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Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.

Spinoza et Nietzsche

Spinoza et NietzscheSpinoza et Nietzsche

 

   Concernant Spinoza et Nietzsche, les divergences de leurs pensées métaphysiques sont nombreuses. Le premier est un sage rationaliste, le second, entre sagesse et folie, réalise un pragmatisme perspectiviste plutôt sceptique en affirmant : "Connaître, c'est comprendre toute chose au mieux de nos intérêts." [1]

   Il y a, cependant entre eux, de multiples points communs qui ont été considérés par Nietzsche comme des "points capitaux", et notamment cinq :  "Il (Spinoza) nie l'existence de la liberté de la volonté ; des fins ; de l'ordre moral ; du non-égoïste ; du Mal." [2] Que penser de ces points communs eu égard au problème de la subordination de la connaissance et de la création au sentiment de l'amour dont la grâce pourrait fonder toutes les compréhensions et explications possibles ? D'abord que la constellation de ces concepts ne fait pas prévaloir le sentiment, mais la nécessité ou le destin, une Nature éternelle ou bien l'éternel retour de toutes choses, une sage béatitude portée par le désir de bien faire ou bien un dépassement des valeurs établies, être soi-même un mode de la Nature ou bien devenir soi-même ce que l'on est, affirmer une simple diminution de la puissance utile et bonne d'agir ou bien l'innocence du devenir de tous les êtres vivants…  

   Par ailleurs, concernant l'amour, les deux philosophes divergent. Pour Spinoza, d'abord, une compréhension complète des choses modifie notre manière de les désirer puis de les aimer, même si le désir est bon en lui-même. Car le jugement sur les choses est spontanément affecté par des déterminations partielles, est donc d'abord inadéquat. En conséquence, pour Spinoza, l'amour repose sur la connaissance, et non l'inverse. Il faut d'abord connaître les choses par leurs causes premières et nécessaires  à partir des idées adéquates et rationnelles qui naissent du désir de l'âme, de la puissance de ce désir, tout en sachant que tout désir est bon en lui-même et non en fonction de ce qui est désiré. Dès lors Spinoza écarte tout ce qui n'est pas conséquent, c'est-à-dire non lié nécessairement à l'ordre des raisons. Tout le nécessaire est en effet donné et il suffit. L'ordre rationnel de la Nature fonde ainsi un nécessaire accord du concept avec le réel, y compris avec les affects qui suivent cet ordre.

   En revanche, pour Nietzsche, la connaissance vraie a deux sources, celle de la logique (qui conduit au mensonge) et celle de l'amour, "preuve de la force". [3] Cette seconde source, alors privilégiée, détermine un amour très singulier pour cette terre, pour ce monde-ci, en valorisant l'enchevêtre­ment créatif et joyeux des forces contradictoires de la vie, et même s'il faut parfois faire prévaloir les plus grandes forces, voire la puissance du faux qui les dépasse. Car c'est l'amour de la vie, y compris dans ses excès, qui rend possibles toutes les créations. [4] Ensuite et enfin, la vie crée des connaissances utiles pour son devenir, tout en risquant d'être détruite par elles, notamment lorsque ces connaissances sont réactives, abstraites, faibles ou nihilistes.

   Cependant, pour Spinoza, comme pour Nietzsche, la conception de l'amour a été concentrée sur l'affect commun d'une joie non volontaire qui est et qui exprime d'une manière cohérente et plaisante le plus constant des affects, aussi bien pour le corps que pour l'âme, [5] tout en étant le fruit d'un accord nécessaire et suffisant entre les affects et les concepts qui sont ainsi unis.

   Néanmoins, d'une manière plus lyrique, pour Nietzsche, la joie est plutôt l'expression d'une volonté ivre, fatale, donc à la fois refermée sur elle-même et ouverte sur l'éternel devenir de toutes les choses : "Toute joie veut l’éternité de toutes choses, veut du miel, du levain, veut un minuit enivré, veut des tombes, veut la conso­lation des larmes versées sur les tombes, veut un couchant rouge et or. Que ne veut-elle pas, la joie ? Elle est plus assoiffée, plus cordiale, plus affamée, plus effrayante, plus se­crète que toute douleur, elle se veut elle-même, elle se mord elle-même, la volonté de l’anneau lutte en elle. Elle veut de l’amour, elle veut de la haine, elle est dans l’abondance… la joie veut l’éternité de toutes choses, veut la profonde, profonde éternité ! " [6] Dans les deux cas, très différemment, la joie veut l'éternité, mais c'est soit d'une manière constante et nécessaire, puisqu'elle élève l'âme au sein des choses terrestres (Spinoza), soit d'une manière profonde, parfois effrayante, mais créatrice (Nietzsche).

   Enfin, pour Spinoza comme pour Nietzsche, la puissance de la Nature n'a inspiré ni l'amour des choses inertes et définitives... ni l'amour des seules forces biologiques qui réalisent provisoirement des synthèses singulières à l'intérieur des corps vivants. Car si l'amour surgit d'abord dans une relation mystérieuse avec un monde vécu rationnellement ou instinctivement, ce n'est pas en fonction d'un insondable monde inorganique que les hommes accordent leurs existences avec la Nature. C'est en effet au sein de leur rapport à l'infini qu'ils pourront accomplir la grâce de leurs béatitudes (Spinoza) ou de leurs joies les plus tendues dans l'expression de l'infinie puissance de la Nature qui détermine éternellement les métamorphoses de tous les êtres vivants, ainsi que les forces particulières qui les expriment (Nietzsche).

 

[1]Nietzsche, Seconde considération intempestive, De l'utilité et de l'inconvénient des études historiques pour la vie - (Unzeitgemäße Betraachtungen), 1874. Trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1988, n° 483, p. 113.  

[2] Nietzsche, Lettre à Franz Overbeck, Sils-Maria, le 30 juillet 1881.

[3] Nietzsche, Le Livre du philosophe, § 72.

[4] Nietzsche, Ibidem.

[5] Spinoza, Éthique, V, prop. 20, scolie.

[6] Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Le  chant d’ivresse.

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À propos
claude stéphane perrin

Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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