Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
7 Octobre 2024
La conquête et l'amour du réel
Le don du réel n'étant jamais complètement réalisé pour les êtres humains, comme Bachelard, nous construisons nous-mêmes notre réel, c'est-à-dire la réception et le dépassement de ce qui nous a été donné : "La direction de notre effort vers le réel est d'une netteté inflexible. C'est une conquête, non une trouvaille. Notre pensée va au réel, elle n'en part pas. À aucun moment nous n'avons trouvé une réalité qu'on connaîtrait par abstraction progressive ; toujours nous avons eu affaire à une réalité qu'on formait en amassant des relations."[1] En effet, il y a, pour Bachelard, une concomitance et une pérennité entre le réel et tous ses effets empiriques ou rationnels,[2] sans doute parce que le don du réel par la Nature s'effectue aussi, par delà l'évidence première d'un don pur et essentiel qui englobe tous les dons et tous les retraits, en de multiples formes provisoires et en les forces transversales de l'esprit, dans et par un constant acte d'amour où la Nature s'aime elle-même en se créant éternellement d'une manière divine comme chez Spinoza, même si cet amour devient parfois fictif ou démoniaque pour certains êtres humains.
Cependant, eu égard à l'inachèvement de la présence du réel, le cheminement rationaliste de la recherche ne prévaut pas d'abord sur l'empirisme, car les profondeurs du réel sont toujours données dans et par des sensations et des émotions. Puis, parce que le réel apparaît d'une manière changeante et inachevée, un intense désir de connaître est souhaitable, voire réalisable, afin de mieux s'insérer dans le monde, voire afin de s'en réjouir.
Pour le dire autrement, le processus de la connaissance n'est pas d'abord déterminé par des a priori rationnels, mais par la découverte d'un ordre possible, certes sous-jacent et abstrait. Ensuite, comme pour Bachelard, intervient un amour irrationnel, voire surréel du réel, qui inspire des interprétations provisoires en synthétisant ce qui a été donné par la Nature : "Ce n'est pas la connaissance du réel qui nous fait aimer passionnément le réel. C'est le sentiment qui est la valeur fondamentale et première. La nature, on commence par l'aimer sans la connaître, sans la bien voir, en réalisant dans les choses un amour qui se fonde ailleurs. Ensuite, on la cherche en détail parce qu'on l'aime en gros, sans savoir pourquoi." [3]
Dans ce prolongement, la transversalité de l'amour qui rapproche les différences d'une manière parfois surréelle en renforçant les affinités met chacun sur la voie d'une possible réalisation de ses propres potentialités d'une manière ouverte et solidaire, donc sans se refermer sur sa seule existence. Alors, faire l'éloge du réel en valorisant l'amour qu'on lui porte, c'est-à-dire en accomplissant au mieux ses propres potentialités, voire en les partageant avec d'autres, devrait permettre de découvrir ce qui rendrait possible un certain bonheur d'exister dans ce monde terrestre inachevé, parfois cruel, néanmoins ouvert sur l'éternelle infinité de la Nature.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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