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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Roland Barthes et le neutre

Roland Barthes et le neutre

Ces quelques réflexions renvoient à mon essai intitulé

LE NEUTRE ET LA PENSÉE, L'Harmattan, Ouverture philosophique, (2009).

 

1. Déjouer les paradigmes

a) Un paradigme impose violemment un sens qu'une recherche du neutre doit déjouer.

- Le Sens est Le paradigme, c'est-à-dire le Signifié imposé par une langue.

- D'abord, Barthes est séduit par le binarisme de la représentation linguistique : "Le binarisme était pour lui (Roland Barthes se nomme à la troisième personne)un véritable objet amoureux (…) Qu'on puisse dire tout avec une seule différence produisait en lui une sorte de joie, un étonnement continu" (Roland Barthes par Roland Barthes, p. 56). Barthes hésite. Il aime le binarisme, les antithèses boiteuses, les oppositions qui nourrissent ses fantasmes d'unification avant de produire "le déclic d'un contre-terme". Il aimerait en rester là, au spectacle du sens donné par l'antithèse (Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 73, 55, 116, 143, 142). Or, il est contraint d'en refuser la violence, et pourtant d'en pratiquer une autre, celle du "sens-pour-moi" . L'ardeur de son désir l'éloigne alors du neutre. Au reste il ne précise pas s'il trouve un rapport entre l'issue du neutre (frisson de la différence), celle du réel (portée par le fantasme du fusionnel), celle du zéro (du pur signifiant) et celle du déport vers un supplément excessif. Il ne va pas au-delà de sa recherche du sens le  plus faible : "Paradoxe du Neutre : pensée et pratique du non-conflit, il est contraint à l'assertion, au conflit, pour se faire entendre par la langue qui dramatise… comme s'il y avait dans la langue elle-même une force d'hystérie – ou d'hallucination affirmative" (Le Neutre, p. 75).

- En voulant déjouer le sens, Barthes s'inspire sans doute de Nietzsche. Après la mort de Dieu, du Sens de tous les sens, et aussi de celui du Bien… La Loi ne signifie plus rien. L'oscillation qui en découle déréalise les sens assurés pour créer de multiples, nuancées et changeantes facettes. Cette dissémination des sens ne dépend plus que du plaisir esthétique de suspendre la valeur du signifié comme dans l'écriture littéraire lorsque le jeu avec des fantasmes destitue le symbolique ainsi que tout rapport possible avec quelque vérité.

-   Différent de celui de Platon, le point de vue de Barthes sur les paradigmes n'est pas fondé par une analogie. Il le dit explicitement dans son Cours sur le Neutre : "Je définis le Neutre comme ce qui déjoue le paradigme, ou plutôt j'appelle Neutre tout ce qui déjoue le paradigme. Car je ne définis pas un mot ; je nomme une chose : je rassemble sous un nom, qui est ici le Neutre". Effectivement, le paradigme déjoué par le neutre n'est pas le modèle platonicien qui se joue de sa copie. Il est un modèle qui s'impose comme porteur du Sens qui exclut tous les autres.  Dans cette perspective, la chose, cet être indéterminé, apparaît lorsqu'elle est nommée, en tant qu'elle est nommée, c'est-à-dire"rassemblée sous un nom" qui devient ainsi plus fort qu'elle. Lorsque le mot impose son sens, non en tant que signifiant sonore mais en tant que signifié d'une chose, il est pour Barthes un paradigme :"Le paradigme, c'est le ressort du sens". L'idée de ressort fait d'ailleurs converger deux sens : une énergie et un pouvoir. Le ressort du sens c'est la puissance qu'un nom possède pour s'imposer en tant que signifié, pas en tant que catégorie absolue (seule et séparée) mais en tant que catégorie relative et puissante qui en exclut pourtant d'autres : "Là où il y a sens, il y a paradigme, et là où il y a paradigme (opposition), il y a sens". Ce dernier rend alors possibles deux opérations bien distinctes. La première peut neutraliser le sens grâce à une opération de retour au pur signifiant, au réel, au tel quel, au sens obtus : car pour un signifiant sans signifié il n'y a plus d'opposition. La seconde est éthique, elle déborde le sens affiché, le sens oppressif, pour le faire dériver vers la valeur utopique du neutre (une oscillation amorale, le pluriel, le disséminé, l'indécidable, le non-symbolique).

- Il y a certes une issue non neutre hors du paradigme du sens. elle se trouve dans la découverte d'un terme amorphe, silencieux, celui d'un degré zéro du sens : "Le sens repose sur le conflit (le choix d'un terme contre l'autre)… D'où la pensée d'une création structurale qui défait, annule ou contrarie le binarisme implacable du paradigme, par le recours à un troisième terme - le tertium" . En fait, le zéro se situe, sans la supprimer, au cœur de l'opposition binaire du plus et du moins. Le zéro, pur signifiant intermédiaire, est dans l'impossibilité de saisir ou d'offrir. En cela il répond à la violence par un envers utopique. Car ce chiffre dérivé de l'arabe cifron, ce signe numérique certes sans valeur, est au-delà ou en deçà de tous les conflits. Il n'est pas pour autant privé de sens ou ce qui neutraliserait tous les sens. Il est plus précisément le sens qui ne s'affiche pas, qui n'opprime pas, qui ne procure aucune sensation et qui ne symbolise rien. Il est un pur signifiant indifférent à tous les signifiés contradictoires qui l'entourent… Le silence, tout comme le zéro, est l'absence qui ne signifie rien. Il n'est pas vraiment neutre, même s'il ne renvoie pas à un signifié précis. Car il est le silence de quelque chose (sans bruit) ou de quelqu'un (qui se tait), ce qui le réduit à n'être qu'une fausse expression du neutre. Et ce dernier ne saurait s'y reconnaître puisqu'il précède la disjonction du silence et de la parole (disjonction qui crée précisément le paradigme du sens pour Barthes). 

- Barthes joue alors avec les différences en se rapportant au lieu utopique à partir duquel la violence du langage pourra être suspendue… même lorsque subsistera la violence inexprimable d'un désir, y compris la violence du mot qui l'emporte, parce qu'il est inséparable de certaines perversions (voire transgressions) qui le rendent heureux.

b.  Le neutre et le sens.

-Le neutre ne saurait être dit sujet de lui-même. Car si c'était le cas, il serait le paradigme (παράδείγμα) absolu qui contiendrait tous les paradigmes (un paradigme étant une catégorie souveraine comme l'Éternité, et non un simple modèle sensible ou intelligible comme chez Platon). Si le neutre était Leparadigme, qui pourrait le prouver ?

- L'objet du désir de Barthes est sans doute de faire perdre aux catégories "leur caractère antinomique", et notamment de mettre en jeu et hors jeu le dieu de la mort et de l'amour. La représentation de ce dieu (forcément idéalisée en négatif) attise alors le désir lui-même qui se laisse prendre à son propre jeu en voulant rester le maître du jeu (celui qui déjoue en irréalisant) sans supprimer la fascination du Tout qui attache l'amour et la mort…

-   Roland Barthes semble pourtant choisir le pathos de la fusion puisqu'il écrit : "Il m'importe peu de savoir si Dieu existe ou non ; mais ce que je sais et que je saurai jusqu'au bout, c'est qu'il n'aurait pas dû créer en même temps l'amour et la mort. Le Neutre, c'est ce Non irréductible : un Non comme suspendu devant les endurcissements de la foi et de la certitude et incorruptible par l'une et par l'autre". Ce Non irréductible qui désire préserver l'amour est en fait, eu égard à son injonction révoltée, la source même du divin ou du sacré qui est pourtant par lui refusé… Cela est paradoxal.  En fait, le Non irréductible de Barthes n'est pas vraiment neutre, il est péremptoire et il contredit ainsi la non-violence de son premier neutre (ne pas saisir ni être saisi). Il sacralise en effet un absolu (l'amour) pour en désacraliser un autre (Dieu). Il revendique d'un ton moral pour être amoral, en profanant et en transgressant ses propres fondements : en même temps. Enfin et surtout, il méconnaît véritablement ce qu'est l'amour si bien résumé par Marcel Conche : "La mort nous prive de tout ; par l'amour, on se prive de tout".

- L'utopie du neutre de Barthes ne désire pas mettre fin aux apparences mais créer le paradigme d'une nouvelle valeur non-violente parce qu'elle serait étrangère à tous les sens imposés : "L'Antithèse est le spectacle même du sens. On en sort : soit par le neutre, soit par l'échappée sur le réel, soit par le supplément, soit par l'invention d'un troisième terme (de déport)" .

- Au-delà, Barthes aime les différences diachroniques privées de signifiés, sans doute parce qu'elles sont les promesses d'un autre sens à venir, d'un sens qui ne serait ni dominant, ni assujetti. Le désir de la différence, étranger à toute totalisation imaginaire, reste ainsi inséparable de nouvelles orientations. Pour cela, Barthes écrit son propre désir d'écrire. Il choisit de répondre à l'arrogance des signifiés par la création d'un lieu neutre, d'un espace étrange à partir duquel son style pourra faire éclater la fascination du Sens. Ce lieu neutre, fantasmé, est soit celui qui rend possible une duplicité, soit celui qui crée un sentiment de semi-absence comme dans une boîte (sur une banquette de bar) lorsque Barthes semble vouloir gagner sur les deux tableaux flottants de ses fantasmes du lieu.

- C'est ainsi que l'horizon limité du symbolique s'effondre, avec l'empire des signifiés, pour dire la nullité, la péremption et l'exemption du paradigme du sens. Il suffit pour cela de multiplier les signifiants, de réduire les signifiés, comme dans une litanie. Ainsi Barthes peut-il célébrer, dénoncer, déjouer "la marque intolérable du sens affiché, du sens oppressif"! Son désir ouvre sur une nouvelle forme du sens (sans arrogance), sur une fusion avec l'impossible, sur des fantasmes à la recherche des mots capables de les cristalliser, sur le tableau immense de multiples occurrences culturelles, sur un "frisson"de sens, même si, selon B. Commen, il hésite entre néantiser le sens ou négatiser les antinomies…

- Cette recherche succède à une activité ardente qui "n'est pas absence, refus du désir, mais flottement éventuel du désir hors du vouloir-saisir" (Barthes,  Le Neutre, pp. 41, 17).

-. La Différence est, en elle-même, un paradigme fascinant, absolu, donc non neutre. Le véritable sujet du rapport de chacun au neutre est donc la volonté de cohérence (le vouloir plus précisément) de la pensée sensible qui juge les différences. Ces dernières surgissent à chaque apparition du rapport avec les autres. Elles sont parfois peu discernables, mais elles accompagnent pourtant le devenir de la pensée qui continue d'interroger la disjonction fondamentale (y compris chez Barthes) du distinct et de l'indistinct.

- Mais comment accéder ensuite au neutre voire à ses multiples figures ? Une grande ferveur structuraliste conduit Barthes à désirer remplacer la violence du sens signifié par un nouveau paradigme, utopique, celui du Neutre. Il s'agit plus précisément pour lui de trouver "le second terme d'un nouveau paradigme, dont la violence (le combat, la victoire, le théâtre, l'arrogance)… est le terme plein". Ce second terme devrait naître d'un plaisir apaisé qui serait associé à des signifiés flottants, presque effacés, à un frisson du sens, comme dans la suspension d'un jugement et grâce à la distance créée par ce flottement.

- Roland Barthes ouvre son désir du neutre sur deux épreuves distinctes, sans oublier d'évoquer par ailleurs les reflets incertains des apparences qui épousent l'oscillation de ses divers fantasmes. La première forme conduit à une moindre violence. Elle souligne une différence minime entre deux sortes de vouloir :"Le premier Neutre, c'est la différence qui sépare le vouloir-vivre du vouloir-saisir : le vouloir-vivre est alors reconnu comme la transcendance du vouloir-saisir, la dérive loin de l'arrogance : je quitte le vouloir-saisir, j'aménage le vouloir-vivre…" (9). Ensuite, Barthes transforme son point de vue différentiel et hiérarchisé en un point de vue négatif et tragique : "Le second Neutre, objet implicite du cours, c'est la différence qui sépare ce vouloir-vivre pourtant déjà décanté de la vitalité… Une vitalité désespérée… c'est la haine de la mort. Qu'est-ce donc qui sépare le retrait loin des arrogances, de la mort haïe ? C'est cette distance difficile, incroyablement forte et presque impensable, que j'appelle le Neutre, le second Neutre". Une différence nuancée cède la place à une distance absolue entre l'amour et la mort, c'est-à-dire à une séparation insupportable, source de protestation. La première forme du neutre exprime un non mesuré, la seconde un non irréductible, inséparable du caractère sacré de toute transgression lorsque la chair d'un existant se sent en contact avec l'impossible…

c. L'aporie conduit au frisson du sens.

- Barthes ne cherche pas à supprimer les paradigmes (eu égard à leur extrême violence), mais, il désire en montrer l'irréalité, et en même temps il en réduit, en défait, en déjoue la puissance. Il agit ainsi sur deux plans. D'une part il maintient les paradigmes au cœur des catégories du langage où un sens en chasse nécessairement un autre : "Le paradigme… c'est l'opposition de deux termes virtuels dont j'actualise l'un, pour parler, pour produire du sens". S'il n'y a pas d'opposition, il n'y a pas de paradigme. Cela signifie que "le sens repose sur le conflit (le choix d'un terme contre l'autre)". D'autre part, au-delà du conflit du sens, Barthes recherche les valeurs neutres d'un nouveau paradigme non violent : des nuances comme en peinture, un va-et-vient, la délicatesse, le plaisir… Il peut certes rechercher également un troisième terme non neutre : un terme amorphe, silencieux, un degré zéro du sens… ou bien la jouissance non neutre d'un supplément déporté, excentrique qui repart à zéro comme dans un duel raté… En tout cas le projet de Barthes n'est pas simple, car la brûlante violence de son désir de l'impossible, qui déjoue les paradigmes, contredit aussi les valeurs du neutre en imposant l'ardeur excessive de sa parole.

- Les palinodies chères aux transgressions de Barthes font la loi de cette absence de lois : "S'il était dieu, il renverserait sans cesse les victoires – ce que d'ailleurs fait Dieu ! " (7). D'ailleurs, nul ne peut savoir si cette contradiction a un sens. La possibilité d'un paradigme absolu subsisterait-elle alors ?

-  Plus précisément, le but visé par Barthes n'est pas de suspendre le paradigme, mais dele déjouer. Le désir, son désir du neutre, repose en effet sur le refus du Paradigme arrogant du Sens. Cela signifie que le modèle n'est pas mis hors jeu mais maintenu à l'intérieur du jeu, en ouvrant sur un nouveau paradigme, sur un nouveau sens donné par diverses figures moins violentes : "L'écriture blanche… le lisse - le vide, le sans-couture… la discrétion… le principe de délicatesse - la dérive - la jouissance : tout ce qui esquive ou déjoue ou rend dérisoires la parade, la maîtrise, l'intimidation" .

- Sa pensée reste donc en suspens au-dessus d'un frisson de sens que le désir du neutre reconnaît impossible. Ne devrait-elle pas alors aller au-delà de tous ces jeux fascinants qui l'empêchent de se rapporter au sens virtuel du neutre (ni sensé, ni insensé) ? Car la fiction répétée des faits de la langue, y compris dans des suppléments déportés, fascine comme la bêtise…

-  Barthes demeure ainsi embarrassé par son épreuve du neutre, par son neutre, qui ne lui permet pas d'effectuer une "catharsis de l'aporie". Si l'aporie demeure, en effet, dans son idée d'un "neutre léger, de douceur et de non-violence", ne serait-ce pas parce que son neutre n'est qu'une figure littéraire qui remplace un possible scepticisme absolu ? Il semble préférer la perte du sens, et non sa suspension comme chez Pyrrhon qui ignore le neutre (selon Marcel Conche, voir mon livre LE NEUTRE ET LA PENSEE, 2009). Car cette perte du sens crée une forme sans forme (plutôt qu'une anamorphose), c'est-à-dire un modèle non-absolu, non-arrogant, donc neutre qui implique l'oscillation amorale d'unedifférence entre le vouloir-saisir et le vouloir-vivre.

 

2. Les manifestations neutres du sensible.

a.  Ni distinct ni indistinct

-  La possible issue, opposée au paradigme du sens, réside dans un retour au réel. Elle consiste à dériver vers le sens obtus de la matérialité du référent, sans supplément, sans trop de signifié. Cette déroute du sens est créée par l'épreuve fascinante et rêvée de la présence du réel, du Tel. Le projet est simple : "La Doxa n'aime pas le sens (…) au sens elle oppose le concret (…) plutôt imaginer un après-sens : il faut traverser, comme le long d'un chemin initiatique, tout le sens, pour pouvoir l'exténuer, l'exempter". Mais comment ? En réalité Barthes a surtout voulu conduire le langage (par l'écriture) vers un manque de sens, d'autorité, de durée et de pensée. Il s'inspire à ce sujet du bouddhisme Zen (satori) qui effectue une suspension panique du langage ainsi que celle de la pensée de la pensée : "C'est l'abolition de la seconde pensée qui rompt l'infini vicieux du langage" .

 

- Le jeu du distinct et de l'indistinct. Les tiers inclus créent divers rapports flous et changeants, colorés ou non, en tout cas loin d'une possible idée claire du neutre. Cependant, ces tiers qui renvoient à diverses épreuves sensibles neutres sont-ils les intermédiaires les plus nuancés de nos actes perceptifs ou bien désignent-ils la réalité même du neutre qui détermine toutes les nuances, c'est-à-dire celle qui précède la disjonction du distinct et l'indistinct ? La question est décisive pour Barthes qui est à la recherche du neutre comme second terme d'un nouveau paradigme, c'est-à-dire d'un terme symétrique et moins violent que le Paradigme du Sens : "La plus grande opposition, celle qui à la fois fascine et est la plus difficile à penser dans la mesure où elle se détruit en se posant, c'est celle de la distinction et de l'indistinction, et c'est là l'enjeu du Neutre, ce pourquoi le Neutre est difficile, provocant, scandaleux : parce qu'il implique une pensée de l'indistinct, la tentation du dernier (ou du premier) paradigme : celui du distinct et de l'indistinct" (Le Neutre, pp. 84, 83, 76, 81, 83).

 

- En fondant sa recherche sur l'opposition la plus fascinante, Barthes sait que son désir du Neutre échappe à une possible compréhension par la pensée. Il ne peut donc que décrire une épreuve phénoménologique qui le saisit physiquement. Il reste ainsi au cœur d'une opposition qui ne saurait être approfondie puisqu'elle se tourne vers le versant impensable de l'indistinct : ni visible, ni audible. Plus précisément, le point de vue de Barthes consiste d'abord à poser un terme utopique du neutre qui serait le "principe d'organisation totale" capable de "sauter par-dessus le paradigme", et surtout qui serait capable de déjouer le Paradigme (le Sens). Comme il n'y a rien à dire concernant ce principe qui transcende toutes les hypothèses (ni distinct, ni indistinct), Barthes se tourne vers une épreuve où s'effectue un simple passage du distinct à l'indistinct (ou inversement). Cette épreuve se réalise en effet dans la perception d'une moire, d'un tissu à la structure fragile et aux apparences nuancées, voire fluctuantes, lorsque des reflets en camaïeu font varier les divers tons d'une même couleur. Alors, chaque ton y apparaît à peine, y apparaît presque : "Le camaïeu (le Neutre) substitue à la notion d'opposition celle de différence légère, de début, d'effort de différence, autrement dit de nuance… cet espace totalement et comme exhaustivement nuancé, c'est la moire … ce qui change finement d'aspect, peut-être de sens, selon l'inclinaison du regard du sujet " (Le Neutre, pp. 84, 83, 76, 81, 83).

 

 - Barthes vise aussi "la couleur de l'incolore (…) la couleur non marquée qui cache les couleurs"(Le Neutre, pp. 84, 83, 76, 81, 83). Et pourtant cette couleur de l'incolore reste illusoire. Elle n'est qu'un pur effet de surface, un oubli des apparences les plus marquées pour en reconstituer d'autres. La moire est ainsi diluée dans des jeux séduisants, indirects, suspendus, marginaux, exténués, subvertis, fantasmés, donc utopiques, sachant que Barthes peut également préférer d'autres variations du presque : "Neutre : temps du pas encore, moment où dans l'indifférenciation originelle commencent à se dessiner, ton sur ton, les premières différences : petit matin ; espace daltonien… le bourgeon, l'œuf pas encore éclos : avant le sens…" (Le Neutre, pp. 84, 83, 76, 81, 83.

- Barthes donne des exemples d'objets neutres (une moire ou une boîte de nuit), mais ces objets ne sont pas séparés des désirs et des fantasmes de celui qui les constitue sans chercher à leur attribuer quelques significations précises. L'objet est en effet considéré par Barthes comme un pur signifiant. Un objet neutre est pourtant désiré par Barthes. Pourquoi ? Sans doute parce quece qui est alors désiré, ce n'est pas un objet, mais son apparition, sa manière d'apparaître et de disparaître pour un sujet clivé qui n'entend pas chercher à retenir ses caractéristiques. En fait, pour Barthes, le désir du neutre attribue à l'objet allégé, voire disparaissant, le flou d'une chose imaginée, le flou d'un fantasme (φάντασμα). Il ne crée pas un flou dans la représentation de l'objet, car la représentation est déjà floue, en elle-même par le flottement de ses très faibles signifiés : elle traduit un vague désir de représentation qui est plutôt une vision imaginaire de quelque chose, un rêve en quelque sorte où se déploie le jeu de la consistance et de l'inconsistance.

 

b. Les nuances et l'aléatoire

 

- Les réalités ou pensées virtuelles, en revanche, sont imprévisibles, sans être pour autant occasionnelles comme le χαιρός grec relevé par Barthes. Car elles ne sont pas déterminées par les possibilités du réel ou par quelque opportunité pragmatique (comme pour les sophistes). Ainsi l'irruption du virtuel ne crée-t-elle pas une autre possibilité définitive, positive ou négative ! Elle dépasse les déterminations du réel, mais, surtout, elle affirme la féconde créativité de la pensée qui refuse de se laisser entraîner dans les jeux de l'un avec le multiple, du même avec l'autre… En tout cas, l'immédiateté du surgissement imprévisible du virtuel n'est ni intempestive, à contretemps, ni déterminée, continue. Serait-elle constitutive du neutre ? Elle peut l'être si elle reçoit un sens lorsqu'elle n'est pas platement discontinue, donc si son caractère virtuel n'est pas couronné par l'irrationalité de l'aléatoire, par le triomphe brut du chaos, mais s'il est rapporté, sous des angles divers, au point propice à l'expression libre de la pensée puis à son éventuelle suspension. Pour cette dernière, le virtuel peut en effet ouvrir le caractère contradictoire du jeu de l'apparition et de la disparition des apparences sur autre chose, sur ce que lui-même exclut, au reste parce qu'il est lui-même exclu par les possibles contradictoires…

- L'épreuve sensible est douce, insaissable, portée par une impression de légèreté inhérente à des différences finement nuancées. Barthes réalise ainsi son rêve d'un "espace totalement et exhaustivement nuancé" (Le Neutre, pp. 84, 83, 76, 81, 83). Il assiste au jaillissement matériel de quelques arcs-en-ciel nuancés, à ce qui "scintille" (Le Neutre, pp. 41, 17). Pour lui, cet espace indéfinissable, qui échappe à toutes les catégories, tend vers le Neutre comme vers une région, un horizon indéfini, une direction. Pour cela, il suspend d'autres épreuves surtout celles où "le Neutre éclabousse et tache (c'est une espèce de noir-gris mat)" (Le Neutre, pp. 84, 83, 76, 81, 83). En se rapportant aux effets en camaïeu d'une moire, le sujet percevant découvre certes des tiers nuancés qui soulignent que le neutre ne naît pas du contraste simultané entre deux couleurs, mais il fait comme si ces différences légères étaient séparables de la pensée des couleurs contrastées (bleu et rouge) ou complémentaires (vert et rouge). La moire mime en réalité ce qui paraît être un objet neutre pour un sujet qui privilégie pour cela le concept de totalité dans le flou de ses représentations fragmentées (même s'il atténue ainsi son vouloir être et son vouloir saisir).

 

c. L'écriture du neutre

 

- Le neutre crée l'utopie de la distance la plus réduite possible entre deux termes contradictoires. Elle met soit au bord de l'un, soit au bord de l'autre, jamais dans l'un ou dans l'autre.

- Deux textes superposés peuvent ainsi jouer simultanément ensemble pour créer l'espace de la jouissance que Barthes recherche, par et dans un Texte impossible, un Texte à l'horizon : celui à venir, toujours à venir du Neutre. Le premier texte, réactif, immédiat, est imagé, fusionnel, "sans-couture"(Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 136, 90, 145, 71, 78, 53, 89, 146, 92.). Le second texte est actif, plaisant, distant. C'est celui où s'effectuent de multiples corrections, des parenthèses flottantes. Les deux textes sont inséparables. Ils circulent ensemble, grâce aux fantasmes, de l'un vers l'autre en se transformant. En réalité, ils restent pourtant un peu distants, car c'est aussi cette distance neutre que la fragmentation du texte réalise, ici où là, au hasard parfois, souvent au bon moment lorsque le style fait passer le sens par le corps de l'écrivain, lorsqu'il rapproche des mots, des signifiants ! Mais l'écriture n'est pas toujours présente à elle-même, elle louche aussi vers le passé et vers l'avenir, vers un horizon indéfini… en se rapportant ici à des réalités, là à des fictions.

- Il faut préciser que selon Barthes aucune langue n'est neutre, puisque chacune n'est qu'un ensemble confus : un ensemble à la fois maternel, précédant le symbolique, incandescent, fusionnel, hystérique… et paternel, autoritaire, dogmatique, voire fasciste, comme dans une mâle affirmation qui ne prétend pas se dépasser, comme dans une assertion, un jugement qui se prétend vrai de fait (affirmatif ou négatif).

- Cependant, si une écriture discontinue atténue bien "tout risque de transcendance" (Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 53, 77, 97, 98, 99), elle prend aussi le risque de figer ses fragments, de les refermer narcissiquement sur eux-mêmes, comme des miettes ou comme des aphorismes arrogants, donc loin du neutre. Comment ? En fragmentant un texte déjà inachevé, en préférant par exemple le désordre d'un classement alphabétique (l'ordre fictif, libre et immotivé d'une multiplicité d'éléments dispersés et incompatibles), plutôt que l'ordre contraint d'une durée homogène non fondée. La pensée du neutre aime certes les distances, mais surtout celles qui permettent un dialogue, et non des séparations abruptes. Or l'aphorisme, conformément à son sens étymologique grec (aphorismos) définit, résume en voulant ciseler une vérité de manière sententieuse et empirique, comme dans une maxime, un proverbe.

 

"J'ai le goût préalable (premier) du détail, du fragment, du rush, et l'inhabileté à le conduire vers une composition (…) Aimant à trouver, à écrire des débuts, il (Roland Barthes parle de lui-même)tend à multiplier ce plaisir : voilà pourquoi il écrit des fragments". L'écriture devient ainsi "un fantasme de discours, un bâillement de désir". Mate, elle perd son assurance triomphante. Le fragment donne le ton, son timbre ouvre sur le neutre et sur la co-présence d'affirmations et de négations : ni durables, ni éclatantes.

- Au reste, le plus souvent, Barthes hésite. Parfois il s'efface et donne le haïku japonais comme exemple d'une écriture du neutre au présent qui resserre la représentation sur une seule prise, donc qui supprime le désir. Le haïku ignore en effet les fantasmes. Il ne recherche pas une signification, une vérité, un sentiment, un sujet… Il est une visée de la présence immédiate et fragmentée des choses réelles ou des événements comme ils sont, ainsi, tels, pas plus.

- Au reste, pour Barthes, l'écriture neutre ou blanche ne serait-elle pas l'anticipation historique de la réussite de la révolution ? Plus de lois, plus de classes sociales, plus d'idéologie, donc une transparence utopique des rapports humains et de tous les désirs. 

Le refus des adjectifs. Par ailleurs, comme l'indique Barthes, les adjectifs (que l'imagination exploite pour décrire les nuances du réel), contredisent le neutre en accentuant les nuances des apparences. Même lorsqu'il est le moins affirmatif possible, l'adjectif ajoute à la visée du substantif indéterminé (neutre) un sens imagé qui est contradictoire avec l'idée supposée ni empirique, ni excessive du neutre :"Un rapport qui s'adjective est du côté de l'image, du côté de la domination, de la mort". En tout cas, l'image créée par l'adjectif nie l'idée de virtualité propre au neutre, elle est la synthèse fusionnelle, confuse et fascinée de la simultanéité du paraître et du disparaître. Elle dit l'instant qui précède une durée impossible alors que le Neutre est forcément "l'imprédica­ble" : "L'adjectif est un contre-Neutre puissant, l'anti-Neutre même, comme s'il y avait une antipathie de droit entre le Neutre et l'adjectif" (Le Neutre, pp. 85, 38). L'absence d'image sera donc, à juste titre, recherchée par Barthes comme "une des figures du neutre".
 

-  Ainsi, la primauté du sensible lui permet-elle de découvrir trois axes de la différence ! D'abord celui, indiscernable, des multiples dehors des apparences, ensuite celui, peu discernable, minime, du dehors entre soi et un autre soi-même, et enfin celui, discernable, du dehors entre soi et les autres, source d'une neutralité difficile à mettre en œuvre. Au reste, Barthes évoque une autre différence, plus lointaine, "une utopie (à la Fourier) : celle d'un monde où il n'y aurait plus que des différences, en sorte que se différencier ne serait plus s'exclure" (Roland Barthes par Roland Barthes, p. 8).

 

3. Le neutre comme écran contre la mort

 

a. Le jeu innocent et non indifférent des fantasmes

 

- Barthes aime le flottement des fantasmes, leur semi-absence, la glu imaginaire de leur fiction: "Le fantasme me plaît parce qu'il reste concomitant à la conscience de la réalité (celle du lieu où je suis) ; ainsi se crée un espace double (…) quelque chose se tresse, c'est, sans plume ni papier, un début d'écriture" (Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 136, 90, 145, 71, 78, 53, 89, 146, 92.).

 

b. Un moi à la dérive

 

- En tant que sujet fissuré par son propre désir de l'impossible, Barthes donne ainsi l'exemple d'une belle dispersion de son moi, même si cette dérive est reconstruite par un imaginaire orienté vers la matérialité des signifiants, c'est-à-dire vers celle des mots. Le paradigme du sens est ainsi déjoué, y compris celui du non-sens : "Je ne suis pas contradictoire, je suis dispersé" (Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 136, 90, 145, 71, 78, 53, 89, 146, 92.). Barthes reconnaît en effet qu'il est à la fois (ou tour à tour) obsessionnel, hystérique, paranoïaque, pervers. Sa "personne", non maîtrisée, est ainsi dite irrepérable. Sa psychose amoureuse est présente tout à tour dans le champ fantasmé de la drague et dans sa liberté d'écrivain : "pouvoir jouir instantanément de qui je croise et je désire" (Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 136, 90, 145, 71, 78, 53, 89, 146, 92). L'amoralisme en est la conséquence la plus évidente !

 

- Barthes évoque une possible "atopie - habitacle en dérive" de sa propre subjectivité (Roland Barthes par Roland Barthes, p. 53.). 

 

- Fantasmée, la singularité se creuse dans des délires originaux. En réalité elle est surtout celle d'un sujet linguistique qui se dissimule dans les masques qu'il se donne. Le sujet est alors l'objet de multiples substitutions qui ne relèvent, comme Barthes le dit précisément, que "d'un effet de langage" (Roland Barthes par Roland Barthesop. cit, pp. 82, 53.). En tous les cas, la substitution des choses par les mots est bien, chaque fois, la source de nouvelles substitutions conformes à un désir du neutre qui se joue de l'impossible avec des images de l'insaisissable.

 

-  La pensée fascinée de Barthes est certes critiquée par le désir d'un sujet qui se dit clivé. Il éprouve de réels conflits entre son moi "émoustillé" et son moi apathique,

- Le caractère neutre de cette semi-absence est constitutif d'un flottement qui répond à la fuite des images de la mort.

 

4. CONCLUSION

 

- Le désir du neutre a conduit Barthes à d'embarrassants et à de nombreux paradoxes. Afin de subvertir et de transgresser l'ordre du naturel, c'est-à-dire du Tel qui s'impose dans le phénomène neutralisé de l'il y a, l'écrivain a fait varier et osciller indéfiniment ses fantasmes. Son écriture n'avait-elle pas pour but le plaisir d'idolâtrer des objets neutres toujours nouveaux ? L'image paradigmatique de l'amour d'une mère recouvre peut-être toutes ses figures ! Ce rapport sensible et intellectuel a alors fondé un rapport à l'autre, à chacun, avec des silences et des différences, des doutes et des détachements… mais sans requérir les pathos du Dehors (indéfiniment distant) et du fusionnel. Certes Barthes est souvent fasciné par son propre désir fantasmé, pour ainsi dire impossible, du plaisir du neutre (ainsi que des neutres). Or l'autre est réellement à côté de moi, comme moi à côté de lui. Et cette indépassable distinction est bien présente dans la décision de refuser les fantasmes du neutre. Elle protège chacun, elle rend possibles un dialogue et des accords sensibles. De ce point de vue, l'autre reste l'autre, distinct de chaque moi, distant de lui-même. Et la pensée s'étire ni pour moi, ni pour l'autre. Elle nous dépasse. Car le neutre peut être aussi visé par une pensée plutôt affirmative qui crée son sens virtuel, mais aussi son ouvert sur l'infini, sans être épuisée par la disjonction de tous les sens, y compris par ceux qui la nient en affichant leur paradigmatique surmoi arrogant.

 

- L'impensable et fascinante coalescence qui est ainsi visée est-elle celle de la bêtise inhérente à l'insistance des mêmes signifiés ou bien celle d'une confuse suppression de tous les signifiés conduisant à un sens enfin apaisé ? Ni l'une, ni l'autre, car aucun désir ne saurait s'accomplir complètement. La jouissance fusionnelle (avec une mère, avec une réalité sans couture) est impossible. Sa visée arbitraire déréalise pourtant les sens. Ou bien tout pourrait s'évanouir… mais nul ne serait conscient de ce coït magique pour en parler! Une distance toujours empêche de lier ce qui ne l'était pas auparavant.

 

- De plus, dans ce champ nominaliste tourné vers le neutre, Barthes met en œuvre un désir du neutre porté par le langage, ce dernier étant supposé contenir sa propre vérité, la seule vérité possible :"Car la visée de son discours (Barthes parle de lui-même) n'est pas la vérité, et ce discours est néanmoins assertif". L'assertif est une vérité de fait qui reste douteuse, car nul ne sait comment isoler un fait sans s'y projeter. Barthes le reconnaît d'ailleurs implicitement, bien qu'il accorde au fait (celui d'écrire) une certaine pertinence : "La pertinence, menue, (s'il s'en trouve), ne vient que dans des marges, des incises, des parenthèses, en écharpe : c'est la voix off du sujet". Au reste, cette pertinence (d'une moindre violence) n'est pas étrangère au neutre qui se trouve dans la distance entre le fait et le sujet, distance déjà nommée et désirée par Barthes lors d'un double jeu neutre, paradoxal, entre lui-même et ce qu'il dit.

 

- Mais une sorte de transcendance du rien, guidant un langage sans pouvoir, fait que les mots nomment aussi ce qui n'a pas de réalité, comme c'est le cas dans l'exemple donné par Barthes :"Argo (le vaisseau dont chaque pièce a été remplacée) est un objet sans autre cause que son nom, sans autre identité que sa forme".(Roland Barthes par Roland Barthes, p. 50).

 

-Manque pourtant une dimension importante de la pensée, au reste reconnue par Barthes lorsqu'il écrit que " la visée de son discours n'est pas la vérité" (Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 136, 90, 145, 71, 78, 53, 89, 146, 92.). L'écrivain préfère en fait traverser de multiples figures du neutre qui évoquent la catégorie séduisante du multiple en des reflets peu apparents, en des flottements de l'apparence. Étrange jouissance ! Elle déroute le désir mais elle est austère, "sèche, ascétique, nullement effusive" (Roland Barthes par Roland Barthes, pp. 136, 90, 145, 71, 78, 53, 89, 146, 92.). Et c'est aussi une perversion : (les deux H : homo-sexualité et haschich).

 

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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