Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
10 Décembre 2012
Claude Stéphane PERRIN
Le problème du simple
Pour commencer, dans un champ d'interrogations qui veut problématiser l'idée du simple, il faut se donner un projet (une fin) et une méthode (des moyens pertinents pour atteindre cette fin). Or, eu égard à l'idée du simple le projet d'une fin se trouve déjà dans le commencement. Pourquoi ? Sans doute parce que ce projet ne relève pas d'un commencement abstrait mais de l'épreuve qu'un homme peut faire de lui-même lorsqu'il découvre dans sa propre singularité une tension inévitable entre sa propre complexité (sensible) et sa volonté de clarté intellectuelle, donc de simplicité. S'il veut philosopher simplement, c'est en effet surtout pour échapper à la violente complexité de sa nature. Nietzsche formule ainsi le même projet : "Se rendre maître du chaos intérieur, forcer son propre chaos à prendre forme; agir de façon logique, simple, catégorique, mathématique, se faire loi, voilà la grande ambition."(1)
Pour effectuer sa propre maîtrise, il faut ensuite savoir quelle méthode est requise afin de sortir de sa complexité initiale ? Deux voies sont alors possibles : soit en découvrant ce qui englobe la complexité de la totalité de la Nature, soit en inventant une régression vers la simplicité qui se trouve au cœur du complexe, comme la source originelle du Bien par exemple chez Platon. Ces deux voies sont du reste méthodologiquement complémentaires, même si chacune possède sa propre cohérence, et même s'il s'agit toujours d'ouvrir le complexe sur le simple afin de se mettre sur le seuil d'une imprévisible et impensable perfection. Car vivre simplement implique surtout d'agir paisiblement, librement et raisonnablement.
Dès lors, le problème inhérent à l'idée du simple conduit celui qui le veut à s'inventer un chemin vers le simple. Et, pour cela, il doit seulement se laisser inspirer par la réalité de l'Esprit qui est par nature simple parce qu'elle est infinie. En dehors de cette voie il n'y aurait d'ailleurs que les réponses changeantes, embarrassantes, pas encore découvertes ou inventées, qui concernent les réalités indéfiniment mesurables et complexes des mondes matériels.
En tout cas, la simplicité de l'Esprit est une réalité non mesurable, donc une valeur incomparable. Et cette réalité n'est ni relative et changeante, ni absolue au sens de totalement refermée sur elle-même et sans dehors, car elle possède d'abord une nature générique neutre. Elle rend en effet possible soit son absence par un vide de la pensée pour mieux penser, soit sa présence rayonnante en toutes choses, sans perdre ni son infinité ni sa simplicité.
Certes, pour l'homme, la valeur simple de la réalité de l'Esprit se manifeste surtout en tant que Raison, c'est-à-dire en tant que faculté qui pose la valeur infinie de l'Universel. En conséquence, la Raison crée le rationnel qui peut inspirer à son tour aussi bien la simplicité du raisonnable, notamment par un accord avec des possibilités du réel, que toute action vertueuse, c'est-à-dire digne du point de vue de l'Esprit de la Morale…
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1. Nietzsche (Friedrich), La Volonté de puissance, II. 4. 450.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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