Recherches philosophiques qui, inspirées par l'idée du neutre, vont au-delà du scepticisme vers une interprétation moderne et différentielle (historique et intemporelle) du devenir du principe de raison.
9 Décembre 2015
Joseph Rossi, La Gelée blanche. Œuvre reproduite page 15 du livre de Jean-Paul Dubray inti¬tulé Joseph Rossi sa vie son œuvre, éditions Marcel Seheur, 1932.
01. Le silence, tout comme le zéro, est une absence qui ne signifie rien en elle-même. Et si ce zéro formel et impersonnel était un néant, son rapport au vide ne nous concernerait en rien puisqu'il ne serait pas porté par une pensée. Il enfermerait dans le mutisme de l'ignorance ou dans l'impensable totalité d'un abîme indifférent ou dominé par la mort.
02. Le silence s'impose dans des manifestations fort complexes. Il est la qualité de quelque chose (sans bruit) ou de quelqu'un (qui se tait), ou bien il se situe entre le ciel et l'abîme terrestre, il s'intercale entre un projet et l'état de la mort, ou bien enfin il est simplement le silence de la Nature qui créé éternellement des réalités nouvelles qui sont d'abord étrangères à chacun.
03. Le silence est, en lui-même, polysémique, puisqu'il peut être à la fois l'attribut d'un illusoire sentiment de plénitude fusionnelle avec la présence de la nature, ou bien un sentiment de peur devant l'éternité de la mort (une totale séparation). Il traduit ainsi l'effroi devant le néant, ou bien il accompagne la crainte de l'inconnu, de la solitude, des ténèbres ou de l'immensité... Ces diverses manifestations du silence engendrent des sentiments d'une profondeur intransmissible. Comment accéder au dévoilement du réel par-delà le vide immense qui semble nous menacer ?
04. Il ne faut pas négliger les différences entre le silence de l'indicible, du non-dit, de l'inexprimable (« un ange passe »), du caché (comme un secret de famille), de la pudeur, de la discrétion, de la connivence entre amis, de la complicité, de la liaison amoureuse, de l'inexplicable, de l'incapacité à dire de l'aphasique, ou bien celui qui est imposé dans les dictatures comme une chape de plomb.
05. Pour l'homme, le silence est incompréhensible en lui-même parce qu'il inspire des sentiments contradictoires : de plénitude fusionnelle (le silence de la Nature témoigne de sa constante présence changeante) ou d'effroi et de solitude devant l'éternité de la mort (une totale séparation) ou bien, à l'opposé, s'impose l'épreuve d'un malaise profond dû à l'incapacité d'être complètement présent aux choses.
06. Lorsqu'il est le silence d'un désert (l'écho violent de notre espace le plus inhabitable), il est la source de sa métaphore la plus morne, celle de l'apparence la plus dénudée, celle de l'effet fascinant de la disparition des apparences. Pourtant chaque apparence, dans sa capacité d'apparaître ou de disparaître, garde une double polarité entre l'écho éphémère du silence lointain d'un désert illimité d'une part, et une trace mnésique qui persiste d'autre part, en chacun, d'une toujours possible ouverture sur l'infini.
07. La plus grande difficulté réside dans la difficulté de penser le rapport entre le silence qui exprime la Nature naturante dans sa dimension métaphysique et certaines manifestations physiques des silences de la Nature naturée. Car le silence renvoie pour l'homme à la Nature infinie qui englobe tous les mondes en donnant à chaque instant et à chacun la possibilité de créer, de faire librement surgir le bruissement intense et immédiat de quelques images, sonorités, ou métaphores. En tout cas, le silence infini de la Nature attise autant notre force de créer que celle de résister à son mystère parfois effrayant. En tout cas, Zarathoustra aime le silence bienheureux et clair qui l'élève vers un air plus pur : «Et crois-moi, mon amie le vacarme d’enfer ! Les plus grands événements, ce ne sont pas nos heures les plus bruyantes, mais nos heures le plus silencieuses.» [1]
08. Le silence, parfois effrayant du rien ou du vide, pose l'écart nécessaire pour fonder l'acte libre et singulier de parler raisonnablement, même en des éclairs imprévisibles, bien au-delà d'un simple intervalle impensable et silencieux entre deux souffles, sachant que, comme le dit l'Écclésiaste,[2] "il y a un temps pour se taire et un pour parler. "
09. Le silence est étranger à tout discours duplice (mêlant le vrai et le faux), car sa simplicité peut fonder un logos clair : chaque parole naissant forcément d'un silence avant de retourner au silence.
Claude Stéphane PERRIN. Professeur de philosophie à la retraite, j'écris et je lis en méditant sur le problème de la non-violence, notamment à partir d'une idée non indifférente et non nihiliste du neutre .
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