Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
1 Septembre 2022
Ennui et contradictions : "L'ennui est la marque de notre demi-angélisme ; l'ennui signifie à la fois la noblesse de notre nature et la misère de notre condition…" [1] - "L'ennuyé ressemble au passionné qui a envie de faire une folie et qui invente mille bonnes raisons pour manquer de raison." [2]- "L'ennui est donc ensemble superficiel et profond, et superficiel justement parce que profond : l'ennui suppose à la fois les profondeurs abyssales de l'être et la conscience qui en prendra conscience. Enfin, l'ennui n'est ni tout à fait conscient ni tout à fait inconscient."[3]
Ennui et couleur : "Toutes les couleurs conviennent à l'ennui, mais d'abord et surtout le gris : non seulement parce que le gris est polychromie virtuelle, mais encore parce que le gris est le terme de toute décoloration et le retour du bariolement multicolore à la neutralité. Le gris, couleur de la cendre et du brouillard, de la bigarrure déteinte et des longs jours sans but..." [4]
Ennui et éternité : "Éternité boursouflée…" [5] - "L'ennui s'exhale tout naturellement d'une durée indéfinie…(…) car l'ennui nous envahit quand des nappes d'éternité affleurent à la surface d'une conscience mortelle, impatiente et condamnée à vieillir sans cesse... (…) et l'éternité elle-même ne nous laisse le choix qu'entre la béatitude inconcevable et le désespoir de l'enfer."[6]
Ennui et existence : "L'ennui est détente et relâchement de tous les ressorts. L'ennui d'exister fait pendant à l'angoisse de devenir, de vieillir et de mourir. L'ennui, par lui-même n'est donc pas angoissé. (…) L'ennui est presque inexistant…" [7]- "L'ennui est une maladie désincarnée (…) qui affecte plutôt la fonction que l'organe et plutôt les instincts que les structures…" [8]
Ennui et finitude : "Dans l'ennui la créature éprouve les limites de sa condition, l'irrémédiable de sa finitude, la vanité de toute grandeur humaine." [9] - "N'en doutons pas, l'ennui vient de l'égoïsme." [10]
Ennui et indifférence : "Comme l'araignée au centre de sa toile, l'ennui est au centre d'un univers mince et diaphane où toutes choses s'enveloppent du voile gris de l'indifférence ; passionnel et dévorant, il s'enferme dans le cercle magique de sa neurasthénie. L'ennui, d'autre part, n'est jamais la table rase. Parce qu'il est le plus indéterminé des sentiments, ou mieux l'indétermination elle-même faite sentiment, il apparaît comme une créature entre toutes protéiforme : il a mille visages contradictoires…" [11]- "C'est la possibilité pure, l'indifférence à toute forme actuelle… L'ennuyeuse monotonie est à la fois uniforme et multiforme, c'est-à-dire informe. Informe et parfois même difforme ! " [12]- "La cause fondamentale de l'ennui est la sécheresse." [13]
Ennui et rien : "L'ennui, ce tête-à-tête d'une existence qui est comme rien et d'une conscience qui est, hélas ! la conscience de ce rien." [14]- "L'ennui vient de l'attention au néant de notre destin, et il vaut mieux, tout compte fait, regarder voler les mouches que s'appliquer à ce rien et en subir la mortelle fascination." [15]
Ennui et sentiment : "L'ennui, en réalité, est déjà une solution et un modus vivendi avec le tragique : tragédie bénigne, il n'est rien de plus qu'un pathos stérile et une simple humeur de l'âme." [16] - "Convoitise sans matière, l'ennui est l'insatisfaction d'une âme qui n'a même pas de vœux à former." [17] - " L'ennui est sans matière. L'ennui, comme l'angoisse, serait donc plutôt le malheur des insouciants… (…) L'ennui s'engouffre donc dans les pauses et les vides du souci." [18] - "Le charme indolent de l'ennui." [19]
Ennui et souffrance : " L'ennui n'est pas plaisir de souffrir, mais souffrance de jouir, malheur du bonheur, sensualité à rebours." [20]- "Il est la cause de ses propres causes ! Car c'est l'ennui qui est uniformisant et déprimant. (…) L'ennui souffre, non pas malgré son bonheur, mais, ce qui est le comble de l'absurde et de la dérision, à cause de lui ; et l'ennui est le malheur du bonheur, comme le désespoir est le malheur du malheur ! (…) C'est la vanité de la victoire qui fait l'ennui, et non l'impuissance de la défaite. L'ennui maladie de luxe…" (…) - "Un état ambigu ou ambivalent, mais non pas un état «neutre» ; est neutre ce qui n'est ni douleur ni plaisir…L'ennui est plutôt «utrumque» que «neutrum», l'un et l'autre ensemble, l'un annulant l'autre ensemble… (…) L'heureux-malheureux (…) est encore plus malheureux qu'heureux ; c'est le malheur qui domine." [21]- "L'ennui est le mal du devenir…avant tout la peur de s'ennuyer…" [22]
Ennui et substance : "L'ennui est la crainte vague de redevenir substance." [23]
Ennui et temps : "L'ennui qui s'enlise dans l'intervalle." [24]- "L'ennui, c'est le temps en désordre." [25]- "La faillite du bonheur, autrement dit l'ennui, tient avant tout au pourrissement, à l'avachissement de l'instant dans l'intervalle." [26] - "Le temps de l'ennui est sans loi, mais il n'est pas indescriptible. Trois propriétés nous suffiront pour le définir : une mémoire (trop lourde, le devenir fait advenir le passé, le déjà-vu) qui submerge le présent, un temps qui se résorbe dans l'uniformité de l'intemporel (pour retrouver l'identique du «jamais plus»), une distribution ataxique et anomique de la valeur (sans la valeur infinie du futur)." - "L'ennui est sans raison et s'étale dans un présent informe, - non pas dans le présent aigu de l'intuition, tranchant comme l'acier, mais dans une présence diffuse, gluante, interminable." [27] - "Dans l'épaisseur polyphonique et polyzoïdique (qui vit agrégé en colonies ) de notre temporalité, il n'y a ni indiscernables ni redites ; si bien qu'une conscience vraiment minutieuse ne devrait jamais s'ennuyer. (…) Le temps le plus démeublé est encore parcouru de faibles tensions, de frissonnements imperceptibles, de curiosités secrètes." [28]- "L'ennui commence où se perd notre confiance dans la spontanéité et la continuité du temps : l'instant n'a plus la force de se survivre à soi-même en tendant la main à ceux qui le suivent…" [29]
Ennui et vide : "L'ennui est donc vacuité, - mieux encore : il est ce vide qui gonfle la mince toile d'araignée du bonheur, semblable à un silence assourdissant dont on a les oreilles et l'âme toutes pleines ; si le bonheur est le vide du plein, l'ennui serait plutôt le «plein du vide», l'être du Rien."[30]- "L'ennui, étant le vide, devient tout ce que l'on veut." [31] - "L'ennui pur, c'est le sentiment qui n'est aucun sentiment, mais qui est la possibilité de tous les sentiments : dans la nébuleuse de l'ennui toutes sortes d'humeurs possibles flottent au hasard, comme des figures de femmes dans une imagination amoureuse ; l'ennui réel choisit entre ces formes différentes et, choisissant, se rétrécit. Vides sont les steppes de l'ennui…(…) Le roman et la poésie russes enfin ont beaucoup à nous apprendre sur ce sentiment informe qui est vaste comme la steppe et blanc comme la neige." [32]
[1] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.104.
[2] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.76.
[3] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.136.
[4] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.134.
[5] Jankélévitch, L'aventure l'ennui le sérieux, Aubier Montaigne 1963, p.7.
[6] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.123.
[7] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.71.
[8] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.139.
[9] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.101.
[10] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.178.
[11] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, pp.72-73.
[12] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, pp.72-73.
[13] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.178.
[14] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.125.
[15] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.142.
[16] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.91.
[17] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.90.
[18] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.78.
[19] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.136.
[20] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.81.
[21] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.80.
[22] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.141.
[23] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.118.
[24] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.47.
[25] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.126.
[26] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.84.
[27] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.138.
[28] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.158.
[29] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.160.
[30] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, p.112.
[31] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, pp.72-73.
[32] Jankélévitch, L'aventure, l'ennui, le sérieux, Aubier-Montaigne, 1963, pp.72-73.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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