Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
30 Avril 2016
"On ne peut confiner aussi facilement qu'on le prétend les métaphores dans le seul règne de l'expression. Qu'on le veuille ou non, les métaphores séduisent la raison. Ce sont des images particulières et lointaines qui deviennent insensiblement des schémas généraux. Une psychanalyse de la connaissance objective doit donc s'appliquer à décolorer, sinon à effacer, ces images naïves. Quand l'abstraction aura passé par là, il sera temps d'illustrer les schémas rationnels. En résumé, l'intuition première est un obstacle à la pensée scientifique ; seule une illustration travaillant au-delà du concept, en rapportant un peu de couleur sur les traits essentiels, peut aider la pensée scientifique."[1]
"Le danger des métaphores immédiates pour la formation de l'esprit scientifique, c'est qu'elles ne sont pas toujours des images qui passent ; elles poussent à une pensée autonome ; elles tendent à se compléter, à s'achever dans le règne de l'image."[2]
"Les métaphores portent toujours le signe de l'inconscient ; elles sont des rêves dont la cause occasionnelle est un objet. Aussi, quand le signe métaphorique est le signe même des désirs sexuels, nous croyons qu'il faut interpréter les mots dans le sens fort, dans le sens plein, comme une décharge de la libido."[3]
"Les métaphores ne sont pas de simples idéalisations qui partent, comme des fusées, pour éclater au ciel en étalant leur insignifiance, mais qu'au contraire les métaphores s'appellent et se coordonnent plus que les sensations, au point qu'un esprit poétique est purement et simplement une syntaxe des métaphores. Chaque poète devrait alors donner lieu à un diagramme qui indiquerait le sens et la symétrie de ses coordinations métaphoriques, exactement comme le diagramme d'une fleur fixe le sens et les symétries de son action florale. Il n'y a pas de fleur réelle sans cette convenance géométrique."[4]
"Mais un diagramme poétique n'est pas simplement un dessin : il doit trouver le moyen d'intégrer les hésitations, les ambiguïtés qui, seules, peuvent nous libérer du réalisme, nous permettre de rêver. (…) En tout cas, avant toute chose, il faut briser les élans d'une expression réflexe, psychanalyser les images familières pour accéder aux métaphores et surtout aux métaphores de métaphores."[5]
"Or, si l'image ne devient psychiquement active que par les métaphores qui la décomposent, si elle ne crée du psychisme vraiment nouveau que dans les transformations les plus poussées, dans la région de la métaphore de métaphore, on comprendra l'énorme production poétique des images du feu."[6]
"Alors l'esprit est libre pour la métaphore de métaphore. (…) Une doctrine qui résiste aux images premières, aux images déjà faites, aux images déjà enseignées doit résister aux premières métaphores."[7]
"L'imagination matérielle est sûre de soi quand elle a reconnu la valeur ontologique d'une métaphore. Au contraire, le phénoménisme, en poésie, est une doctrine sans force."[8]
"La métaphore, physiquement inadmissible, psychologiquement insensée, est cependant une vérité poétique. C'est que la métaphore est le phénomène de l'âme poétique. C'est encore un phénomène de la nature, une projection de la nature humaine sur la nature universelle."[9]
[1] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 78.
[2] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p. 81.
[3] Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, 1970, p.194.
[4] Bachelard, La Psychanalyse du feu, 1938, Gallimard, 1965, p. 179.
[5] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1965, p. 180-181.
[6] Bachelard, La Psychanalyse du feu, Gallimard, 1965, p. 181-182.
[7] Bachelard, Lautréamont, Corti, 1940, p.155.
[8] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.47.
[9] Bachelard, L'Eau et les rêves, Corti, 1942-1971, p.246-247.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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