Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
14 Octobre 2016
Le silence et l'apparence :
- "En réalité l'apparence, comme telle, comporte une présence muette à elle-même, elle est auto-apparence." [1]
- "Les choses sont transparentes, nous offrent leur simplicité, se tiennent là comme en elles-mêmes." [2]
La parole et l'apparence :
- "Mais, observera-t-on, l'apparence se dit. Et puisque c'est toujours quelqu'un qui parle, l'apparence n'est-elle pas toujours apparente pour quelqu'un, "[3]
- "Dès que l'apparence est dite, une scission s'opère : il y a ce que je dis et moi qui le dis. (…) Car le mouvement naturel du langage est de laisser de côté celui qui le prononce : en parlant, celui qui parle se laisse de côté. «Les pommiers sont en fleurs» : en disant cela, j'opère un prélèvement sur une apparence multiforme, je la réduis à une abstraction, une généralité. Que reste-t-il de l'odeur de campagne, de la nuance du ciel, de la douceur du vent, du nuage blanc qui glisse…?" [4]
Parler et voir :
- "Le regard qui «avance» ou qui «retarde» ne comprend pas, ou ne comprend plus, mais le regard qui est contemporain de ce qui se passe, comprend. Les mots alors sont presque inutiles. Dans la sphère de l'apparence, tout, d'une certaine façon, est langage, de sorte qu'avec ceux qui vivent de la même vie, font parie de la même «sphère», il n'y a pas besoin d'expliquer, de s'expliquer." [5]
La parole et l'expression créatrice :
- "Exprimer tout cela, le langage ordinaire y est impuissant (et cette impuissance même invite à la mystérieuse transmutation dont est capable le poète, et par lesquelles les choses dites ne sont plus des ombres, des généralités, mais sont là elles-mêmes, «en personne» et vivantes." [6]
La parole qui montre à tous :
- "N'est-ce pas que, par le langage, ce qui se montre à moi se montre aussi à vous – à vous comme à n'importe qui ? Ce qui d'abord n'était peut-être apparence que pour moi ne devient-il pas apparence offerte à n'importe qui lisant ou écoutant, apparence pour personne en particulier et pour quiconque ? [7]
Parler et dire :
- "Le langage est bien le dict de ce qui se montre, mais ce qui est dit n'est pas l'apparence mais un côté seulement, car l'autre côté, celui de la réflexion, est tombé dans l'inessentialité." [8]
La parole qui brise :
- "Le langage brise la sphère de l'apparence, laisse de côté la réflexion, dont il fait l'affaire du «sujet» (lequel devra, s'il veut que l'apparence soit comprise comme apparence pour lui, s'introduire lui-même dans le langage d'une façon extérieure : «il me semble», «il apparaît que», etc.), réifie, absolutise l'autre côté sous la forme de l'être et de tout ce dont on dit : «cela est».[9]
- "Mais avec le langage de l'être (qui dit l'être), la sphère de l'apparence se brise. Le langage s'inscrit dans la scission. Dans la transparence muette de l'apparence à elle-même, dans la clarté simple de la vie qui se borne à vivre et à passer, les choses sont là elles-mêmes, ne dissimulent rien. Mais, corrélativement à la parole, les objets sont devenus opaques, ils ont maintenant un être caché, ils proposent une tâche à la «connaissance».[10]
La parole et le dévoilement de l'être :
- "Sans doute le langage a-t-il une fonction de dévoilement (il dit ce qui se montre), mais il n'en finit plus maintenant de dévoiler : les apparences, toujours inégales à l'être, renvoient indéfiniment à d'autres apparences." [11]
La parole et l'illusion ontologique :
- "Or une telle illusion – l'illusion ontologique – tient au langage lui-même, comme langage de l'être. Le soleil, aux uns, se montre comme un dieu, à d'autres il se montre comme une pierre, ou une masse incandescente, etc.(…) Chaque apparence, essentialisée, réifiée, exclura l'autre." [12]
- "Le langage commun est ontologique : il dit ce que «sont» les choses, il fait la séparation entre les apparences illusoires, «relatives à chacun», «subjectives», etc., et les apparences essentielles."[13]
- Des hommes, malgré leurs différences, se parlent. Mais si aucun n'a eu sa vie dans le monde, le système d'apparences de l'autre, ils ne connaissent, chacun, qu'une version des choses, une seule, pour chacun, est possible : ils ne peuvent donc faire autrement que de parler le langage de l'être, mais alors ils tiennent des discours qui se contredisent, qui ne forment pas un seul discours cohérent, mais dont l'ensemble, au contraire est incohérent." [14]
La parole et la querelle (éris) :
- "Les hommes, parce qu'ils font partie de sphères différentes d'existence, ont à parler, et, quoique très différents, se parlent. Ils peuvent du reste se mettre d'accord, mais seulement sr tel élément, tel aspect des choses : il n'y a pas – et ne saurait y avoir – entre eux d'accord universel." [15]
- "Les contradictions des discours reflètent, sur le plan de l'«être», l'hétérogénéité, la dissemblance des systèmes d'apparences (des sphères de vie concrète). Elles découlent du langage lui-même, comme langage de l'être, et de l'absolutisation de ce qui apparaît. Il s'agit non de les résoudre mais d'en revenir à l'apparence, où la vie ne s'oppose pas encore à elle-même." [16]
[1] Conche, Orientation philosophique – essai de déconstruction, Les Belles Lettres, 2011, collection «encre marine», p.314.
[2] Ibidem, p.316.
[3] Ibidem, p.314.
[4] Ibidem, p.315.
[5] Ibidem, p.316.
[6] Ibidem, p.315.
[7] Ibidem, p.315.
[8] Ibidem, p.315.
[9] Ibidem, p.316.
[10] Ibidem, p.317.
[11] Ibidem, p.317.
[12] Ibidem, pp.317-318.
[13] Ibidem, p.318.
[14] Ibidem, p.320.
[15] Ibidem, p.320.
[16] Ibidem, pp.321-322.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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