Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
1 Février 2018
6. Y a-t-il un Démon du neutre ? Le neutre était-il le démon (daimôn) grec de la philosophie ? Il l'inspirait peut-être, mais il restait en retrait. Il était sans doute fondateur des doutes de Socrate, ce "questionneur insupportable" (5). Dans la mise en scène de Platon, la présence discrète d'un démon, probable métaphore de la réminiscence, est souvent évoquée. Socrate parle de "son plus proche parent qui habite dans sa maison". Par prudence, ce démon est par ailleurs malicieusement désigné comme un autre Socrate, son double en quelque sorte, le fils de Sophronisque (5). Freud évoquerait une sorte d'idéal du moi, mais il est plutôt l'âme de Socrate, la force la plus intime d'un doute qui le rend philosophe. Ce démon n'a aucun rapport avec l'ange déchu du judéo-christianisme (Satan, le Malin). Cet être inférieur à un dieu et supérieur à un homme n'est pas un bon (άγαθός) ou un mauvais (χαχώς) génie. Mais est-il neutre pour autant ? L'ironie répétée de Socrate semble pourtant le détourner du neutre. Car le sage, comparé à un poisson torpille, n'est pas sans passion (πάθος), sans quelque violence, sans insatisfaction : "Pour moi, victime de quelque mauvaise destinée, je suis toujours dans le doute et l'incertitude" (5).
Plus précisément, l'image du démon est le dehors impossible de la pensée de Socrate, le dehors qui lui fait accepter une sagesse complexe dont il n'a même pas l'idée. Cette sagesse est en effet contradictoire : elle affirme, elle nie, puis elle nie des négations, esquive un conflit et encore se dépasse. En tout cas elle ne se sépare pas d'une inquiétude. Il s'agit sans doute de celle qui accompagne le statut intermédiaire du philosophe selon Platon : il aime ce qu’il ne possède pas. L’Éros de Platon est vagabond… mais il n’est pas neutre, pendant que son fils Hypnos évoque une image primitive du neutre, celle du sommeil provisoire de la conscience, avant qu’elle ne sombre dans l’oubli, royaume de Thanatos…
Cependant, l'ironie socratique créerait bien (si toute cruauté en était absente) une distance neutre à l'égard des questions et des réponses. Dans cette distance non violente (ni dire, ni ne pas dire), le projet critique de se moquer du dogmatisme et du pragmatisme des rhéteurs ou des sophistes, serait véritablement neutre. Il écarterait la rhétorique qui, comme toute activité technique, méprise la pensée créatrice en voulant triompher par un savoir-faire ou par un faire-savoir. En revanche, le contenu, ni savant ni ignorant de la pensée de Socrate, ouvre sur une vérité toujours recherchée, toujours approchée, jamais trouvée…
En fait, le démon de la philosophie intervient sans véritablement intervenir. Il attire au-dedans, purifie les inquiétudes de la pensée sceptique, aporétique (embarras d'une situation sans issue), anatreptique (réfutative). Mais il pourrait, comme le malin génie de Descartes, n'intervenir qu'au début de la recherche… En tout cas, ni présent ni absent, ni mortel ni immortel, ni humain ni divin, le démon de Socrate n'est pas une réalité reconnue comme telle… Il reste en retrait, comme un dieu, ni là ni ailleurs, peut-être au cœur du cœur du réel.
Par ailleurs, il faudrait savoir si le socratisme est encore aujourd'hui éclairant dans le champ de la pensée philosophique, et notamment par rapport au problème du neutre. Socrate serait-il alors, dans l'affirmative, un personnage conceptuel pertinent du neutre (selon la terminologie de Deleuze) ? Seul son embarras nous le laisse penser… Ou bien le couple humain serait, comme l'écrit Alain, le meilleur penseur des pensées moyennes… peut-être, mais rien ne le prouve !
7. Les diverses épreuves humaines du neutre. Cependant, il manque à cette recherche de la problématique du neutre d'autres perspectives, et surtout celle d'un rapport possible aux autres existants dans les champs de l'éthique et du politique. Trois rapports de la pensée au Neutre apparaissent alors. Soit ils renvoient au Dehors fascinant et transcendant qui mine directement chaque présence au monde en soulignant un manque d'être (Heidegger) ou en rappelant un désastre immémorial (Blanchot). Soit ils se dispersent dans les multiples dehors fascinants de l'immanence, dehors qui se jouent du sens des apparences et a fortiori de l'arrogance du Sens (Barthes). Soit ils adoucissent les différents dehors du réel qui rapportent chaque moi singulier à sa propre pensée et à celle des autres (mon projet). Ces perspectives se produisent sur trois axes vers le neutre, vers le bord du vide ou vers l'entre-deux. Le premier domine la pensée, le second est celui de la découverte de tiers médiocres, changeants et insaisissables. Le troisième axe du neutre engage dans une capacité de porter ensemble, avec le moins de violence possible, deux distances inhérentes aux existants, celle de soi à soi, et celle de soi à autrui…
La pensée se rapporte ainsi au neutre de trois manières différentes. La première fascine, désœuvre ; Blanchot dit qu'elle "neutralise par une opération non opérante" (6). La deuxième déjoue l'arrogance du Sens en intériorisant les contradictions du monde perçu qui paraît dans une relation intermédiaire, moyenne, floue, indécise, soumise au pathos de multiples fantasmes. La troisième tourne la pensée vers la distance non conflictuelle que chacun peut instaurer avec soi-même et avec autrui en s'ouvrant sur de brefs présents plus humains ; d'où une possible visée éthique.
Mais pourquoi la pensée distingue-t-elle ce qui relève des autres, d'une conscience dédoublée de soi, et aussi ce qui relève des contradictions du monde naturel ? Cette question ne renvoie à aucun axe commun pour la recherche, mais elle noue davantage la problématique. Pourquoi une cohérence entre ces axes n'est-elle pas possible ? Assurément, une contradiction majeure apparaît dans la pensée. Elle peut créer un double rapport intellectuel (à soi-même et à autrui), et en même temps découvrir la dispersion et l'inconsistance des choses du monde, de l'Umwelt des existants et de chacun, sans pouvoir vraiment les penser. Ces axes, pour celui qui vise le neutre ou qui le supporte, ne constituent aucun point commun. L'un donne à penser et à agir, l'autre paralyse toute possibilité de penser et d'agir.
Le problème du neutre est ainsi inscrit dans la distance que la pensée instaure, librement ou non, avec elle-même. Soit elle parvient, conformément à mon propre projet, à faire entrer le moins de violence possible dans le plus de pensée possible ! Soit elle se perd dans le caractère indiscernable ou indifférent de son manque de pensée… et elle sombre dans un Dehors inhabitable, dans un rien anonyme, lointain, même si ce rien est concrétisé par l'imagination. D'exigence philosophique impossible à réaliser, le Dehors devient source de l’inspiration littéraire.
Roland Barthes, par exemple, ouvre son désir du neutre sur deux épreuves distinctes, sans oublier d'évoquer par ailleurs les reflets incertains des apparences qui épousent l'oscillation de ses divers fantasmes. La première forme conduit à une moindre violence. Elle souligne une différence minime entre deux sortes de vouloir : "Le premier Neutre, c'est la différence qui sépare le vouloir-vivre du vouloir-saisir : le vouloir-vivre est alors reconnu comme la transcendance du vouloir-saisir, la dérive loin de l'arrogance : je quitte le vouloir-saisir, j'aménage le vouloir-vivre…" (7). Ensuite, Barthes transforme son point de vue différentiel et hiérarchisé en un point de vue négatif et tragique : "Le second Neutre, objet implicite du cours, c'est la différence qui sépare ce vouloir-vivre pourtant déjà décanté de la vitalité… Une vitalité désespérée… c'est la haine de la mort. Qu'est-ce donc qui sépare le retrait loin des arrogances, de la mort haïe ? C'est cette distance difficile, incroyablement forte et presque impensable, que j'appelle le Neutre, le second Neutre" (7). Une différence nuancée cède la place à une distance absolue entre l'amour et la mort, c'est-à-dire à une séparation insupportable, source de protestation. La première forme du neutre exprime un non mesuré, la seconde un non irréductible, inséparable du caractère sacré de toute transgression lorsque la chair d'un existant se sent en contact avec l'impossible…
8. Vers une moindre violence. J'ai choisi une autre perspective, un axe singulier, quasi transcendantal et sensible, ouvert sur une éthique, parce que l'épreuve neutre et sacrée de l'Inconnu et de la transgression (commune à Barthes et à Blanchot) n'est pas apaisée. Elle présuppose les secousses de l'anti-humanisme et de la subversion. À leurs yeux, les conflits doivent être abolis et l'histoire interrompue à partir d'une rupture créatrice absolue, d'un droit à la mort qui invente avec fureur l'impuissance de l'Impossible (surtout celle de la littérature). Au reste, pour Barthes, l'écriture neutre ou blanche ne serait-elle pas l'anticipation historique de la réussite de la révolution : plus de lois, plus de classes sociales, plus d'idéologie, donc une transparence utopique des rapports humains et de tous les désirs ?
Néanmoins, ne serait-il pas possible de donner des sens moins violents à la distinction, à la différence et à la distance ? Ces autres sens n'anéantiraient pas la pensée, ils ne l'assujettiraient pas. Ils nieraient librement les Dehors de l'indifférence et de l'impersonnel. Au reste, ces diverses formes de pensée rapportées au Dehors et à la Séparation, sans aucun doute réellement vécues par leurs interprètes, n’échappent pas à la critique de Levinas (8). Heidegger et Hegel sont directement visés, parce que le premier enfouit l'Être de l'étant dans un "matérialisme honteux" (8), et parce que le second réduit la conscience personnelle de chacun aux ruses de la raison (impersonnelle). En conséquence, pour Levinas, il serait vain d'interroger le neutre qui annonce la fin de la philosophie en instaurant le triomphe de l'art et de la politique.
Cependant, cette critique ne m'empêche pas d'ouvrir sur une autre perspective, également éthique, bien que différente de celle de Levinas, en instaurant un autre rapport au neutre. Car l'épreuve matérialiste, éphémère et désespérante du neutre, épreuve qui surgit dans l'instant très bref d'un arrêt ou d'une suspension de la pensée, puis qui sombre dans le vide, n'empêche pas un ouvert libre et singulier, c'est-à-dire un renversement des priorités. Il suffit de poser, comme le suggère d'ailleurs Levinas, le problème de la pensée avant celui du neutre en niant le fondement matérialiste qui instaure "la primauté du Neutre" (8). Plus, précisément, il suffit de faire prévaloir les forces de l'esprit sur celles de la matière, au-delà des positions contradictoires du matérialisme et du spiritualisme. La pensée serait ainsi souveraine.
Car une interprétation neutre de la matière, nécessaire pour fonder une interprétation matérialiste, est insuffisante et paradoxale. Il lui manque le sens des réalités les plus claires. Paradoxale, elle affirme une logique de double bande, c'est-à-dire celle de deux sens à la fois. Deleuze en fait l'expérience dans son "essai de roman logique et psychanalytique" (9). Il lui faut en effet un récit, pur événement dispersé, disloqué, qui ne raconte pas vraiment, pour dire de diverses manières empiriques l'absence d'intériorité d'une matière neutre, de ce produit qui unit provisoirement et très confusément des éléments contraires selon les besoins.
En tout cas, l'avenir de cette matière reste celui que prévoient les lois de l'entropie (le néant), même si la matière obéit à des lois intelligentes. Dès lors, comment penser la présence matérielle du neutre en tant que réalité intermédiaire de chaque épreuve du neutre, sans situer paradoxalement ce tiers inclus au cœur d'un concept affolé, nié et en même temps affirmé comme dans quelque aveugle passion ? Sans doute loin d'un oubli des exigences de la pensée ainsi que de son indispensable cohérence. Depuis les présocratiques, selon l'expression de Levinas, le désir "ensorcelé" (10) par le neutre ne déploie en effet que de multiples fantasmes désespérément privés de toute clarté. La pensée ne rencontre qu'un milieu indifférent, au sens grec de μέσον qui désigne également en grec la neutralité. Ce milieu fantasmé, éprouvé dans l'indifférence en dépit du jeu des différences apparentes, est aléatoire, changeant, contraint et surtout impensable. Il s'impose de lui-même, y compris dans le sens expiré des effets de ses multiples oscillations.
En fait, le neutre ne se réduit ni à la matière, ni à l'esprit… Il est d'abord et surtout un point de non-violence posé par la pensée, le point à partir duquel chacun peut viser une éthique, c'est-à-dire quelques nouvelles libertés, sans vivre dans la fusion du possible et de l'impossible.
Dans mon propre cheminement, la pensée décide de dévaloriser les épreuves matérielles et confuses du neutre, car elle entend considérer autrement les problèmes de l'éthique et du politique. Il reste alors une possibilité de réhabiliter le neutre dans la philosophie, celle de l'instaurer à partir d'une pensée singulière, sensible, ouverte et libre. Cette pensée compréhensive, non réduite à des objets ou à un sujet, espère créer une vive action capable d'effectuer, dans chaque jugement, la négation des deux pôles contradictoires, sans privilégier la valeur du Nous sur celle du Moi, ni une subjectivité idéale sur l'intersubjectivité…
Dès sa naissance contingente, la philosophie s'est confrontée à la violence monstrueuse ou tragique des existants, à la violence de la nature, voire à une superstitieuse croyance en la cruauté du destin (Œdipe). Comment y échapper sans combattre, sans devenir soi-même violent ? Comment satisfaire un projet de non-violence, de moindre violence, s’il est vrai que, comme l'écrit Éric Weil, "la non-violence est le point de départ comme le but final de la philosophie" (11) ? Dans cet esprit, une moindre violence ne serait-elle pas réalisable, grâce à un rapport de la pensée au neutre, parce que ce dernier implique un refus de tous les excès ? Sans doute, mais d'autres refus, d'autres suspensions du jugement sont nécessaires afin de créer des intuitions plutôt apaisées du réel, c'est-à-dire des intuitions accordées entre elles, au-delà de la pensée naturelle qui ne forge que de dangereuses opinions conventionnelles et bornées. Barthes pense d’ailleurs que "la vraie violence, c'est celle du cela-va-de-soi : ce qui est évident est violent, même si cette évidence est représentée doucement…" (12). Cette évidence heureusement ne dure pas.
9. Une pensée libre ou une non-pensée pensante. En tout cas, une pensée neutre, toujours impossible dans la durée, est la preuve que la pensée peut refuser de se laisser enfermer dans quelque retrait vide et sans présence, dans un dehors sans dedans ou dans une qualité indéterminée sans sujet et sans objet. Elle peut refuser de n’être que l'intuition d'un rien, pour rien et pour personne, incapable de se rapporter à d'autres intuitions…
C'est pourtant la voie privilégiée par Blanchot lorsque sa pensée se perd dans l'expérience radicale de ce qui n'arrive pas, parce que cela (rien) est depuis toujours arrivé. Rien de nouveau sous le soleil ! Tout le monde meurt ! À quoi bon affirmer ou nier ! Un destin neutre s'impose éternellement, il conduit au Dehors de la mort qui n'a pas de dehors, au Négatif qui ne se nie pas lui-même, à l'abîme illimité des origines ou à celui d'un oubli qui vient du fond des âges… Sur cette voie, dans quel sens une pensée serait-elle fondée à être dite neutre ? Sans nul doute d'une manière seulement métaphorique lorsqu'elle répète son devenir mourant, exténuant, lorsqu'elle nie toute présence possible, lorsqu'elle oscille entre l'affirmation et la négation, entre l'impossibilité de commencer et de finir (sans savoir pourquoi), lorsqu'elle saisit son mourir, son passif, ce qui la défait, sans pouvoir penser sa mort, sa fin.
Blanchot se situe dans cette perspective de déconstruction de la présence, déconstruction qui semble entendre l'arrière-pensée inattentive et répétée d'un désastre immémorial. Dès lors sa pensée devient neutre dans et par le travail sans fin de l'écriture de ce désastre immémorial. Elle oscille inégalement en fonction du devenir incertain de ses métaphores. Elle est fascinée par le Dehors de la mort qui oriente sa passive présence-absente dans l'oubli. Elle semble flotter, avant d'être engloutie totalement par ce Dehors, et elle conserve l'arrière-pensée, l'étrange réminiscence, qu'elle a toujours été engloutie, qu'elle n'a jamais été chez elle. Au neutre, elle ne pense ni le désastre, ni le Dehors qui la fascinent ; elle est pensée par ce qui l'écarte, par ce qui l'a toujours écartée, par sa relation impensable avec la mort.
La réminiscence de Platon est ainsi inversée. L'âme pensante s'élevait, elle est chez Blanchot lestée, dirigée et absorbée par un corps qui n'en finit pas de métaphoriser son propre mourir dans la pesanteur de son vécu et dans les traces de sa chute. L'usure métaphorique de la vérité (selon Nietzsche) est reprise pour marquer l'éloignement d'une pensée qui ne dit que l'écho d'un corps déjà possédé par le Dehors de sa propre mort. Blanchot évoque cet éloignement de la pensée, sa neutre absence en des termes endeuillés. Il renvoie à "la non-pensée pensante, à cette réserve de la pensée qui ne se laisse pas penser" (13). Cette non-pensée de la passivité du mourir reste très obscure. Pourquoi fuit-elle la lumière ? Cette dernière serait-elle trop dominante, fascinante, absorbante ? Sans doute, en tout cas le neutre est bien là, caché dans l'obscurité du désastre qui produit la fragmentation d'une écriture sans présent, sans présence, qui n'est pas une totale passivité de la pensée, mais plutôt un "passif de pensée" (13).
Il est cependant possible et souhaitable de contredire ce point de vue nihiliste dès lors que la pensée du vivre l'emporte sur celle du mourir, dès lors qu'à nos yeux la vie possède plus de valeur que la mort. De plus, parce qu'elle ne considère le neutre que comme le point d'ancrage de ses interrogations, une pensée qui se rapporte librement au neutre peut ensuite s'interroger sur ses propres virtualités. Rien n'est préétabli pour elle, certainement pas le désastre immémorial de tout le réel. Plus précisément, ni le rien, ni le tout, ni le Dehors de la mort, ni le Dedans subjectif de la vie de chacun ne font la Loi.
La pensée souffre pourtant des pesanteurs de son inséparable support sensible, même si elle refuse de se disperser dans la grisaille neutre des apparences du rien. Mais, face au rien, face à l'impossible, elle peut librement se détourner et s'ouvrir sur autre chose. Son ouverture lui permet alors de créer un rapport problématique, celui de l'action réciproque d'un dedans singulier avec des dehors, peut-être inhabitables, mais en tout cas vivables.
Une pensée librement rapportée au neutre est ainsi nouée par une double relation avec des dehors et avec des dedans. Mais comment assumer cette relation, et cela est-il possible ? En fait, la problématique du neutre s'étire entre les deux pôles de la violence (naturelle ou culturelle) et d'une moindre violence possible, sachant que le neutre est soit le signe d'une indifférence amorale à l'égard du jeu des différences (Barthes), soit l'épreuve d'une distance susceptible de rendre librement possible l'amour de nouvelles différences. Dès lors, il reste à voir comment et pourquoi ce second point de vue, celui d'une distance bienveillante (sens le plus pur de l'amour) pourrait prévaloir sur le premier à partir d'une pensée singulière (virtuelle, sensible et libre). Comment et pourquoi faut-il refuser, dans cette visée éthique, les possibilités d'une pensée fascinée, hors d'elle-même ou éloignée, produite par quelque sujet effacé (Blanchot) ou à la dérive (Barthes) ?
NOTES
5. Platon, Hippias Majeur, 290e, 298c, 304b.
6. Blanchot (Maurice), L'Entretien infini, op. cit, p.447.
7. Barthes (Roland), Le Neutre, Cours au Collège de France, 1977-1978, Seuil Imec, 1988, pp.39-40.
8. Lévinas (Emmanuel), Totalité et infini, Le Livre de poche n° 4120, 2006, p.332.
9. Deleuze (Gilles), Logique du sens, Minuit, 1969, p.7.
10. Lévinas (Emmanuel), Totalité et infini, op. cit, p. 333.
11. Weil (Éric), Logique de la philosophie, Vrin, 1967, p.59.
12. Barthes (Roland), Roland Barthes par Roland Barthes, Écrivains de toujours n° 96, Seuil, 1980, p. 88.
13. Blanchot (Maurice), L'Écriture du désastre, NRF, Gallimard, 2006, pp. 52, 57.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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