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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Éthique de l'amour

Rembrandt

Rembrandt

- La raison oriente l'amour vers une éthique fondée sur la vertu de probité qui implique fidélité, respect et modération

 

   Dans l'épreuve intellectuelle et sensible du devenir naturel de chacun, l'amour peut être vécu dans une perspective éthique afin de lui donner un véritable lieu de séjour pour s'épanouir. Car, jamais la prime épreuve obscure des sentiments n'est vraiment chez elle dans un incompréhensible et inconcevable lieu inhabitable comme serait le néant, lequel prouverait, du reste, la victoire de la mort sur l'amour, l'inéluctable disparition définitive de toutes les réalités de ce monde, donc l'inéluctable fin de toutes les valeurs positives. Pour échapper à cette perspective nihiliste, comment la prime épreuve obscure de l'amour, considérée dans son intuition globale, pourrait-elle être prolongée par une action éthique qui lui donnerait des raisons d'aimer positivement les êtres vivants loin de la folie de certaines expressions de l'amour qui remplacent ces raisons par les débordements et par les excès des émotions et des sensations ? Car, d'une manière métaphysique, l'amour semble bien être cause de lui-même, c'est-à-dire inexterminable, intemporel, divin, se conservant sans effort, comme le suprême désirable pour Aristote. En fait, une éthique de l'amour ne saurait être prescriptive, rigoriste et obligatoire, car elle se limite à contrarier les faits qui sont nuisibles à l'amour, c'est-à-dire violents ou nocifs pour des relations amicales entre les êtres humains : certitudes arrogantes, préjugés, délires de l'imagination, superstitions. Cette éthique ne cherche donc pas à appliquer les valeurs d'une morale universelle, c'est-à-dire selon la Loi de la Morale, mais elle oriente librement les sentiments, sous la conduite d'une raison qui veut le bien faire, voire très souvent un moindre mal, en vivifiant et en unifiant. L'amour est en effet inséparable d'une ferme volonté qui se donne librement des repères positifs pour vivre intensément avec sérénité et pour bien penser (primum vivere). Dans ce cas, l'amour de la raison oriente réellement chacun vers ce qui est bien à la fois par nature et par jugement, subjectivement et objectivement, même si, très souvent, il faut faire le bien sans savoir ce qu'est le Bien, tout en sachant qu'il est raisonnable d'aimer le bien pour bien aimer autrui, et que, comme pour Spinoza, l’enjeu de l’éthique est toujours la vie bonne : "bene agere et laetari", [1] pour soi-même, mais aussi pour l'autre parce que l'un aime le deux pour s'unir à lui et pour prospérer...

   Dans cette perspective, au-delà des abstractions qui enferment la raison morale dans des réductions formelles, bornées et souvent contradictoires, et au-delà de paradoxes trop hu­mains ou pas assez humains qui finissent par faire fi des raisons de bien faire, il y a une possibilité majeure, celle qui consiste à faire prévaloir un lien secret entre la puissance intime, généreuse et obscure de l'amour, et les forces claires et rigoureuses de la pensée raisonnable. Dans cet esprit, une éthique de l'amour-raison devrait alors relever indivisément, à la fois de la raison pratique et de l'amour de la Nature qui implique toutes les réalités qui la composent. Cette raison éthique limiterait alors l'ouverture de l'amour sur ses excès intem­pestifs et nuisibles, car, tout en étant inséparable de ce qu'elle ignore, elle fonderait une éthique raisonnable susceptible de rapporter chaque être humain à un autre, hors de l'indifférence qui isole souvent chacun, c'est-à-dire en orientant la profonde et puissante réalité mystérieuse de l'amour vers une vertu, vers une force intime entretenue par de bonnes habitudes, qui permettra de réconcilier volontairement la raison et la vérité avec les aléas du sensible, tout en clarifiant ce dernier. Mais quelle vertu et comment ? D'abord, la vertu requise est celle qui couronne toutes les autres forces morales sans dépendre exclusivement du cœur, car, si c'était le cas, elle serait menacée par l'anarchie des sentiments qui ignorent les raisons possibles. Ensuite la vertu requise ne doit pas être constituée par un Moi-Sujet isolé et unique qui oublierait d'instaurer l'optique spirituelle d'une possible réciprocité avec l'autre, même si cette réciprocité n'est possible que d'une manière asymétrique eu égard aux différences propres à chaque être humain. L'éthique ainsi visée devrait alors déterminer chaque relation à partir de règles ou de principes (librement consentis par chacun) d'une manière raisonnable et avec la volonté de réaliser des sentiments vraiment accordés avec autrui. Cette éthique orienterait, en dehors de tout saut religieux dans l'absolu, les déterminations de la singularité de chacun (de sa bonté, de ses choix, de son intelligence) en fonction d'une vertu (d'une force intérieure) capable de réaliser les exigences d'un amour cohérent et naturel entre soi-même et un autre. Car le propre d'une vertu consiste à réaliser un acte noble, un bien (καλόν), sans en rester à la seule possibilité de faire ce bien.

   Concernant l'amour-raison, comme Nietzsche nous l'inspire, c'est en fait la probité intellectuelle [2] qui concentre en elle la force morale nécessaire à un amour pertinent et durable de toute vérité possible ou actuelle, en sachant d'abord que chaque vérité ne pourra être dite qu'à la lumière de l'amour (ce qui exclut les affirmations haineuses ou seulement intéressées), et que toute vérité devient mensonge dans le chaos du devenir nietzschéen qui va bien au-delà des valeurs morales établies pour affirmer l'innocence du devenir terrestre, tout en s'enfermant parfois dans l'affirmation de cette seule probité : "On n'a jamais qu'une seule vertu - ou aucune." [3] Néanmoins, cette probité de la pensée, cette honnêteté scrupuleuse à bien penser, permet de saisir clairement les limites inhérentes aussi bien à sa propre pensée qu'aux choses par elle visées. Car cette vertu dominante et franche, [4] qui anime aussi bien la destinée de la philosophie dans son ensemble que celle du philosophe immoraliste de la transvaluation des valeurs, implique souvent de dire l'enlacement inéluctable des mensonges avec des vérités, tout en cherchant à bien distinguer leurs différences. Et, lorsque cela sera possible, le sentiment amoureux obéira à une régulation de l'amour par la raison vers ce qui est bon, même faiblement, notamment lorsque l'amour suivra, comme l'a fait Nietzsche, la vertu majeure de la probité qui n'oublie pas toutes les autres vertus possibles, mais qui sait que cette vertu suprême commande les autres : "J’aime celui qui ne veut pas avoir trop de vertus. Il y a plus de vertu en une seule vertu qu’en deux vertus : c’est un nœud où s’accroche la destinée." [5]

   Le mot vertu (du latin virtus : force virile) n'est donc pas seulement une humaine disposition stable à bien agir, mais surtout une remarquable force psychique et morale qui, unique et simple, rassemble et concentre d'autres forces. Dans cette perspective qui ne sépare pas le cœur et la raison, il serait pourtant absurde de faire prévaloir la seule vertu de l'amour, car, isolée, cette vertu se perdrait inéluctablement en fusionnant, d'une manière irrationnelle et loin de toute altérité, avec la puissance infinie de l'amour qui est éternellement incontrôlée, instable et indifférente aux activités humaines qu'elle inspire pourtant. En effet, l'épreuve de l'amour, hissée à un niveau divin, est bien trop vaste et trop puissante pour être habitée par les êtres humains.

   En revanche, une éthique de l'amour-raison (et non du plaisir ou du devoir) est possible dès lors que l'amour est voulu comme une valeur fondamentale en fonction de ce qui sert positivement et raisonnablement les êtres humains sans les écraser avec des lois indifférentes à ce qu'elles régulent, donc sans la violence de principes ou de maximes impossibles à satisfaire. C'est donc dans un processus empirique raisonnable qu'il faut interpréter le projet de penser en vérité, certes hors du subjectivisme de Nietzsche qui dialogue seulement avec son ombre, dans la vérité incomparable de chacun qui se sait pourtant non séparable de celle de l'autre, comme pour Buber ou Bachelard, ou bien comme pour Alain lorsqu'il  affirmait que le couple humain est le seul à bien penser, avec probité, ce qui lui permet constamment de s'accorder : "Penser est le premier effet de l'amour, mais peut-être est l'effet de l'amour seul ; car c'est peut-être le seul cas où penser n'ait point pour fin de réfuter ni de vaincre ; c'est peut-être le seul cas où la pensée s'orne de l'approbation en son travail intime, et cherche un accord sans ruse (…) Et qui donc, hors de l'amour fera sienne la pensée d'un autre, étrangère, et justement parce qu'elle est étrangère? (…) Il nous manquerait le pain et le sel des pensées moyennes sans cette affectueuse réaction du conseil sur le commandement qui (…) fait du couple humain le seul penseur au monde, peut-être." [6]

   Dès lors, la probité, cette vertu suprême de l'éthique de l'amour-raison pourra ensuite inspirer d'autres vertus qu'elle commande en les adaptant, en les transformant, en les élargissant et en les approfondissant, notamment afin de rencontrer l'autre dans une volonté constante de faire du bien pour soi-même et pour l'être aimé. Et c'est alors en visant avec l'autre la pérennité d'un amour fondé sur la vertu de la probité que l'amour de l'autre que soi pourra s'épanouir dans la vertu de la fidélité, dans cette vertu mutuelle, raisonnable et peu simple, car elle est ouverte au delà des meilleures habitudes, ce qui implique, comme le pensait Alain, le courage de toujours reconnaître la dignité de l'autre dans l'amour conjugal : "Le courage d'aimer (sentiment du libre-arbitre) nous tire de cet état de passion, qui est misérable, par le serment plus ou moins explicite d'être fidèle, c'est-à-dire de juger favorable­ment dans le doute, de découvrir en l'objet aimé de nouvelles perfections, et de se rendre soi-même digne de cet objet. Cet amour, qui est la vérité de l'amour, s'élève comme on voit du corps à l'âme..."[7]  Dans ces conditions, la fidélité à soi-même et à l'être aimé n'implique pas de se sacrifier pour l'autre, mais de faire joyeusement et constamment progresser ensemble la profondeur et l'intensité d'une commune relation positive dans la vérité d'un amour qui réunit des pensées accordées en rendant chacun plus solidaire, comme l'a évoqué Vladimir Jankélévitch dans ses heures les plus lumineuses : "C'est l'amour qui est profond, général et, somme toute, raisonnable, qui, au-delà de l'instant, prend en considération l'avenir et la plus longue durée possible, qui tient compte de tous les aspects d'une question, et de proche en proche, conjointement avec le cas individuel, du bonheur ; l'amour fait acception de la solidarité de tous les êtres." [8]Ainsi la vertu de la fidélité est-elle à la fois ferme et généreuse pour canaliser l'amour et pour maintenir des exigences de vérités nécessaires pour maîtriser les imprévisibles fluctuations des affects ! Ainsi le concept de l'amour-raison, nourri par la vertu de la fidélité, apporte-t-il une durée néces­saire à une relation amoureuse constructive avec l'autre ! Cette relation devient alors l'expression positive de l'union de deux êtres qui coordonnent et qui harmonisent peu à peu leurs différentes volontés, pourtant soucieuses de répondre de leurs engagements, y compris en cherchant à améliorer la constante pérennité de leurs relations. C'est ainsi que la fidélité permet de réaliser les promesses du passé et d'imprévisibles projets, tout en leur apportant une nécessaire exigence de vérité et d'évaluations pertinentes qui, comme pour Bachelard, donnent de sincères et patientes raisons d'aimer davantage (avec plus de vigueur) : "C'est à la fois une durée, une habitude et un progrès. Pour fortifier un cœur, il faut doubler la passion par la morale, il faut trouver les raisons générales d'aimer. C'est alors qu'on comprend la portée métaphysique des thèses qui vont chercher dans la sympathie, dans le souci, la force même de la coordina­tion temporelle. C'est parce qu'on aime qu'on souffre que le temps se prolonge en nous et qu'il dure."  [9]  

   Cependant, afin de pérenniser un amour-raison, une autre vertu peut se greffer sur celle de la fidélité, celle du respect. Ce dernier est un sentiment intellectualisé qui reconnaît la valeur inaliénable d'autrui. Cela implique d'abord de considérer qu'en dépit de sa finitude et de ses faiblesses, chacun est perfectible, donc toujours humainement digne, notamment lorsqu'il est ouvert sur ce qui le dépasse, et non parce qu'il serait, comme l'affirmait Jankélévitch, "mystère unique au monde", [10] voire le Tout-autre de soi-même. Respecté, autrui ne le sera ensuite pas davantage en fonction du devoir abstrait d'obéir à la Loi morale, comme dans la Thora ou pour Kant, mais par amour-raison, parce qu'il y a des raisons d'aimer l'autre pour lui-même, avec ses défauts et ses qualités, pour ce qu'il est, a été, devient, et pour ce qu'il veut aussi devenir, même s'il demeure en partie mystérieux et étranger. Enfin, il y a dans les raisons d'aimer l'autre ce qui est peut-être la cime du respectable : la possibilité d'une vie solidaire qui s'ouvre à deux sur de réels points de contact raisonnables avec l'infini, y compris dans la probité d'une pensée, dans la fidélité à l'être aimé et dans la volonté de bien faire en respectant la dignité d'autrui. Le respect apporte ainsi une nécessaire spiritualisation à la relation amoureuse qui est toujours capable de sombrer dans la fascination des corps, dans une impudique donc nuisible sincérité, présente dans l'amour-besoin ou dans l'amour-passion. La pudeur, inhérente au respect qui la dépasse accorde en effet l'esprit et la chair, ou plutôt un corps avec son idée de l'âme, d'une manière décente et sans pudibonderie, en harmonisant le sensible avec ce qui le valorise hors de toute exhibition trop objective, passivement matérielle, en tout cas obscène. Cependant, la pudeur n'est pas seulement un sentiment idéalisé ou raffiné, elle est aussi l'affirmation d'un respect de l'autre qui défait toutes les humiliations qui portent atteinte à la valeur de l'humain. Dans ce prolongement, le respect de l'autre, plus que le respect de soi-même qui risque de produire un fort attachement à son propre moi, purifie alors l'amour physique en créant des distances positives, tout en renforçant la fidélité, comme l'a fortement exprimé Bachelard : "Mais à qui se spiritualise, la purification est d'une étrange douceur et la conscience de la pureté prodigue une étrange lumière. La purification seule peut nous permettre de dialectiser, sans la détruire, la fidélité d'un amour profond. Bien qu'elle abandonne une lourde masse de matière et de feu, la pu­rification a plus de possibilités, et non pas moins, que l'impulsion naturelle. Seul un amour purifié a des trou­vailles affectueuses." [11]

   Néanmoins, les vertus de la fidélité et du respect sont parfois menacées, voire niées. En effet, eu égard aux violences de la société et de la nature, elles peuvent être impossibles dans certaines conditions, notamment lorsque le devenir des forces active la fatale irruption des rapports de force les plus destructeurs, et surtout lorsque ces forces engendrent d'impitoyables, de nocives ou d'indifférentes relations entre des êtres pourtant encore dits humains. Afin de contredire cette inéluctable violence ou pour l'atténuer, les vertus de la fidélité et du respect ne devraient-elles pas être alors complétées, à un niveau certes inférieur, par la vertu de la modération (sôphrosynè), laquelle implique une éthique de la mesure qui se détermine en fonction d'un juste milieu (μεσότης) entre un maximum et un minimum, c'est-à-dire dans et par la neutralisation des tensions ?

Sans doute, car la pensée aristotélicienne du juste milieu inspire bien l’homme prudent lorsqu'il refuse deux excès contradictoires : le courage comme milieu excellent entre la témérité et la lâcheté (ou la couardise), la pudeur entre l'obscénité et la pudibonderie. En tout cas une éthique de l'amour-raison implique toujours une nécessaire non-violence inséparable d'une exigence de clarté et de cohérence, comme chez Aristote où la disposition ferme et constante de la vertu est acquise à la fois par l'habitude et par une disposition constante de la volonté à faire le bien et à éviter le mal, notamment en trouvant un juste milieu déterminé par la droite règle fixée par la raison de l'homme prudent. Quoi qu'il en soit, c'est à partir d'une liberté raisonnable (sincèrement éclairée par le champ des possibles) que la modération n'est ni une demi-qualité ni un demi-défaut, car elle permet toujours de rester ferme dans sa fidélité à l'autre. Agit en effet et surtout en elle la vertu d'un amour simplement raisonnable, c'est-à-dire suffisamment modéré pour être indivisible, sans conduire à l'apathie (apatheia) ou à la fadeur. Ni violent ni insipide, ce paisible amour pondéré, simplement contrôlé, enchante à la fois le réel, ses valeurs et ses vérités. Et, surtout, il atténue l'excessive passion de connaître en privilégiant l'amour de paisibles savoirs adaptés à notre condition humaine. Dans une dilection, c'est-à-dire dans un amour tendre, sincère et soucieux d'harmonie et de joie, une expression épanouie de l'amour pourra alors unir deux êtres humains. Et cette expression modérée créera une douce relation de complémentarité qui se prolongera d'une manière constante et agréable en accentuant les liens de son rayonnement lumineux par un état d'adhésion complète à ce qui est donné ici et maintenant, dans cette vie et dans ce monde, sous le mode d'une volonté attentive et responsable de son rapport avec l'ensemble de tous les hommes ainsi qu'avec la nature. En tout cas, une éthique de l'amour se veut aussi responsable de l'avenir global de ce monde terrestre qui doit être préservé de toutes les dégradations écologiques et des délires consuméristes.

   Certes, en refusant l'éthique du juste milieu d'Aristote, Jankélévitch a proposé une autre éthique optimiste[12] et idéale. Qu'en penser ? Cette éthique laquelle conduit en fait à un moindre mal, au plus petit possible mal de l'être. Cette éthique vise modestement un minimum logique, un minimum ontique et un minimum éthique. Et, comme il faut être pour aimer, le principe revendique le plus d'amour possible pour le moins d'être possible. Cette morale de l'amour requiert alors la pudeur, l'humilité, la sobriété, l'étroitesse et pourtant une belle intensité spirituelle : "Plus il y a d'être, moins il y a d'amour. Moins il y a d'être, plus il y a d'amour. L'un compense l'autre. Le problème scabreux de la vie morale ressemble à un tour de force, mais on réussit ce tour de force presque sans y penser quand on aime : c'est répétons-le, de faire tenir le maximum d'amour dans le minimum d'être et de volume ou à l'inverse, de doser le minimum d'être ou de mal nécessaire compatible avec le maximum d'amour." [13]

   Entre Aristote et Jankélévitch, la vérité de l'amour varie sans doute en fonction des circonstances, mais le courage prudent du premier est plus sage qu'altruiste, alors que le philosophe du presque rien et du je-ne-sais-quoi fait fi de toutes les raisons d'aimer raisonnablement en préférant un total oubli fort charitable de lui-même. Pourtant, une autre ouverture de l'éthique de l'amour devrait être surtout considérée, celle qui valorise les hommes à venir, c'est-à-dire les enfants, car, comme l'a écrit Marcel Conche "l'amour veut l'enfant (…) l'union avec l'enfant (…) La mort n'est rien si l'on aime ce qui vient après soi." [14] C'est ainsi qu'une éthique de l'amour, certes sans priver la mort de son pouvoir négatif, pourra orienter les êtres humains à donner raisonnablement plus qu'ils n'ont reçu, donc sans se sacrifier pour autant…

 

 

 

[1]  Spinoza, Éthique IV, scolies des propositions 50 et 73.  

[2]  Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 227 : "En nous cette vertu, la seule qui nous soit restée."

[3]  Nietzsche, La Volonté de puissance, Gallimard, Nrf, 1942, tome II, § 414 et 381, pp. 330 et 323.     

[4]  Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, IV, 9. De l'homme supérieur.

[5]  Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, op. cit., p. 21.

[6]  Alain, Les Passions et la Sagesse, Les Idées et les âges, Pléiade, 1960, p.171.

[7] Alain, Définitions, Gallimard, Pléiade, 1958, p.1032.

[8] Jankélévitch, Les Vertus et l'amour, 1, Champs / Flammarion n°163, 1886, p.256.

[9] Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, p.92.

[10] Jankélévitch, Quelque part dans l'inachevé, nrf, Gallimard, 1987,  p.15.

[11] Bachelard, La Psychanalyse du feu, op.cit., p.166.

[12] Jankélévitch, Le Paradoxe de la morale, op.cit., p.100.

[13] Jankélévitch, Le Paradoxe de la morale, op.cit., p.150.

[14]  Conche (Marcel), Analyse de l'amour et d'autres sujets, PUF, 1997, pp. 16, 18.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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