fonction sexuelle de la rivière ? C'est d'évoquer la nudité féminine. Voici une eau bien claire, dit le promeneur. Avec quelle fidélité elle refléterait la plus belle des images ! Par conséquent, la femme qui s'y baignerait sera blanche et jeune ; par conséquent elle sera nue. L'eau évoque d'ailleurs la nudité naturelle, la nudité qui peut garder une innocence. Dans le règne de l'imagination, les êtres vraiment nus, aux lignes sans toison, sortent toujours d'un océan. L'être qui sort de l'eau est un reflet qui peu à peu se matérialise : il est une image avant d'être un être, il est un désir avant d'être une image. (…) Il ne sera d'ailleurs pas difficile au moindre apprenti en psychanalyse de saisir, dans cette dernière image du cygne, des traits masculins. Comme toutes les images en action dans l'inconscient, l'image du cygne est hermaphrodite. Le cygne est féminin dans la contemplation des eaux lumineuses ; il est masculin dans l'action. Pour l'inconscient, l'action est un acte. Pour l'inconscient, il n'y a qu'un acte… Une image qui suggère un acte doit évoluer, dans l'inconscient, du féminin au masculin." [407]
Simple : "Simplifier, c'est sacrifier. C'est le mouvement inverse de l'explication qui, elle, ne craint pas la prolixité." [408] "La simplicité n'est que la facilité d'un langage bien réglé, elle n'a aucune racine dans le réel."[409] "Alors la simplicité ne sera plus, comme le pose l'épistémologie cartésienne, la qualité intrinsèque d'une notion, mais seulement une propriété extrinsèque et relative, contemporaine de l"application, saisie dans une relation particulière." [410] "Les idées simples ont besoin d'être compliquées pour expliquer les microphénomènes." [411] "L'individualité est un apanage de la complexité, et un corpuscule isolé est trop simple pour être doué d'individualité. (…) En réalité, il n'y a pas de phénomènes simples ; le phénomène est un tissu de relations. Il n'y a pas de nature simple, de substance simple la substance est une contexture d'attributs. Il n'y a pas d'idée simple, parce qu'une idée simple, comme l'a bien vu M. Dupréel, doit être insérée, pour être comprise, dans un système complexe de pensées et d'expériences. L'application est une complication. Les idées simples sont des hypothèses de travail, des concepts de travail, qui devront être révisés pour recevoir leur juste rôle épistémologique. Les idées simples ne sont point la base définitive de la connaissance."[412] "D'une manière générale, le simple est toujours le simplifié ; il ne saurait être pensé correctement qu'en tant qu'il apparaît comme le produit d'un processus de simplification. (…) Alors que la science d'inspiration cartésienne faisait très logiquement du complexe avec du simple, la pensée contemporaine essaie de lire le complexe réel sous l'apparence simple fournie par des phénomènes compensés ; elle s'efforce de trouver le pluralisme sous l'identité…"[413] "Il n'y a que la paresse qui soit durable, l'acte est instantané. Comment ne pas dire alors que réciproquement l'instantané est acte ? Prenez une idée pauvre, resserrez-la sur un instant, elle illumine l'esprit. Au contraire, le repos de l'être c'est déjà le néant. Comment dès lors ne pas voir que la nature de l'acte, par une singulière rencontre verbale, c'est d'être actuel ? Et comment ne pas voir ensuite que la vie c'est le discontinu des actes ? (…) Mais le philosophe qui veut décrire atome par atome, cellule par cellule, pensée par pensée, l'histoire des choses, des êtres vivants et de l'esprit, doit en arriver à détacher les faits les uns des autres, parce que les faits sont des faits, parce que des faits sont des actes, parce que des actes, s'ils ne s'achèvent pas, s'ils s'achèvent mal, du moins doivent de toute nécessiter commencer dans l'absolu de la naissance." [414] "Tout ce qui est simple, tout ce qui est fort en nous, tout ce qui est durable même, est le don d'un instant." [415] "Plus simple est leur objet, plus grandes sont les rêveries." [416]
Solitude : "L'être livré à la raison trouve ses forces dans la solitude. Il a en lui-même les moyens de ses reprises. Il a pour lui l'éternité du vrai sans avoir la charge et la garde de l'expérience passée. (…) C'est vraiment par la raison que tout peut recommencer. L'échec n'est qu'une preuve négative, l'échec est toujours expérimental. Dans le domaine de la raison, il suffit de rapprocher deux thèmes obscurs pour que survienne la clarté de l'évidence. Alors avec l'ancien mal compris on fait une nouveauté féconde. S'il y a un retour éternel qui soutienne le monde, c'est le retour éternel de la raison." [417] "La méditation solitaire nous rend à la primitivité du monde. Autant dire que la solitude nous met en état de méditation première. (…) Par la solitude, la méditation a toute l'efficacité de l'étonnement. La méditation première est en même temps réceptivité totale et productivité cosmologisante. (…) Tu croyais rêver et tu te souviens. Tu es seul. Tu as été seul. Tu seras seul. La solitude est ta durée. Ta solitude est ta mort même qui dure dans ta vie, sous ta vie. (…) J'ai perdu la patrie du bonheur. Je ne suis plus qu'une solitude à guérir. (…) La solitude heureuse est une solitude malheureuse. Le cœur le plus tranquille devant la nuit la plus indifférente vient de creuser son abîme. (…) Cette fragilité, cette transmutation des valeurs de la solitude, n'est-ce pas la preuve que la solitude est le révélateur fondamental de la valeur métaphysique de toute sensibilité humaine ? (…) Si philosopher, c'est comme nous le croyons, se maintenir non seulement en état de méditation permanente, mais encore en état de première méditation, il faut, dans toutes les circonstances psychologiques, réintroduire la solitude initiale. Glisser en tous nos sentiments la joie ou la crainte de la solitude, c'est mettre ce sentiment dans l'oscillation d'une rythmanalyse. (…) La solitude est nécessaire pour nous détacher des rythmes occasionnels. En nous mettant en face de nous-mêmes, la solitude nous conduit à parler avec nous-mêmes, à vivre ainsi une méditation ondulante qui répercute partout ses propres contradictions et qui tente sans fin une synthèse dialectique intime. C'est lorsque le philosophe est seul qu'il se contredit le mieux." [418]
Souffrance : "Une souffrance est toujours reliée à une rédemption, une joie à un effort intellectuel." [419]
Souvenir : "Il faut la mémoire de beaucoup d'instants pour faire un souvenir complet."[420]
Subjectivisme objectif : "L'esprit dynamisé prend conscience de soi dans sa rectification. Devant le réel rendu à l'objectivité, l'esprit en vient à penser l'objectivité, c'est-à-dire à se détacher soi-même de sa propre pensée. Devant la réalité organisée, l'esprit prend une structure. Il prend l'habitude de l'idéalisation. Par un retour sur soi, il arrive enfin à développer des thèmes idéalisants à l'égard de sa propre diversité. En parcourant l'échelle des valeurs objectives, il trouve une hiérarchie dans ses propres attitudes. Peu à peu la culture de l'objectivité détermine un subjectivisme objectif. Le sujet en méditant l'objet, élimine non seulement les traits irréguliers dans l'objet, mais des attitudes irrégulières dans son propre comportement intellectuel. Le sujet élimine ses singularités, il tend à devenir un objet pour lui-même. Finalement la vie objective occupe l'âme entière. Le passé lui-même reçoit des perspectives régulières, des thèmes régularisants, où les singularités ne sont plus que des accidents." [421]
Sublimation : "Bref, le premier principe de l'éducation scientifique me paraît, dans le règne intellectuel, cet ascétisme qu'est la pensée abstraite. Seul, il peut nous conduire à dominer la connaissance expérimentale. Aussi, j'ai peu d'hésitation à présenter la rigueur comme une psychanalyse de l'intuition, et la pensée algébrique comme une psychanalyse de la pensée géométrique. Jusque dans le règne des sciences exactes, notre imagination est une sublimation. Elle est utile, mais elle peut tromper tant que l'on ne sait pas ce que l'on sublime et comment l'on sublime. Elle n'est valable qu'autant qu'on en a psychanalysé le principe." [422]"Max Scheler a montré ce qu'il y a d'excessif dans la théorie de la sublimation telle que la développe la Psychanalyse classique. Cette théorie suit la même inspiration que la doctrine utilitaire qui est à la base des explications évolutionnistes. (…) On peut trouver, précisément dans les âmes qui luttent contre les passions, une sublimation d'un autre type que nous appellerons la sublimation dialectique pour la distinguer de la sublimation continue que la Psychanalyse classique envisage uniquement." [423] "La sublimation n'est pas toujours la négation d'un désir ; elle ne se présente pas toujours comme une sublimation contre des instincts. Elle peut être une sublimation pour un idéal. Alors Narcisse ne dit plus : «Je m'aime tel que je suis», il dit : «Je suis tel que je m'aime.» Je suis avec effervescence parce que je m'aime avec ferveur. Je veux paraître, donc je dois augmenter ma parure." [424] "Mais on peut trouver chez les grands rêveurs de la verticalité des images plus exceptionnelles encore où l'être apparaît comme déployé à la fois dans le destin de la hauteur et dans celui de la profondeur. On aura un exemple de cette étonnante image dans l'œuvre d'un génie du rêve, chez Novalis : «Si l'univers est en quelque sorte un précipité de la nature humaine, le monde des dieux en est la sublimation. » [425] Et Novalis ajoute cette profonde pensée : «Les deux se font uno actu.» La sublimation et la cristallisation se font en un seul acte. Pas de sublimation sans un dépôt, mais pas non plus de cristallisation sans une vapeur légère qui quitte la matière, sans un esprit qui court au-dessus de la terre." [426]
Substance : "Il n'y a alors de propriétés substantielles qu'au-dessus - non pas au-dessous - des objets microscopiques. La substance de l'infiniment petit est contemporaine de la relation." [427] "Pour l'esprit préscientifique, la substance a un intérieur ; mieux, la substance est un intérieur."[428]
Synthèse : "Il nous semble plutôt que l'inspiration cartésienne reste analytique dans cette construction même, car, pour Descartes, la construction ne reste claire que si elle s'accompagne d'une sorte de conscience de la destruction. En effet, on nous conseille de toujours relire le simple sous le multiple, de toujours dénombrer les éléments de la composition. Jamais une idée composée ne sera saisie dans sa valeur de synthèse. On n'aura jamais égard au réalisme de la composition, à la force de l'émergence." [429]
Temps : "Le temps est une réalité resserrée sur l'instant et suspendue entre deux néants." [430] "Si notre cœur était assez large pour aimer la vie dans son détail, nous verrions que tous les instants sont à la fois des donateurs et des spoliateurs et qu'une nouveauté jeune ou tragique, toujours soudaine, ne cesse d'illustrer la discontinuité du Temps."[431] "Ce que la pensée d'Einstein frappe de relativité c'est le laps de temps, c'est la «longueur» du temps. Cette longueur, elle se révèle relative à sa méthode de mesure." [432] "La prétention de prendre pour claire en soi la simultanéité de deux événements localisés en des points de l'espace différents, la doctrine d'Einstein nous la refuse. (…) Il faut ajuster la mesure de la durée qui sépare des instants différents à cette définition toujours relative de la simultanéité. Pas de concomitance assurée qui ne se double d'une coïncidence." [433] "Mais nous nous entêterons à affirmer que le temps n'est rien s'il ne s'y passe rien, que l'Éternité avant la création n'a pas de sens ; que le néant ne se mesure pas, qu'il ne saurait avoir une grandeur."[434] "Et nous rêvons à une heure divine qui donnerait tout. Non pas l'heure pleine, mais l'heure complète. L'heure où tous les instants du temps seraient utilisés par la matière, l'heure où tous les instants réalisés dans la matière seraient utilisés par la vie, l'heure où tous les instants vivants seraient sentis, aimés, pensés. L'heure par conséquent où la relativité de la conscience serait à l'exacte mesure du temps complet. Finalement le temps objectif, c'est le temps maximum ; c'est celui qui contient tous les instants. Il est fait de l'ensemble dense des actes du Créateur."[435] "Du côté de l'avenir, le rythme est moins solide. Entre les deux néants : hier et demain, il n'y a pas de symétrie. L'avenir n'est qu'un prélude, qu'une phrase musicale qui s'avance et qui s'essaie. Une seule phrase." [436] "Le temps ne dure qu'en inventant." [437] "La conscience du temps est toujours pour nous une conscience de l'utilisation des instants, elle est toujours active, jamais passive, bref la conscience de notre durée est la conscience d'un progrès de notre être intime, que ce progrès soit d'ailleurs affectif, ou inné, ou simplement rêvé."[438] "Nous faisons notre temps comme notre espace par le simple souci que nous prenons de notre avenir et par le désir de notre propre expansion. C'est ainsi que notre être, dans notre cœur et dans notre raison, correspond à l'Univers et qu'il réclame l'Éternité." [439] "Mais est-ce du temps encore, ce pluralisme d'événements contradictoires enfermés dans un seul instant ? Est-ce du temps, toute cette perspective verticale qui surplombe l'instant poétique ? Oui, car les simultanéités accumulées sont des simultanéités ordonnées. Elles donnent une dimension à l'instant puisqu'elles lui donnent un ordre interne. Or le temps est un ordre et n'est rien autre chose. Et tout ordre est un temps. L'ordre des ambivalences dans l'instant est donc un temps. Et c'est ce temps vertical que le poète découvre quand il refuse le temps horizontal, c'est-à-dire le devenir des autres, le devenir de la vie, le devenir du monde. Voici alors les trois ordres d'expériences successives qui doivent délier l'être enchaîné dans le temps horizontal : 1° s'habituer à ne pas référer son temps propre au temps des autres – briser les cadres sociaux de la durée ; 2°s'habituer à ne pas référer son temps propre au temps des choses briser les cadres phénoménaux de la durée ; 3° s'habituer – dur exercice – à ne pas référer son temps propre au temps de la vie – ne plus savoir si le cœur bat, si la joie pousse – briser les cadres vitaux de la durée. Alors seulement on atteint la référence autosynchrone, au centre de soi-même, sans vie périphérique. Soudain toute l'horizontalité plate s'efface. Le temps ne coule plus. Il jaillit."[440] "Le temps a plusieurs dimensions, le temps a une épaisseur. Il n'apparaît continu que sous une certaine épaisseur, grâce à la superposition de plusieurs temps indépendants." [441]
Unité : "Pour l'esprit préscientifique, l'unité est un principe toujours désiré, toujours réalisé à bon marché. Il n'y faut qu'une majuscule. Les diverses activités naturelles deviennent ainsi des manifestations variées d'une seule et même Nature. On ne peut concevoir que l'expérience se contredise ou même qu'elle se compartimente. Ce qui est vrai du grand doit être vrai du petit et vice-versa. À la moindre dualité, on soupçonne une erreur. Ce besoin d'unité pose une foule de faux problèmes. (…) Un esprit moderne a rompu avec ce mythe de l'unité du concevable. En particulier, il pense le problème théologique sur un plan différent du problème cosmologique (…) Le temps serait jeunesse et mort, point d'orgue. Il saurait se suspendre. Il serait celui par qui tout recommence, tout s'étonne." [442]
Utile : "L'utilité donne elle-même une sorte d'induction très spéciale qu'on pourrait appeler l'induction utilitaire. Elle conduit à des généralisations exagérées. On peut partir alors d'un fait avéré, on peut même en trouver une extension heureuse. Mais la poussée utilitaire conduira presque infailliblement trop loin. Tout pragmatisme, par le seul fait qu'il est une pensée mutilée, s'exagère fatalement. L'homme ne sait pas limiter l'utile. L'utile, par sa valorisation, se capitalise sans mesure. (…) Ainsi le vrai doit se doubler de l'utile. Le vrai sans fonction est un vrai mutilé. Et lorsqu'on a décelé l'utilité, on a trouvé la fonction réelle du vrai. Ces vues utilitaires sont cependant des aberrations. On a si souvent montré les dangers des explications finalistes que nous n'avons pas à souligner davantage l'importance de cet obstacle à une culture vraiment objective. (…) Joie suprême d'osciller de l'extroversion à l'introversion, dans un esprit libéré psychanalytiquement des deux esclavages du sujet et de l'objet ! Une découverte objective est immédiatement une rectification subjective. Si l'objet m'instruit, il me modifie. De l'objet, comme principal profit, je réclame une modification spirituelle. Une fois bien réalisée la psychanalyse du pragmatisme, je veux savoir pour pouvoir savoir, jamais pour utiliser. (…) On voit que l'intérêt à la vie est supplanté par l'intérêt à l'esprit. Et pour juger de la valeur, on voit nettement apparaître une utilité à l'esprit, spirituellement toute dynamique, alors que l'utilité à la vie est particulièrement statique. Ce qui sert la vie l'immobilise. Ce qui sert l'esprit le met en mouvement. La doctrine de l'intérêt est donc essentiellement différente dans le domaine de la biologie et dans le domaine de la psychologie de la pensée scientifique. Lier les deux intérêts : l'intérêt à la vie et l'intérêt à l'esprit, par un vague pragmatisme, c'est unir arbitrairement deux contraires. Aussi, c'est distinguer ces deux contraires, à rompre une solidarité de l'esprit avec les intérêts vitaux, que doit s'occuper la psychanalyse de l'esprit scientifique." [443] "On sous-estime le besoin de comprendre quand on le met, comme l'ont fait le pragmatisme et le bergsonisme, sous la dépendance absolue du principe d'utilité. (…) Bien entendu les partisans de la formation utilitariste de l'esprit n'accepteront pas une théorie si facilement idéaliste et ils nous objecteront, pour déterminer l'intérêt que nous portons au feu, les multiples utilités du feu. (…) C'est dans la joie et non pas dans la peine que l'homme a trouvé son esprit. La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin. (…) Une fois de plus, l'explication par l'utile doit céder devant l'explication par l'agréable, l'explication rationnelle doit céder devant l'explication psychanalytique. Quand on met l'accent, comme nous le proposons, sur la valeur agréable, on doit convenir que si le feu est utile après, il est agréable dans sa préparation. Il est peut-être plus doux avant qu'après, comme l'amour." [444] "On veut toujours que l'homme primitif soit nativement ingénieux. On veut toujours que l'homme préhistorique ait résolu intelligemment le problème de sa subsistance. En particulier, on admet sans difficulté que l'utilité est une idée claire et qu'elle eut toujours une valeur d'une évidence sûre et immédiate. Or la connaissance utile est déjà une connaissance rationalisée. Inversement, concevoir une idée primitive comme une idée utile, c'est verser dans une rationalisation d'autant plus captieuse qu'actuellement l'utilité est comprise dans un système d'utilitarisme très complet, très homogène, très matériel, très nettement fermé. L'homme, hélas ! n'est pas si raisonnable ! Il découvre l'utile aussi difficilement que le vrai… (…) Pour affronter la navigation, il faut des intérêts puissants. Or les véritables intérêts puissants sont les intérêts chimériques. Ce sont les intérêts qu'on rêve, ce ne sont pas ceux qu'on calcule. Ce sont les intérêts fabuleux." [445]
Valeur : "À l'usage, les idées se valorisent indûment. Une valeur en soi s'oppose à la circulation des valeurs. C'est un facteur d'inertie pour l'esprit. (…) Toute trace de valorisation est un mauvais signe pour une connaissance qui vise l'objectivité. Une valeur, dans ce domaine, est la marque d'une préférence inconsciente… Dès qu'une valeur intervient, on peut être sûr de trouver des oppositions à cette valeur. La valeur produit automatiquement attraction ou répulsions… Une psychanalyse de la connaissance objective doit résister à toute valorisation. Elle doit non seulement transmuter toutes les valeurs ; elle doit dévaloriser radicalement la culture scientifique." [446] "Les notions de totalité, de système, d'élément, d'évolution, de développement… On n'aurait pas de peine à saisir, à la base de telles notions, des valorisations hétérogènes et indirectes, mais dont le ton affectif est indéniable. (…) Il y a un mélange inextricable des faits et des valeurs. C'est ce mélange qu'une psychanalyse de la connaissance objective doit séparer. Quand l'imagination aura «précipité» les éléments matérialistes irraisonnés, elle aura plus de liberté pour la construction des expériences scientifiques nouvelles."[447] "La vie doit vouloir la pensée. Aucune valeur n'est spécifiquement humaine si elle n'est pas le résultat d'un renoncement et d'une conversion. Une valeur spécifiquement humaine est toujours une valeur naturelle convertie."[448]
Vérification : "La vérification nous paraît, à tous les niveaux, l'instant décisif de la connaissance de la réalité. Ce n'est pas une référence tardive, surnuméraire, qui vient après coup consacrer une certitude ; elle est un élément de la représentation, c'en est même l'élément organique ou, si l'on veut, c'est par la vérification que la «présentation» devient une «représentation». Le monde est «ma vérification», il est fait d'idées vérifiées, par opposition à l'esprit qui est fait d'idées essayées. Ou, pour parler autrement, notre seule définition possible du réel doit se faire dans le langage de la vérification. Sous cette forme, la définition du réel ne sera jamais parfaite, jamais achevée. Elle sera cependant d'autant meilleure que les vérifications seront plus diverses et plus minutieuses… Dans son premier temps, la vérification est purement qualitative. On doit reconnaître plutôt que connaître, retrouver un signe plutôt qu'analyser une signification. Or l'expérience peut sanctionner pleinement une connaissance qui reste sur le terrain qualitatif. La qualité n'est en somme qu'un point de vue tant qu'on n'a pas fait l'effort métaphorique qui la quantifie… Le sens commun peut rester sur ce terrain de la qualité pure. La quantification obéit presque toujours à une préoccupation spéculative…Dès l'instant où l'on engage la vérification sur le plan de la mesure, de la localisation exacte, on se condamne à une vérification approchée. Dès lors, validation et vérification cessent d'être synonymes. Notre connaissance est encore valable pour des buts spécifiés, mais elle ne peut plus être rigoureusement vérifiée." [449]
Vérité : "Comme le dit Nietzsche : tout ce qui est décisif ne naît que malgré. C'est aussi vrai dans le monde de la pensée que dans le monde de l'action. Toute vérité nouvelle naît malgré l'évidence, toute expérience nouvelle naît malgré l'expérience immédiate." [450] "Devant le réel le plus complexe, si nous étions livrés à nous-mêmes, c'est du côté du pittoresque, du pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre représentation. Par contre, si nous étions livrés tout entiers à la société, c'est du côté du général, de l'utile, du convenu, que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre convention. En fait la vérité scientifique est une prédiction, mieux une prédication. Nous appelons les esprits à la convergence en annonçant la nouvelle scientifique, en transmettant du même coup une pensée et une expérience, liant la pensée à l'expérience dans une vérification : le monde scientifique est donc notre vérification. Au-dessus du sujet, au-delà de l'objet immédiat, la science moderne se fonde sur le projet. Dans la pensée scientifique, la méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet." [451] "Psychologiquement, pas de vérité sans erreur rectifiée. Une psychologie de l'attitude objective est une histoire de nos erreurs personnelles." [452] "Quand nous nous tournons vers nous-mêmes, nous nous détournons de la vérité." [453] "La vérité est fille de la discussion, non pas fille de la sympathie." [454] "Dans l'axe du progrès de la connaissance scientifique, l'essence de la vérité est solidaire de sa croissance, solidaire de l'extension de son champ de preuves." [455]"Il n'y a pas de vérité première, il n'y a que des erreurs premières." [456]
Vide : "Le moi ne se confirme pas de soi-même, dans un fonctionnement à vide. Du moins ce fonctionnement à vide n'est point naturel, il n'est pas immédiat, il ne nous est pas accessible dans une intuition première." [457] "Sans doute, la physique moderne reconnaîtra que le vide est traversé de mille radiations de la chaleur rayonnante, mais elle ne fera pas de ces radiations une qualité de l'espace vide. Si une lumière se produit dans le vide d'un baromètre qu'on agite, l'esprit scientifique n'en conclura pas que le vide de Torricelli contenait du feu latent." [458]
Vie : "Nous verrons alors que la vie ne peut être comprise dans une contemplation passive ; la comprendre, c'est plus que la vivre, c'est vraiment la propulser. Elle ne coule pas le long d'une pente, dans l'axe d'un temps objectif qui la recevrait comme un canal. Elle est une forme imposée à la file des instants du temps, mais c'est toujours dans un instant qu'elle trouve sa réalité première. (…) Et comment ne pas voir ensuite que la vie c'est le discontinu des actes ? (…) Si l'on regarde l'histoire de la vie dans son détail, on s'aperçoit que c'est une histoire comme les autres, pleine de redites, pleine d'anachronismes, pleine d'ébauches, d'échecs, de reprises." [459] "En d'autres termes, nous voulons dénoncer cette fausse évidence qui prétend relier la vie et le feu. Au principe de cette assimilation, il y a, croyons-nous, l'impression que l'étincelle, comme le germe, est une petite cause qui produit un grand effet." [460]
Volonté : "Nous devons souligner au passage la place de l'acte d'attention dans l'expérience de l'instant. C'est qu'en effet il n'y a vraiment évidence que dans la volonté, dans la conscience qui se tend jusqu'à décider un acte. (…) En outre, si nous portions notre examen dans cet étroit domaine où l'attention devient décision, nous verrions ce qu'il y a de fulgurant dans une volonté où viennent converger l'évidence des motifs et la joie de l'acte." [461] "Savoir et fabriquer sont des besoins qu'on peut caractériser en eux-mêmes, sans les mettre nécessairement en rapport avec la volonté de puissance. Il y a en l'homme une véritable volonté d'intellectualité." [462] "Le monde est ma provocation. Je comprends le monde parce que je le surprends avec mes forces incisives, avec mes forces dirigées, dans la juste hiérarchie de mes offenses, comme des réalisations de ma joyeuse colère, de ma colère toujours victorieuse, toujours conquérante. En tant que source d'énergie, l'être est une colère a priori. (…) Il y a toujours un peu de naïveté dans la volonté de puissance. Le destin de la volonté de puissance est, en effet, de rêver la puissance au-delà du pouvoir effectif. Sans cette frange de rêve, la volonté de puissance serait impuissante. C'est par ses rêves que la volonté de puissance est la plus offensive. Dès lors, celui qui veut être un surhomme retrouve tout naturellement les mêmes rêves que l'enfant qui voudrait être un homme." [463] "Grâce à son caractère subit, nous allons comprendre que la transmutation de l'être n'est pas une molle et douce émanation, mais qu'elle est l'œuvre de la volonté pure, c'est-à-dire de la volonté instantanée. Ici, l'imagination dynamique s'impose à l'imagination matérielle : jette-toi en haut, libre comme l'air, tu deviendras matière de liberté. (…) Pour employer le double sens dont Paul Claudel aime à jouer, la volonté est un dessein d'un dessin. Passé et avenir sont mal solidarisés dans la durée bergsonienne précisément parce qu'on y a sous-estimé le dessein du présent. Le passé se hiérarchise dans le présent sous la forme d'un dessein, les souvenirs décidément vieillis sont éliminés. Et le dessein projette dans l'avenir une volonté déjà formée, déjà dessinée. L'être durant a donc bien dans l'instant présent où se décide l'accomplissement d'un dessein le bénéfice d'une véritable présence. Le passé n'est plus simplement un arc qui se détend, l'avenir une simple flèche qui vole, parce que le présent a une éminente réalité. Le présent est cette fois la somme d'une poussée et d'une aspiration. Et l'on comprend l'affirmation d'un grand poète : «Dans l'instant, il y a tout : le conseil et l'action» (Hugo von Hofmannsthal). Prodigieuse pensée où se reconnaît en sa plénitude l'être humain voulant. C'est l'être qui consulte à la fois son propre passé et la sagesse de son frère. Il amasse ses pensées personnelles et les conseils d'autrui en engageant un psychisme polymorphe dans une action choisie avec discernement." [464]
[1] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p. 16.
[2] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 5, 6, 8 et 9.
[3] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p. 109.
[4] Bachelard, Études, Vrin, 1970, p. 91.
[5] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 234.
[6] Bachelard, L'Intuition de l'instant, 1935, Gonthier- Médiations, 1973, pp. 21, 23, 24.
[7] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.52.
[8] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.126.
[9] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p.28.
[10] Bachelard, L'Intuition de l'instant, 1935, Gonthier- Médiations, 1973, p.81-82.
[11] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 5, 6, 8 et 9.
[12] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 9.
[13] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.119-120.
[14] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.91.
[15] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 74.
[16] Bachelard, La Poétique de la rêverie, PUF, 1960-1971, pp.89-90, 102-103.
[17] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p.92.
[18] Bachelard, Études, Vrin, 1970, p. 92-93.
[19] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.181.
[20] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.141.
[21] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, pp.47, 48 et 57.
[22] Bachelard, Préface du livre de Martin Buber intitulé Je et tu. Aubier, 1969, p. 11.
[23] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.92-93.
[24] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.95.
[25] Bachelard, Études, Vrin, 1970, p. 96.
[26] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, pp.4 et 48.
[27] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1973, p.7.
[28] Cité par Spenlé dans sa thèse, p.216.
[29] Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Corti, 1948-1971, p.318.
[30] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.15.
[31] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.41-42.
[32] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.72.
[33] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.54-55.
[34] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.60.
[35] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.48.
[36] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, pp.35, 36 et 37.
[37] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, pp.51 et 52.
[38] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.104.
[39] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.170.
[40] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.68.
[41] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.IX.
[42] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Folio/essais n°25, p. 187.
[43] Bachelard, L'Intuition de l'instant, 1935, Gonthier- Médiations, 1973, p.81-82.
[44] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948-1965, p. 28-29.
[45] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 111.
[46] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 112.
[47] Bachelard, La Poétique de la rêverie, 1960, p. 49.
[48] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.133.
[49] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 251.
[50] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, Le complexe de Novalis, p. 72.
[51] Bachelard, La Philosophie du non, Quadrige/PUF n°9, p.79.
[52] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 7.
[53] Bergson, La Pensée et le mouvant, p. 231.
[54] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 15.
[55] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 144.
[56] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 145.
[57] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.295.
[58] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.203.
[59] Bachelard, L'Intuition de l'instant, 1935, Gonthier- Médiations, 1973, p.37.
[60] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.121.
[61] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.136.
[62] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.26.
[63] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.58.
[64] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.224.
[65] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.119-120.
[66] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, pp. 179 et 135.
[67] Bachelard, Le Rationalisme appliqué, Puf, 1949, p.215.
[68] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.56.
[69] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.15.
[70] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 16-17.
[71] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 60-61.
[72] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 72.
[73] Bachelard, La Poétique de la rêverie, 1960, p. 46.
[74] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.13.
[75] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 211.
[76] Bachelard, Études, Noumène et Microphysique, Vrin, 1970.
[77] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p. 12.
[78] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, pp. 14-15.
[79] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p. 127.
[80] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1973, p.5.
[81] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 72.
[82] Bachelard, L'Activité rationaliste de la physique contemporaine, PUF, 1951, p. 223.
[83] Bachelard, L'Intuition de l'instant, 1935, Gonthier- Médiations, 1973, p.49.
[84] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.295.
[85] Bachelard, La Poétique de la rêverie, Puf, 1961, p.5.
[86] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.14.
[87] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948-1965, p. 24.
[88] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 87.
[89] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.41.
[90] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, pp. 38-39.
[91] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.103.
[92] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 134.
[93] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 179.
[94] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp.14, 18-19.
[95] Bachelard, Le Matérialisme rationnel, 1953, Puf, 1972, p.32.
[96] Bachelard, La Poétique de la rêverie, 1960, p.4.
[97] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 45.
[98] Bachelard, Psychanalyse du feu, Idées, p.34.
[99] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, pp.102, 104, 107, 108, 109 et 120.
[100] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p. 182.
[101] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 11-12.
[102] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, 1938, Vrin, 1970, p. 193.
[103] Bachelard, Le Rationalisme appliqué, PUF, 1949, p. 51.
[104] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/ biblio-essais n°4197, pp. 18, 20, 34, 38, 43, 54, 86, 88 et 89.
[105] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 132.
[106] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/ biblio-essais n°4197, pp. 97
[107] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique [Excipit], Vrin, 1970, p.252.
[108] Bachelard, Le Rationalisme appliqué, PUF, 1949, pp.23 et 75.
[109] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique [Excipit], Vrin, 1970, pp.244-245.
[110] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 13-15.
[111] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp.9, 19, 244 et 246.
[112] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, pp. 2-3.
[113] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 17.
[114] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p. 5.
[115] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.54.
[116] Bachelard, Études, Vrin, 1970, p. 89.
[117] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 239.
[118] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 240.
[119] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p. 165.
[120] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 242-243.
[121] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 136.
[122] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 146.
[123] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 173.
[124] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 173.
[125] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p. 93.
[126] Bachelard, Études, Vrin, 1970, p. 92.
[127] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, pp.88 et 95.
[128] Bachelard, Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/biblio-essais n°4197, p.110.
[129] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 16.
[130] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 142.
[131] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.35-36.
[132] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p. 9.
[133] Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1973, p.270.
[134] Bachelard, Le Rationalisme appliqué, Puf, 1949, p. 43.
[135] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.16.
[136] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp.41, 42 et 44.
[137] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 56.
[138] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1965, Idées, Le complexe de Novalis, pp. 70-71.
[139] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1965, Idées, Le complexe de Novalis, p. 71.
[140] Bachelard, La Flamme d'une chandelle, 1961-1970, p. 86.
[141] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1965, Idées, Le complexe de Novalis, p. 72.
[142] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 55.
[143] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.102.
[144] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 5, 8, 20, 25 et 39.
[145] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 211-212.
[146] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier-Médiations, 1973, pp.51, 64, 65, 73, 74, 79, 80.
[147] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.23-24.
[148] Bachelard, La Flamme d'une chandelle, Quadrige/PUF n°52, p.29.
[149] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 6.
[150] Bachelard, Études, Vrin, 1970, p. 14.
[151] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.141.
[152] Bachelard, Études, Vrin, 1970, p. 92-93.
[153] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/biblio-essais n°4197, p.5.
[154] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p.90.
[155] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p.94.
[156] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 2, 4, 49 et 129.
[157] Bachelard, Études, Vrin, 2002, p.57.
[158] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.38.
[159] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.164.
[160] Novalis, Schriften, II, p. 365.
[161] Thèse, p. 147.
[162] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1965, pp. 4, 20, 75, 184.
[163] Bachelard, La Poétique de l'espace, PUF, 1957-1964, pp.1, 16.
[164] Bachelard, La Poétique de la rêverie, 1960, pp. 45-46.
[165] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.136.
[166] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 181.
[167] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.51, 142-143, 149, 153, 155.
[168] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 1-2, 4, 23, 116, 126, 144, 195, 197, 252.
[169] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.7-8.
[170] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1948-1965, p.126.
[171] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1965, pp. 3, 6.
[172] Bachelard, La Terre et les rêveries du repos, Corti, 1948-1971, p.292.
[173] Bachelard, La Poétique de l'espace, PUF, 1957-1964, pp.3 et 16-17.
[174] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Folio/essais n°25, p. 53.
[175] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 135.
[176] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, pp. 114 et 121.
[177] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, pp. 68, 70 et 71.
[178] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 10.
[179] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, cité sur la couverture.
[180] Bachelard, Le Matérialisme rationnel, 1953, Puf, 1972, p.212.
[181] Bachelard, L'Intuition de l'instant, 1935, Gonthier- Médiations, 1973, pp. 13, 17, 30-31, 49, 50, 86 et 90.
[182] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.26.
[183] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.146.
[184] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 213.
[185] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, 1938, Vrin, 1970, p. 101.
[186] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.56.
[187] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 101.
[188] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 237.
[189] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.28.
[190] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.8.
[191] Bachelard, Études, Vrin, 1970, pp. 84, 82, 58.
[192] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.104.
[193] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 142.
[194] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, pp. 10-11.
[195] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 126.
[196] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, chap. V. pp.133-134.
[197] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.134.
[198] Bachelard, La Poétique de l'espace, PUF, 1964, pp.7.
[199] Bachelard, Le Rationalisme appliqué, Puf, 1949, p. 66.
[200] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.19.
[201] Bachelard, L'Engagement rationaliste, PUF, 1972, p.7.
[202] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 183 et 185.
[203] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, pp. 80, 83, 84, 95 et 97.
[204] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.89.
[205] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 181.
[206] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, pp. 59-60, 61-62.
[207] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, pp.4-5, 8 et 24.
[208] Bachelard, Études, Vrin, 2002, p.16 et 18.
[209] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.91.
[210] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.17.
[211] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.38.
[212] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.62.
[213] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.65.
[214] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.66.
[215] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.69.
[216] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.144.
[217] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 3-4.
[218] Bachelard, Le Matérialisme rationnel, 1953, PUF, 1972, pp. 10-11.
[219] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 60.
[220] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.170.
[221] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 88-89.
[222] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 234.
[223] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 235-236.
[224] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.35.
[225] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.47.
[226] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, pp. 50-51.
[227] Bachelard, La Poétique de la rêverie, PUF, 1960-1971, pp.89-90, 102-103.
[228] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 213, 241 et 242.
[229] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 78.
[230] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 81.
[231] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.194.
[232] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 179.
[233] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965, p. 181-182.
[234] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.155.
[235] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.47.
[236] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.246-247.
[237] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, pp.1, 60, 82.
[238] Bachelard, La Philosophie du non, Quadrige/PUF n°9, p.13 et La Dialectique de la durée, Quadrige/PUF, n°104, p.V.
[239] Bachelard, La Poétique de la rêverie, 1960, p. 128.
[240] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.142.
[241] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 136.
[242] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 138.
[243] Bachelard, Études, Vrin, 2002, p.77 et 83.
[244] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p.94-95, 96, 97.
[245] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 234-235.
[246] Bachelard, La Philosophie du non, Quadrige/PUF n°9, p.110 et 127.
[247] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 237.
[248] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p.94.
[249] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 237.
[250] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1965, p. 36.
[251] Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1973, p.272.
[252] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 214.
[253] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 231-232.
[254] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche n°4197, p.14.
[255] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche n°4197, p.100.
[256] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.43.
[257] Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1928, p. 116.
[258] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 9.
[259] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/biblio n°4197, p.66.
[260] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier-Médiations, 1973, p.38.
[261] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.9, 16 et 29.
[262] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.86.
[263] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.49.
[264] Novalis, Les Hymnes à la nuit, trad. Ed. Stock, p. 81.
[265] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 180.
[266] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 241.
[267] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p.9.
[268] Bachelard, Études, Vrin, 2002, pp.61 et 92.
[269] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 239-240.
[270] Bachelard, La Poétique de l'espace, PUF, 1964, pp.83 et 85.
[271] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 236.
[272] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.12.
[273] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 18.
[274] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p. 4.
[275] Bachelard, Le Matérialisme rationnel, PUF, 1953-1972, p. 11.
[276] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, pp.91 et 95.
[277] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 14.
[278] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.74.
[279] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 6.
[280] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 97.
[281] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1965, p. 132-133.
[282] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 144.
[283] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.118-119.
[284] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.9.
[285] Bachelard, Fragments inédits de l'Introduction à la Poétique du Phénix, cités dans le livre sur Bachelard de Jean-Claude Margolin, écrivains de toujours/Seuil, 1974, pp. 97-98.
[286] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 244.
[287] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 80.
[288] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, pp. 54-55.
[289] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p. 5.
[290] Bachelard, La Flamme d'une chandelle, Quadrige/PUF n°52, p.112.
[291] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 30.
[292] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 102.
[293] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 233.
[294] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 3.
[295] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.104.
[296] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.47.
[297] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.49.
[298] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, pp. 140-141.
[299] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.25.
[300] Bachelard, Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/biblio-essais n°4197, p.104.
[301] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, pp.125, 144.
[302] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, pp. 10, 38, 180.
[303] Novalis, Henri d'Ofterdingen, trad., p. 241, note p. 191.
[304] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965, Le complexe de Novalis, p. 68.
[305] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp.23-24, 27, 81.
[306] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.7-8, 14, 217.
[307] Bachelard, Émission radiophonique de J.Charpier du 16 mai 1954.
[308] Bachelard, La Poétique de l'espace, PUF, 1964, pp.1, 2, 7, 10 et 16.
[309] Bachelard, La Poétique de la rêverie, PUF, 1960-1971, p.147.
[310] Bachelard, La Flamme d'une chandelle, 1961-1970, p. 5.
[311] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.14-15.
[312] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 213.
[313] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 14.
[314] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 145.
[315] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.104.
[316] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, pp.81, 115 et 117.
[317] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 14 et 44.
[318] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.49.
[319] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p. 42.
[320] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p. 51.
[321] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 98.
[322] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p. 93.
[323] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965, Le complexe de Novalis, pp. 70-71.
[324] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 172 et 173.
[325] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 176 et 177.
[326] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948-1965, p. 24.
[327] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/biblio n°4197,1973, p.82.
[328] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, pp.23, 26, 32, 44 et 57.
[329] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 9-10, 30.
[330] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948-1965, pp. 30 et 143-144.
[331] Bachelard, La Poétique de la rêverie, 1960, p. 110.
[332] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 23.
[333] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, pp.67 et 71.
[334] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) Idées, 1965, p.166.
[335] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.126.
[336] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 16.
[337] Bachelard, La Philosophie du non, Quadrige/PUF n°9, pp.28, 33, 36 et 144.
[338] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, pp. 28 et 33.
[339] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 41.
[340] Bachelard, Le Rationalisme appliqué, Puf, 1949, p. 54.
[341] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p. 10.
[342] Bachelard, La Valeur inductive de la relativité, Vrin, p.206.
[343] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.15.
[344] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, pp.34 et 55.
[345] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 115.
[346] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 4.
[347] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.89-90.
[348] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 11-12.
[349] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 30-31.
[350] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 133.
[351] Bachelard, La Valeur inductive de la relativité, Vrin, p.243.
[352] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.21.
[353] Bachelard, La Valeur inductive de la relativité, Vrin, p.11.
[354] Bachelard, La Valeur inductive de la relativité, Vrin, p.241.
[355] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.36.
[356] Bachelard, La Valeur inductive de la relativité, Vrin, p.240-241.
[357] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p. 15.
[358] Bachelard, La Valeur inductive de la relativité, Vrin, p.93.
[359] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.177.
[360] Bachelard, Préface du livre de Martin Buber intitulé Je et tu. Aubier, 1969, p.13.
[361] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 174.
[362] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 250.
[363] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965, pp. 164-165.
[364] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, pp. 43, 44, 47 et 105.
[365] Bachelard, Préface du livre de Martin Buber intitulé Je et tu. Aubier, 1969, p.7.
[366] Bachelard, Préface du livre de M. Buber intitulé Je et tu. Aubier, 1969, p. 8-9.
[367] Bachelard, Préface du livre de Martin Buber intitulé Je et tu. Aubier, 1969, p.13.
[368] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 15.
[369] Novalis, Fragments inédits, Hymnes à la nuit, Stock, p.98.
[370] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.6.
[371] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.33.
[372] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.169.
[373] Novalis, Henri d'Ofterdingen, trad. Albert, p. 9.
[374] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 172 et 173.
[375] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 176 et 177.
[376] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, p.126.
[377] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948-1965, p. 285.
[378] Novalis, Henri d'Ofterdingen, trad., p. 128.
[379] Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté, Corti, 1948-1965, p. 291.
[380] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 19.
[381] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 123.
[382] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965, pp. 13, 36, 40, 44, 144, 148.
[383] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965, Le complexe de Novalis, I, p. 44.
[384] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.70..
[385] Bachelard, La Poétique de la rêverie, PUF, 1960, p. 49.
[386] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 236.
[387] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 90.
[388] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, p. 96.
[389] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Folio/essais n°25, p. 134.
[390] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.15-16.
[391] Bachelard, Étude sur l'évolution d'un problème de physique, (1928), p. 160.
[392] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 6.
[393] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.7.
[394] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 14.
[395] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.15.
[396] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p.58.
[397] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.10.
[398] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 10.
[399] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 16.
[400] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 133.
[401] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 241.
[402] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 246.
[403] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, (1949) 1965, Le complexe de Novalis, I, p. 44.
[404] Bachelard, La Philosophie du non, Quadrige/PUF n°9, p.5 et 8.
[405] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.155.
[406] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, pp. 46, 53 et 87.
[407] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp.49 et 52.
[408] Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1928, p. 95.
[409] Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1928, p. 102.
[410] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p.22-23.
[411] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p.70.
[412] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1934, p.132 et 152.
[413] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p.139.
[414] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.21-24.
[415] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche/biblio-essais, p.34.
[416] Bachelard, La Flamme d'une chandelle, Quadrige/PUF n°52, p.57.
[417] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.97.
[418] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, pp. 236-237, 240 et 242-244.
[419] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.94.
[420] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Livre de Poche n°4197, p.15.
[421] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p. 91-92.
[422] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 237.
[423] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 163-164.
[424] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.34-35.
[425] Novalis, Fragments inédits, Hymnes à la nuit, Stock, p.98.
[426] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1948-1965, p.126.
[427] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 2002, p.13.
[428] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 99.
[429] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 143.
[430] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.13.
[431] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.15.
[432] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.29.
[433] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.31
[434] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.39.
[435] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.48.
[436] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.52.
[437] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.86.
[438] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.88.
[439] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.93.
[440] Bachelard, Le Droit de rêver, Puf, 1970, pp. 226-227 et p. 234.
[441] Bachelard, La Dialectique de la durée, PUF, 1972, p.107.
[442] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 86-87.
[443] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 91, 94, 249, 251.
[444] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965, pp. 26, 33, 39, 60.
[445] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.100-101.
[446] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, pp. 15 et 65.
[447] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, Idées, 1965,, pp. 15 et 173.
[448] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, pp.156.
[449] Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, 1928, p. 272-273.
[450] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p. 7.
[451] Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, PUF, 1949, p.11.
[452] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 239.
[453] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Folio/essais n°25, p.17.
[454] Bachelard, La Philosophie du non, PUF, 1940-1973, p.134.
[455] Bachelard, Le Matérialisme rationnel, PUF, 1953-1972, p. 2.
[456] Bachelard, Études, Puf, 1949, p.89.
[457] Bachelard, Études, 1934-35, Vrin, 1970, p.89
[458] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 106.
[459] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier-Médiations, 1973, pp. 22, 23 et 24.
[460] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 70.
[461] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier-Médiations, 1973, pp. 21 et 36.
[462] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, Idées, 1965, p. 26.
[463] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, pp. 214, 240.
[464] Bachelard, L'Air et les songes, Corti, 1943-1965, pp.167 et 292.