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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Spinoza par Joseph Moreau (les choses singulières)

Spinoza par Joseph Moreau (les choses singulières)

"Les choses singulières ne sont que des modes, par lesquels les attributs divins (la pensée et l'étendue de la Dieu, c'est-à-dire de la Nature) s'expriment sous une forme déterminée [1] ; les corps ne sont que des déterminations particulières de l'étendue, attribut divin, de même que les esprits sont des modes de la pensée infinie. Cela ne veut pas dire que les choses créées s'identifient avec Dieu ; dire que Dieu est étendu n'implique pas qu'il soit corporel. L'étendue conçue comme attribut divin est infinie et indivisible ; l'étendue divisée en corps, c'est l'étendue représentée à l'imagination [2], l'étendue diversifiée par le mouvement et le repos, qui sont un mode infini, un effet immédiat de la puissance infinie qui s'exprime dans l'attribut [3] ; c'est par l'intermédiaire du mouvement et du repos que se distinguent les corps, qui sont des modes finis. [4] (…)

"Les choses singulières ne sont pas cause de soi ; elles sont causées par Dieu ; elles n'appartiennent pas à la Nature naturante (Dieu et ses attributs), mais à la Nature naturée.[5] Dieu est cause efficiente, non seulement de leur existence, mais aussi de leur essence. [6] Les choses singulières ont, en effet, une essence. (…)

"Elles dérivent de lui nécessairement, en vertu des lois de sa seule nature…[7] En quel sens, dès lors, les choses singulières ont-elles une essence ? En ce qu'elles ne sont pas des combinaisons fortuites. Spinoza exclut certes la finalité intentionnelle, la Providence divine [8], mais non l'organisation nécessaire de la nature. (…)

Mais si le corps, comme toute chose singulière, considéré dans son essence est éternel, l'âme, en revanche, pendant la durée de l'existence temporelle, est constituée d'idées qui ne sont pas éternelles, d'idées qui correspondent aux modifications corporelles et aux vicissitudes de la vie empirique. Telles sont les idées des sens et de l'imagination, sur lesquelles repose la mémoire, et qui n'appartiennent pas à l'essence éternelle de l'âme, qui sont les parties caduques de notre individualité. [9]

Il apparaît ainsi que les choses singulières, les modes finis, ont une double existence ; une existence empirique, une durée, qui est une succession de phénomènes, et l'être éternel d'une essence où s'exprime, sous une forme déterminée, la puissance infinie qui se déploie dans les attributs divins : " Les choses sont en deux sens conçues par nous comme actuelles : ou bien en tant que nous considérons leur existence en relation à un temps et un lieu déterminés, ou bien en tant que nous les concevons comme contenues en Dieu, comme des suites de la nécessité de la nature divine."[10]

 

Joseph Moreau, Spinoza et le spinozisme, PUF, Que sais-je ?, n° 1422, 1971, pp. 37-44.

 

[1] Spinoza, Éthique, I, 25, cor.

[2] Spinoza, Éthique, I, 15, scol.

[3] Spinoza, Éthique, I, 21-23 et Lettre 64.

[4] Spinoza, Éthique, II, Lemme 1 (après la Prop. 13) : "Les corps se distinguent réciproquement en raison du mouvement et du repos, de la vitesse et de la lenteur, et non sous le rapport de la substance."

[5] Spinoza, Éthique, I, 29, scol.

[6] Spinoza, Éthique, I, 25.

[7] Spinoza, Éthique, I, 16.

[8] Spinoza, Éthique, I, Appendice.

[9] Spinoza, Éthique, II, 8, cor. et scol. ; V, 21-23 ; 40, cor et scol.

[10] Spinoza, Éthique, V, 29, scol. 

Spinoza par Joseph Moreau (les choses singulières)
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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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R
Bonjour, qu'est ce qu'on entend par l'organisation nécessaire de la nature? Nécessaire pour quelles raisons ou motivations?
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P
L'organisation de la Nature se donne sa propre nécessité puisqu'elle est cause d'elle-même, absolue, éternelle, infinie (totalement affirmative) et sans finalité...