Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
3 Novembre 2020
SPINOZA : "Considérons l'esprit comme s'il commençait maintenant à être, et comme s'il commençait seulement maintenant à comprendre les choses sous l'aspect de l'éternité." [1]
"Cet amour envers Dieu n'a pas eu de commencement (…) et cependant il a toutes les perfections de l'amour, comme s'il avait pris naissance ainsi que nous l'avons supposé par fiction dans le corollaire de la proposition précédente. La seule différence, c'est que l'esprit possède éternellement ces mêmes perfections que nous avons supposé lui arriver, et cela avec l'idée de Dieu comme cause éternelle." [2]
"De ce genre de connaissance naît la joie avec l'idée de Dieu comme cause, c'est-à-dire (§ 6 des définitions des sentiments) l'amour de Dieu, non pas en tant que nous l'imaginons comme présent (selon la proposition 29), mais en tant que nous comprenons que Dieu est éternel ; et c'est ce que j'appelle l'Amour intellectuel de Dieu." [3]
MISRAHI : "C'est qu'elle est (la théorie de la Béatitude), une théorie de la seconde naissance. La liberté spinoziste en effet, est une libération et non une liberté primitive ; de même, la conscience que, par le philosophe, l'homme et la Nature ont d'eux-mêmes, n'est pas une conscience primitive, mais une conscience seconde et réfléchie : le Commencement est un re-Commencement, la Naissance est une Seconde naissance. Mais qu'est-ce donc qui naît et commence ainsi pour la seconde fois ? Spinoza ne le cache pas : c'est le philosophe lui-même, ou plutôt l'homme quelconque dès qu'il accède à la «science intuitive». Le Livre V est fort clair (prop.31, scolie) : tout se passe comme si, par la réflexion du troisième genre, l'esprit accédait à une nouvelle existence, et naissait véritablement à «l'éternité» de la Raison, lui qui déjà naquit une première fois à l'existence matérielle. Le Court Traité confirme l'importance de cette image traditionnelle de la seconde naissance : «Et quand nous percevons de tels effets, nous pouvons dire en vérité que nous naissons à nouveau.» (K.V., XII, 7.) Certes, la «seconde naissance» n'est qu'une image destinée à utiliser un langage connu pour marquer la rupture entre la vie inconsciente et la vie philosophique. Mais cette image est efficace en raison même de ses résonnances affectives : elle montre parfaitement que ce qui est en question, dans la recherche de la vérité, ce n'est pas la vérité mais l'existence même. C'est de mort et de vie qu'il est question. (…) La Béatitude ou Joie, est comme seconde naissance et comme liberté, une sorte de Gloire, mais cette Gloire est une Lumière tout intérieure, elle est le contentement même de la Conscience de Soi."[1]
"Il n'y aura donc pas contradiction entre déterminisme et liberté si celle-ci est définie non pas comme l'absence de cause et comme l'inintelligible libre arbitre, mais comme la connaissance réflexive de l'affect qui, dissolvant les images et les faux biens, transforme l'affect passif (hétéronome et aveugle) en affect actif (autonome et éclairé)."[2]
"L'essence singulière de l'individu se réalise alors authentiquement dans la joie et l'indépendance. (…) L'homme devient effectivement ce qu'il désire être, et, déployant son pouvoir, il accède à la joie. Ce pouvoir dépend de la connaissance adéquate (réflexive et totalisatrice) puisqu'elle seule peut rendre le désir à lui-même et l'homme à sa causalité immanente.(…) C'est pourquoi la connaissance du troisième genre (qui est la philosophie même) sera la plus haute «vertu» : la vertu, c'est-à-dire la perfection, n'est rien d'autre pour Spinoza que la réalité. Puissance, réalité, perfection sont identiques. (…) La connaissance peut mener le désir à la plus haute joie, qui est de puissance, d'indépendance et de sérénité. La liberté n'est rien d'autre. (…) La béatitude est donc, comme liberté et joie, le salut même : c'est pourquoi il n'y a pas de différence entre liberté et béatitude. La liberté comme joie et perfection souveraine est béatitude (permanente et continue). (…) C'est pourquoi elle est le plus haut contentement de l'esprit et du désir : l'acquiescientia in se ipso, à la fois satisfaction de soi, accord avec soi-même et le monde, et repos actif en soi-même.(…) Cette joie et cette liberté découlent de la connaissance du troisième genre, c'est-à-dire d'une «science intuitive» et rationnelle qui est la philosophie même. Elles découlent donc de la connaissance de l'unité de la Nature, ou Dieu. Comme elle est joie, on peut la considérer comme un amour. (…) Cependant, puisqu'au terme du long itinéraire que constitue L'Éthique la conscience accède à une joie et à une permanence qu'elle n'avait jamais éprouvées, tout se passe comme si « l'esprit commençait maintenant à être » [3] et commençait seulement à comprendre les choses sous l'aspect de l'éternité. Il s'agit en fait d'une «seconde naissance» [4]: cet amour intellectuel de Dieu, quoiqu'éternel, « a toutes les perfections de l'amour, comme s'il avait pris naissance [5]». Il s'agit (puisque Dieu, Nature, Vérité sont identiques) d'une naissance à soi, d'une entrée dans la liberté et la joie, et non pas d'une entrée ou d'un voyage dans un autre monde." [6]
"Est-ce à dire que la liberté n'est qu'une lumière ? Non pas : elle est, outre le cheminement même de la réflexion, l'acquisition d'une forme d'existence qui est pratiquement autre, et pratiquement neuve : l'existence entièrement réfléchie et joyeuse en soi-même. Tout se passe comme si, après avoir commencé par la réflexion, la liberté éclatait à la fin dans un nouveau recommencement.
Ce nouveau recommencement, cette plénitude de l'allégresse et de la lucidité, ne peuvent se concevoir sans contradiction comme dépassement de «l'enfer» qu'à la condition de voir enfin, dans la philosophie spinoziste tout entière, une philosophie de l'homme sauvé par lui-même et en lui-même, sans aucun recours à quelques transcendances…" [1]
[1] Misrahi (Robert), Le Désir et la réflexion dans la philosophie de Spinoza, Gramma, Gordon & Breach, 1972, p.379.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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