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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

La poésie d'Olga Charlotte Auber

Graffiti d'Olga Charlotte Auber

Graffiti d'Olga Charlotte Auber

"Je voudrais un poème qui vaut tous les poèmes – découper les mots pervers ou inutiles – en confetti volant sur le nez des frimeurs" (Olga Charlotte Auber)

 

  Pour René Char, l'acte poétique est un prime mouvement indécomposable : "L'acte est vierge, même répété"[1]. Néanmoins, l'acte poétique peut être aussi remplacé par une action créatrice hétérogène. Par exemple, pour Francis Ponge, c'est une action complexe qui exprime sa fascination à l'égard de la chair évidente des mots ainsi que son absence de pensée face à la présence obsédante et indifférente du quotidien… Entre ces deux possibilités bien différentes, la poésie d'Olga Charlotte Auber associe, dans un parallélisme original, l'acte poétique qui nomme simplement la pensée visuelle d'une chose à l'action poétique de faire parler sa pensée intime et singulière, sa pensée complexe assumant de cette manière les événements inhérents à ses plus intenses contradictions.

   Dans le cheminement le plus lumineux de la création d'Olga Charlotte Auber, l'acte poétique attribue d'abord simplement un mot à la vision d'une chose. Et c'est dans cet esprit qu'a été écrit le recueil de poèmes intitulé Le Verger fou : "Je veux des choses simples – Le ciel pour tout rideau". Alors ont surgi les premières lueurs homogènes d'une pensée des mots, car tous ces mots accompagnent les diverses métamorphoses du monde terrestre en faisant pourtant intervenir diverses métaphores qui condensent les images : la "pluie palpitante reine de vie" entraîne les êtres dans sa "valse ruisselante", pendant que l'herbe, ce symbole de la puissance universelle de la vie chez Whitman, "en verts s'évertue", ou bien pendant que les feuillages de l'arbre de Vie s'envolent, notamment lorsque "les bourgeons surgissent du désir verdoyant".

   Cependant, si ces mots disent bien ce qu'ils désignent et nous sont familiers, ils sont parfois très suggestifs : les insectes "chuchotent", les vents sont "énervés", "les jardins frissonnants dans leurs châles à franges - immobiles et froids s'enlisent doucement"… ou bien "la pluie, divine, s'éperle fine (…) Elle grésille et fringille…" Néanmoins, ce réalisme finit par étonner, car ces images communes semblent épouser intensément et directement ce qu'elles expriment, notamment le surgissement des primes apparences du monde qui transfigurent de cette manière leurs limites impensables en les mettant à notre portée. Ainsi est-il dit que "le jardin parlait verveine" et, au delà de la "grinçante nuit qui trompe", pouvait naître "la légèreté dentelée – de l'aube" ! Ces mots disent bien la pensée d'une chose présente, mais chaque chose nommée rayonne aussi au delà d'elle-même et au delà des mots qui la visent. Le monde, simplement visé, paraît ensuite étrange, plastique, informe, car certains mots plaisent, voire séduisent… ou bien d'autres mots attristent en désignant quelques "lointains déçus", voire en jouant avec d'autres mots, tout en semblant faire danser les images poétiques qui associent parfois, d'une manière complexe, le présent actuel à celui qui n'est plus, ou bien au futur qui n'est pas encore, voire au passé lointain et au passé simple : "Ce n'est plus l'été…"


[1] Char (René), Feuillets d'Hypnos, § 46, Pléiade, (1983-2008), p.186.

Graffiti d'Olga Charlotte Auber

Graffiti d'Olga Charlotte Auber

Et c'est dans cet esprit que s'épanouit le style primesautier qui caractérise la poétesse, parfois "en vers à l'envers", voire en faisant sentir une "odeur de sainte thé", ou bien en désignant "une dame à la laisse de son chien". Ainsi la poétesse ment-elle un peu en se laissant jouer par son propre jeu, et elle mentirait trop selon Nietzsche si elle ne disait pas aussi qu'elle ment car l'illusion est vitale ! En effet, Olga Charlotte Auber ne ment plus lorsqu'elle dit les limites de la pensée des mots-choses en affirmant : " Il n'y a pas de roses – au jardin des oublis – rien que de traîtres mots – glissant sous la pluie fine". Ou bien, pour sortir de cette impasse, la probité intellectuelle aidant, elle avoue : "Je me roule dans la frange des imprécis". En tout cas, grâce à l'humour qui est sa "parade", la poétesse a également complété la pensée des mots par des paroles singulières, mais surtout par des mots humbles et sincères : "Qu'ai-je donc à donner ? (…) Un petit peu de peu".

   Dans un second cheminement, dans le clair-obscur de l'action poétique, le monde a été réinventé par les primes paroles d'un moi singularisé par ses blessures et par les menaces de la vie, mais par un moi certes égocentré, mais non narcissique, donc tout de même capable de liberté et d'engagement social et politique. L'action poétique, alors hétérogène et dualiste, se réalise en fonction des désirs fluctuants de faire parler l'union des contraires et des contradictoires, notamment en rêvant à quelques lointaines paroles presque oubliées : "Quand nous étions enfants – À l'abri des enclumes du temps". Ces paroles pensées sont conscientes d'elles-mêmes et de "l'échafaudage d'une vie", tout en étant tournées vers ce qu'elles ne pensent pas encore. Elles sortent en fait "des dédales indéchiffrables de la pensée" en se donnant la durée nécessaire au déploiement des interprétations d'un vécu non psychologisé, mais subjectivé par l'épreuve décevante, insaisissable et invisible du temps qui "sculpte et gifle le front" de la poétesse : "Je suis flottant indescriptible sur la flèche absolue du temps – Du temps qui s'aplatit qui gonfle ou s'égosille – Du temps narquois". Ainsi, en pensant l'invisible et en le disant ces paroles prouvent "notre incroyable légèreté". Et tous ces mots et toutes ces griffures de l'écriture naissent très librement lorsque Olga Charlotte Auber "étire son âme" au lieu de "glisser dans la douceur du rien", au lieu de suivre paresseusement "le cheminement lent et tendre du non vouloir". Ou bien, la poétesse épouse les contraintes du "souffle d'Éros" qui aime "un envahissant désordre – De plaisir – Dans la caresse," c'est-à-dire qui aime les chaînes et les plus étonnants naufrages. Mais, ces soumissions ne sont que des parenthèses provisoires, car très vite la poétesse se ressaisit "refusant soumission et rebelle félibre – j'abjure la contrainte : à moi poésie libre !"

   Alors surgissent d'autres paroles, celles qui animaient le "verger fou" de René Char, celles de la douce folie d'une errante liberté parfois furieuse qui demeure néanmoins secrète pour le lecteur. S'agissait-il de "glisser dans la profondeur des interdits"? Mais pourquoi vouloir alors réaliser "le sentiment délicieux et coupable – D'une trahison à soi-même" ? Sans doute ne s'agissait-il que d'une violence innocente, non perverse, plutôt sauvage que négative, d'une violence qui a oublié les primes limites des choses pour en créer d'autres : "Je transgresse les rythmes – Les rimes et les énigmes" ? En tout cas, ces paroles situent les actes poétiques "au-delà du remords" qui ignore l'innocence du devenir des herbes folles.

   Dès lors, le "verger fou" qui a inspiré les paroles d'Olga Charlotte Auber n'est ni impensable ni délirant. Sa raison, certes dite "oblique", a bien de profondes racines ; elle ne cherche donc pas à rendre possible l'impossible, mais à créer seulement ses propres règles : "Je ne puis me soumettre – aux règles insensées – ni faire des choix infirmes". La poétesse est seulement embarquée sur le bateau du devenir d'une existence à la recherche constante d'un bel équilibre : "Interminablement – Je voyage – Entre sagesse et déraison". Cela signifie, très précisément, que la poétesse veut devenir "une ombre de douceur sur un océan noir de haine et de folies", notamment en bousculant l'ordre des choses : "J'exige la tempête – Je cherche la fureur – Je provoque le vent – Pour qu'au centre du navire – Règne le calme – En monarque du moi – Je jette le trouble et l'ancre"…

Graffiti d'Olga Charlotte Auber

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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