Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
6 Novembre 2020
Spinoza :
- "Les hommes se trompent en ce qu'ils se croient libres et cette opinion consiste en cela seul qu'ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de la liberté, c'est qu'ils ne connaissent aucune cause de leurs actions." [1]
- "Les hommes se croient libres parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit, et qu'ils ne pensent pas, même en rêve, aux causes qui les disposent à désirer et à vouloir, parce qu'ils les ignorent."[2]
- "J'appelle libre, quant à moi, un chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature, contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d'une façon déterminée. Dieu par exemple (…) Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité." [3]
"Il est de la nature de la Raison de considérer les choses …comme nécessaires…, de percevoir les choses comme possédant une certaine sorte d'éternité." [4]
- "La puissance de l'âme humaine se définit par la raison… la vertu." [5]
- "La Raison ne demande rien contre la Nature ; elle demande donc que chacun s'aime soi-même, qu'il cherche l'utile qui est sien (suum utile), c'est-à-dire ce qui lui est réellement utile, et qu'il désire (appetat) tout ce qui conduit réellement l'homme à une plus grande perfection ; et, absolument parlant, que chacun s'efforce, selon sa puissance d'être, de conserver son être. (…) D'où suit que les hommes qui sont gouvernés par la Raison, c'est-à-dire les hommes qui cherchent sous la conduite de la Raison ce qui leur est utile, ne désirent rien pour eux-mêmes qu'ils ne désirent pour les autres hommes, et par conséquent sont justes, de bonne foi et honnêtes."[6]
- "Chacune (réalité naturelle) jouit à cette fin (persévérer en son état, dans la mesure qui lui est propre, sans tenir compte de quelque autre que ce soit), d'un droit souverain d'exister et d'agir selon sa détermination naturelle. À cet égard, nous ne faisons aucune différence entre les hommes et les autres réalités naturelles, ni entre les individus sains d'esprit et les idiots ou les déments. Tout auteur d'une action quelconque, accomplie en vertu des lois de sa nature, exerce un droit souverain, puisqu'il agit selon sa détermination naturelle et ne saurait agir autrement. Bref, aussi longtemps que l'on considère les hommes comme vivant sous le règne de la nature, tous se trouvent dans une situation identique : celui qui ne connaît pas encore la raison ou qui n'a pas encore adopté une conduite vertueuse mène sa vie, soumise aux seules lois de la convoitise (appetitus), du même droit souverain que son semblable, dont la vie se conforme aux lois de la raison." [7]
- "Par droit ou loi d'institution naturelle, je désigne tout simplement les règles de la nature de chaque type réel, suivant lesquelles nous concevons chacun d'entre eux comme naturellement déterminé à exister et à agir d'une certaine manière. Par exemple, les poissons sont déterminés, de par leur nature, à nager et les plus gros à manger les petits ; en conséquence, les poissons sont maîtres de l'eau et les plus gros mangent les petits, d'après un droit naturel souverain." [8]
"L'homme qui est dirigé par la raison est plus libre dans la Cité où il vit selon le décret commun que dans la solitude où il n'obéit qu'à lui-même (…) L'homme qui est dirigé par la raison n'est pas conduit par la crainte à obéir ; mais, en tant qu'il s'efforce de conserver son être suivant le commandement de la raison, c'est-à-dire en tant qu'il s'efforce de vivre librement, il désire observer la règle de la vie et de l'utilité communes et, en conséquence, vivre suivant le décret commun de la Cité. L'homme qui est dirigé par la Raison désire donc, pour vivre plus librement, observer le droit commun de la Cité." [9]
Préposiet :
- "Si le désir de persévérer dans l'être est inséparable de la nature vivante, la raison ne paraît pas être une condition nécessaire de l'existence, puisque l'individu se définit par le désir de persévérer avant de se poser comme sujet doué de raison. (…) La «loi naturelle» n'implique par conséquent aucune dimension d'universalité. Menacé de toutes parts, livré à lui-même en l'absence d'un bien commun positif défini par une volonté générale, où donc l'homme irait-il chercher un autre principe d'action que sa conservation individuelle et une autre fin que son plaisir égoïste ? Mais la solitude ontologique de l'état de nature renferme pourtant le premier germe de la liberté, car c'est bien dans l'anarchie naturelle que la liberté civile prend sa source et ce sont les impératifs de la conservation individuelle qui rendront nécessaire le pacte social. (…) L'ordre naturel ne représente pas à ses yeux un modèle de perfection idéale. La loi naturelle se trouve même foncièrement contraire aux véritables intérêts de l'homme, dont la liberté ne se réalise pleinement que dans l'état civil, où chacun renonce, par un accord réciproque et contractuel, à la jouissance d'une partie de ses droits naturels, pour créer de la sorte un ordre naturel humain, dont les lois «aident avec tout le reste à produire la totalité» (C.T., II, XXIV, 6.), mais qui constitue une négation de l'ordre naturel primitif. Il n'y a pas rupture, puisque la liberté civile prolonge la force naturelle individuelle sans la supprimer, mais contradiction dialectique entre la Nature et le Droit.(…) Autrement dit, l'homme n'est pas libre de choisir la solitude. Le droit social est pour lui une nécessité vitale. C'est parce que la liberté de tous dans l'État augmente nécessairement sa liberté naturelle et individuelle, en lui donnant enfin un sens, que l'homme la trouve désirable." [10]
[1] Spinoza, Éthique, II, 35, sc. I app, II 3 sc, III 2 sc.
[2] Spinoza, Éthique, I, appendice, p.347.
[3] Lettre LVIII à Schuller.
[4] Spinoza, Éthique II, 44
[5] Spinoza, Éthique, III 3, IV app3, IV 52 dém, IV app 25;
[6] Spinoza, Éthique IV, scolie de la proposition XVIII.
[7] Spinoza, TTP, ch.16. Pléiade, p.825.
[8] Spinoza, TTP, ch.16. Pléiade, p.824.
[9] Spinoza, Éthique, IV, pr. LXXIII.
[10] Préposiet (Jean), Spinoza et la liberté des hommes, Gallimard, 1967, pp.192-202.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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